Look, spaghetti arms. (Walson)

Look, spaghetti arms.
This is my dance space. This is your dance space. I don’t go into yours, you don’t go into mine. You gotta hold the frame.

25 avril 2023 w/ @Love Thompson

Tendu, c’est avec une bonne trentaine de minutes d’avance que Jacob afin de pouvoir s’échauffer et commencer à répéter seul. Il sait que Love n’aura pas le luxe de le rejoindre plus tôt, puisque d’après son message, elle travaille jusque 16H00. Il ignore d'ailleurs le domaine dans lequel elle est employée. Son message cette après-midi était on ne peut plus vrai: l’acteur ignore à présent tout d’elle. Il aimerait se conforter dans l’idée qu’il sait exactement la femme qu’elle est, que personne ne la connait comme lui la connait après huit années à ses côtés, mais la vérité est qu’il ne reconnait plus Love depuis qu’il a mis les pieds à Boston. C’est comme si on l’avait effacée, pour laisser place à une version vide et sans la moindre émotion, ou sentiment. La musique résonne, un long soupir s’échappe de ses lèvres avant que ses pieds ne se mettent à suivre le rythme, presque machinalement. Il n’a pas vraiment besoin de répétitions. Huit mois de pause ne lui ont pas fait oublier ce rôle qu’il a dans la peau. Son souffle a peut-être besoin d'entraînement mais sa mémoire est intacte, ce qu’il réalise avec soulagement à mesure que son corps se laisse entraîner par la musique. Jacob ne pense plus, oublie ses craintes et laisse Johnny prendre le contrôle, comme s’il s’agissait d’une personnalité capable de l’habiter et d'effacer la sienne. Il ne réalise pas les minutes qui s’écoulent jusqu’à ce qu’il tombe à genoux face au miroir et perçoit le reflet de son ex petite-amie dans ce dernier. Le sourire aguicheur qu’il lui adresse n’est pas le sien mais celui de son personnage, bien que ce soit belle et bien Love qu’il regarde et non bébé. D’un geste gracieux, il se relève, abandonne son rôle et se dirige vers le lecteur cd qu’il met sur pause, avant de choper sa serviette pour s’essuyer le front et les avants bras. J’ai profité de la salle libre pour commencer sans toi. Jacob explique, sans s’oser à croiser son regard pour l’instant. Il le faudra, plus tôt que tard, car demain c’est un jury qu’ils devront convaincre d’une complicité qui n’existe peut-être même plus. J’ai pensé qu’on pouvait commencé par danser, avant de répéter la scène. Histoire de laisser à leurs corps le temps de se souvenir l’un de l’autre, et éventuellement de permettre aux barrières dressées mentalement entre eux de tomber. Jake a confiance en lui mais il n’est pas certain que son talent soit suffisant pour ignorer toute la rancœur, la tristesse, l’amour et la haine qu’elle lui inspire. Il faut qu’on s’oublie. Pas seulement l’un l’autre mais personnellement. Il faut que Love et Jacob n’existent plus et laissent placent à Frances et Johnny, une fois sur scène. Ça ne devrait pas être trop compliqué pour elle. Prête? Il demande, une main tendue vers elle, et son regard qui s’ose à s’ancrer à celui de Love pour la première fois.

Merci beaucoup d’être passé au Luna Caffé ! Que je lance au client qui quitte l’enseigne dans laquelle je bosse depuis quelques mois déjà. Je me tourne vers ma collègue et lui adresse un large sourire. Et c’est comme ça que je m’en vais. Je souffle ces mots, retire mon tablier et file vers la salle réservée aux employés. Adieu les vêtements estampillés aux couleurs et logo du Luna Caffé ! J’enfile un legging, un haut de sport et ma paire de baskets. Je veux pouvoir être prête à répéter dès mon arrivée. Nous n’avons pas énormément de temps - un heure quarante cinq si tout va bien - et je ne compte pas perdre une seconde. Pourquoi ? Pas pour être avec Jacob mais pour être sûre que tout se passera bien demain. Je dois obtenir ce rôle, c’est ma carte de sortie de cette vie qui ne me convient pas. J’en ai terriblement besoin. Je saute rapidement dans un bus et il me faut une dizaine de minutes pour arriver sur le lieu de rendez-vous. Je prends quelques secondes pour souffler, mets une alarme pour quitter les lieux pour quarante-cinq de l’heure suivante et entre dans la salle de répétition la tête haute. C’était mon quotidien avant, c’était notre quotidien. Je pose mes yeux sur Jacob et me perds dans le moment. J’ai beaucoup de choses à lui reprocher mais sa grâce et son talent n’en font pas partie. Pas de soucis. Que je souffle en reprenant ma marche vers le coin de la salle pour y déposer mes affaires. Je sors ma bouteille d’eau de mon sac et me convainc mentalement que tout va bien se passer. Je l’écoute et me retrouve quelques années en arrière - enfin quelques mois - où il dirigeait notre vie avec une aisance déconcertante. Et moi, amoureuse, je suivais sans rechigner. L’envie de le contredire et de lui dire que ce n’est pas ce que j’ai en tête est forte mais je me retiens de le faire. Ces envies toxiques et dévastatrices ne doivent pas revenir alors je me redresse et souffle Ça me va. Le minimum syndical, n’est-ce pas ? Ça sera plus facile comme ça, je n’en ai aucun doute. La bouteille d’eau dans un coin, je me dirige vers le jeune homme tout en commençant à m’échauffer légèrement. Ma nuque craque mais je continue à la faire tourner jusqu’aux mots du jeune homme. Je redresse le visage et le regarde. Ça aurait été plus facile avec tes cheveux noirs. Que je souffle doucement. Ou plus foncé que le blond qu’il a dans les cheveux en ce moment. Johnny et Bébé, c’est ça ? Que je lance avec un léger sourire, comme pour détendre l’atmosphère que l’on sait tous les deux complètement tendue. C’est étrange de le voir si fuyant. J’essaye de capter ce qu’il cherche depuis toute à l’heure mais je n’ai aucune indication de rien jusqu’à ce qu’il me tende sa main. Toujours oui. Tu veux qu’on commence par quoi ? Hungry eyes ? Je ne suis pas sûre de lui faire assez confiance pour tenter I’ve had the time of my life maintenant. Le porté… Et s’il faisait exprès de me laisser tomber pour m’exclure de la compétition ? Ou si, justement, il faisait tout pour me faire échouer avant de me rattraper, me prouvant que j’ai peut-être bien toujours besoin de lui…

Il s’est convaincu que tout se passerait bien, parce qu’ils sont tous les deux professionnels. Leur histoire, aussi compliquée soit elle, n’a pas de place une fois qu’ils entrent en scène et s’il y a un point sur lequel Jacob est convaincu que Love sera d’accord avec lui, c’est celui-ci. Ils ont besoin de ce contrat. Elle parce qu’il n’y a pas trente-six options à Boston, lui parce que cela lui permettra de rester mais aussi parce qu’il ignore s’il parviendrait à se faire une place sur Broadway après un si long arrêt. Dans son champ de vision, Jacob peut deviner les déplacements de son ex petite-amie sans pour autant l’observer. Il a besoin d’accorder ces quelques minutes à son cœur, afin de s’habituer à sa présence, avant de mettre celui-ci sur pause - ou stop. Ce n’est pourtant pas l’envie qui manque de détailler ses courbes, qu’il craint chaque jour d’oublier à force de ne plus pouvoir les toucher, de ses yeux comme de ses mains. Si tu as besoin que mes cheveux soient noirs pour y croire, c’est que je ne suis pas convaincant. Il répond, pragmatique et sans aucune intonation dans la voix, parce qu’il a bien compris que la moindre émotion peut se retourner contre lui, bonne comme mauvaise. Il n’empêche que si Love ne peut pas oublier l’homme derrière ces traits, c’est qu’il n’est pas assez bon où qu’elle se met des barrières, ce qui fait qu’ils ne méritent pas d’être pris. Ce ne sont que des cheveux. Johnny et bébé. Il répète, hoche la tête et boit un coup avant d’aller se placer à nouveau devant elle. Si tu veux. Le choix n’est pas le plus évident, sachant qu’une troisième personne sera sur scène avec eux pour cette scène, mais il tient simplement à danser avec elle afin de se mettre dans le rôle. Sa main retombe le long de son corps et Jacob s’éloigne pour aller mettre le CD en route, avant de la rejoindre en quelques enjambées au centre de la pièce. Il tend la main à nouveau mais cette fois-ci, il attrape celle de Love délicatement pour venir poser celle-ci sur sa poitrine, au niveau de son cœur. Ils n’ont pas de temps à perdre, l’hésitation n’a pas sa place dans cette salle de répétition. Malgré son air impassible, son cœur bat la chamade sous son épiderme mais il ignore ce dernier, secoue la tête et se débarrasse de Jacob Wash à la seconde où ses yeux viennent accrocher ceux de sa partenaire. Son corps s’imprègne de la musique et bouge comme s’il avait répété cette danse chaque jour depuis la nuit des temps. Juste la danse. Il souffle sans s’arrêter, préférant ne pas se lancer immédiatement dans les scènes incluses dans le morceau. C’est compliqué de faire sans, parce qu’il y a beaucoup de moments où ils parlent plus qu’ils ne dansent mais ils ont tous les deux assez souvent danser ensemble pour remplacer les moments de paroles par quelques pas sans avoir à se mettre d’accord au préalable. Et ça fonctionne. Sans un mot, sans interruption, la chanson se termine pour la première fois. Tu veux la refaire une fois ou on y va pour la scène complète? S’il y a un point sur lequel Love n’a pas besoin de répétitions, c’est bien la danse mais JT propose tout de même, dans le cas où elle aurait besoin de quelques minutes de plus pour se mettre dedans.

Je pense que si on me faisait une échographie à ce moment précis, on verrait le tourbillon qu’il y a en moi. Jacob me met dans tous mes états et je dois dire que je déteste cela. Je ne comprends pas comment il peut toujours avoir autant d’effet sur moi mais c’est comme ça. Je dois inspirer par le nez, expulser l’air par la bouche et au bout de trois ou quatre fois, tout ira mieux. Ou bien alors les mots de Jacob. Ils aident toujours à remettre de l’ordre dans mon esprit et ça ne manque pas. Quand il est comme ça, planté au milieu de la salle, c’est difficile de séparer l’homme que j’ai aimé de l’homme qu’il va bientôt incarner. Mais je ne préfère pas relever ses mots, souhaitant que cette heure et demi de répétition se passe bien et sans embûche. Je commence doucement à m’échauffer et me sens rapidement prête. Je ne peux pas dire que j’ai attendu ce moment pendant longtemps puisque ce serait mentir mais ce n’est pas totalement faux non plus. Retrouver Jacob comme ça me ferait presque oublier tout ce qu’il y a autour. Toute l’importance est dans le presque parce que je n’y arrive pas. Il est venu hanter nombreux de mes cauchemars et l’appréhension est énorme. Je me perds cependant à penser que malgré notre passé, une fois dans les rôles, il y aura plus que cette rancoeur, tristesse, amour et dégoût qui se mélangent à chaque fois que je pose mes yeux sur lui. Il le faut sinon nous sommes dans une merde infinie. Ma main sur son soeur, je déglutis difficilement, mon visage quittant la vue de ma main pour son visage. Cocoon, cocoon. Une de mes parties préférées de ce merveilleux film. Mon index et mon majeur tape doucement en synchronie sur son pectoral, comme pour lancer la chose. J’acquiesce et me mets à danser avec lui. Garden mes bras comme il le faut - ou plutôt comme il ne le faut pas au début - avant de me retrouver la tête haute, le visage droit, les yeux à la recherche de la profondeur de ce moment. Comment est-ce possible de détester quelqu’un autant et de l’aimer à ce point ? Il n’y a que dans le silence et la danse que j’arrive à me perdre avec lui. La chanson terminée, je souffle C’était pas mal. Un peu trop perturbée et absolument pas préparée mentalement à tout ce qu’il se passe en moi. Je pensais que nos précédentes entrevues avaient aidé mais pas totalement il semblerait. C’est un peu comme une plaie qui a du mal à se soigner, le pus toujours en train de suinter et ce même une fois que l’on pense que tout est propre. La scène complète. Il manque un peu trop de choses juste avec la danse. Que je souffle en secouant mes jambes et mes bras, comme pour me débarrasser de ce sentiment dérangeant. Je me replace face à lui et me mets en position. C’est lui qui a le plus de discours - pour ne pas dire tout - dans cette scène alors je l’attends. Laisse moi juste le temps de me replacer comme il faut quand il y ait sensé avoir Penny. Que je souffle. C’est une scène à trois normalement mais je n’ai besoin de personne pour me dire comment me mettre en place. Mes pieds se souviennent de tout, mes bras aussi et ma tête encore plus. Il n’y a que lorsqu’il commence à parler, à souffler les répliques de Johnny que la séparation se fait et que mon corps se réchauffe et libère. Comme quoi, on va y arriver. Je le laisse tourner autour de moi pour me replacer et le suis du regard. Est-ce qu’il va disparaître et redevenir Jacob ? Je ne l’espère pas parce que je suis prête pour donner la meilleure représentation de ma vie.

Je la vois, la tempête en elle. J’essaye de l’ignorer, d’oublier Love Thompson pour n’avoir que Frédéric Houseman en face de moi mais si elle ne m’aide pas, ça va être compliqué. Je ne m’attends pas à ce que ce soit facile, mon corps et mon cœur ne se rappellent que trop bien tout ce qu’elle nous inspire. L’ignorance. Je dois me rappeler que c’est la seule chose que je souhaite ressentir à son égard à présent. C’est exactement ce que j’ordonne à mon cœur qui martèle ma poitrine. Il a autant de mal à y croire que moi mais lorsque Jacob laisse place à Johnny, ça n’a plus aucune importance. Elle n’est plus que ma partenaire, la femme qui me rend complètement fou et pour qui je suis occupé de tombé, doucement mais surement. La chute sera à la fois courte et brutale pour Castle, qui ignore tout de l’amour. Quand la musique s’arrête, je m’éloigne et hoche la tête à son commentaire. On peut faire beaucoup mieux que ça mais il faut qu’elle essaye, ce qu’elle ne fait pas vraiment pour l’instant. Je m’abstiens de le lui reprocher cependant, car j’ai tout de même tiré quelques leçons de nos huit années de vie commune. La façon dont elle fonctionne, dont elle réfléchit, ne m’est pas inconnue et je sais qu’il lui en faudrait peu pour se braquer. Je ne serai pas toujours sur la défensive car il est hors de question de marcher sur des œufs pour les mois à venir mais il s’agit de notre première répétition, je peux prendre sur moi exceptionnellement. La musique coupée, je bois une gorgée d’eau et remet le CD à zéro sans pour autant le mettre sur play pour l’instant. D’accord. Ca n’enlève pas le plaisir que j’ai eu à danser à nouveau avec elle. Love est une partenaire exceptionnelle, ce que je ne lui retirerai jamais. Je ne sais pas si on aura une troisième personne demain. J’ai cru comprendre que notre audition était en duo mais nous n’aurons aucun mal à nous l’imaginer. Du menton, je lui signale que je suis prêt et appuie sur play avant de me placer face à elle. Close your eyes. Je joins les gestes à la parole, sa main à nouveau sur le cœur alors que mes pieds commencent à bouger au son de la musique. Cocoon. Cocoon. Two, three, four. Two, three, four. Breathe. Ses yeux s’ouvrent pour me regarder et mon coeur rate un battement. Head up. Lock your frame. Lock it. This is my dance space. This is your dance space. I don't go into yours. You don't go into mine. You gotta hold the frame. J’adresse un signe à notre Penny imaginaire. Again. Frame. Nos pas s'enchaînent et se marient à la perfection - selon le script du moins puisque Frederic n’en est qu’à son apprentissage. Mes mains sont en feu à chaque fois qu’elles viennent se poser sur sa peau, ce que j’ignore autant que possible. Je m’installe par terre et l’observe danser seule, pour cette partie qu’elle est censée faire avec Penny, avant de la retrouver. Son dos collé à ma poitrine pour cette scène mythique où elle rit sous mes caresses me fait l’effet d’un électrochoc lorsque mes lèvres se retrouvent si proches des siennes. Il me suffirait de m’avancer d’un demi centimètre pour y goûter à nouveau - ce qui viendra durant le spectacle. Sauf que là ce n’est plus Johnn mais Jacob. Sous l’effet de surprise, je fais un pas en arrière, enragé contre moi-même. Désolé. Donne moi une minute. Je me tord la nuque et inspire profondément en lui tournant le dos. A quoi pensais-je en affirmant qu’il serait facile de nous oublier ? Je mets ça sur cette nouvelle proximité, qui deviendra bientôt banale si nous obtenons tous les deux le rôle. Depuis le début. J'annonce en remettant la chanson à zéro, sans attendre son avis sur la question. On a pas vraiment le choix, parce que demain ça ne peut pas arriver.  

On recherche tous les deux la perfection et je sais que c’est ce dont nous aurons tous les deux besoins pour convaincre le jury demain. Il faut tout donner mais ne pas se limiter à 100%. Oh que non. C’est 115% minimum qu’il faut mettre dans la prestation de demain et c’est pour cela que je ne suis pas complètement satisfaite de ce que nous venons de faire. Il manque ce petit quelque chose qui fera chavirer le coeur des jurés demain. Je sais que cela dépend essentiellement de moi mais j’essaye de ne pas me mettre trop la pression non plus parce que je sais à quel point cela aura plus de retombées négatives que positives. Je veux pouvoir tout gérer petit à petit et ne pas me retrouver complètement morte ce soir. On verra bien. Au pire, je connais les placements. Je sais à quel moment mon personnage est un peu plus mou, à quel moment la main de Penny la redresse et tout ce qui va avec. C’est quelque chose que je créerai avec la chanceuse si tout se passe bien pour moi, pour nous. Après tout, jouer celle qui ne sait pas forcément danser est aussi facile que compliqué. Mes yeux sur le visage de Jacob, je respire doucement pour tenter de calmer mon rythme cardiaque. C’est tellement étrange. Le timbre de sa voix m’emporte et me transporte jusqu’à nos plus beaux moments à Londres, quand notre couple n’était pas des plus saints mais que chaque baiser semblait toujours plus fort, plus fou et plus ressenti. Je le laisse prendre mes bras - my spaghettis arms - et acquiesce rapidement. Je commence à danser et au fur et à mesure des pas, je me sens un peu plus dans le rôle, dans ce rôle qui me manque tant. Le niveau de Frédérique s’améliore doucement lors du film et on peut le voir avec la façon dont mes pieds se plantent dans le parquet. À plat au début pour finir sur la pointe, comme si les talons étaient arrivés comme par magie. Quand il me quitte pour se mettre assis, je regarde devant moi et continue de danser, les bras tendus devant moi. Un bras bouge, puis le second. Puis les deux en même temps avant de se glisser dans mes cheveux. J’ai toujours aimé ce moment, le trouvant aussi doux et innocent que sexy. Je n’ai pas de partenaire en face de moi mais cela ne m’empêche pas de trouver mon rythme et de ne surtout pas le perdre lorsque Jacob revient vers moi. La scène qui a rendu le tournage de Dirty Dancing difficile pour Patrick Swayze. Quand j’ai appris que rien de cela n’était prévu au script mais que c’est la réaction non préparée de Jennifer Grey qui a made the final cut, je suis toujours fascinée. C’est difficile à jouer chaque soir parce que le geste de Jacob ne me chatouille pas vraiment - il lance une armée de cafards et de papillons - mais mon corps se souvient de tout. Et alors que je pensais que nous étions bons, il se fige et s’écarte, me faisant sortir de mon personnage en un claquement de doigts. Euh oui, bien sûr. Que je souffle en me dirigeant vers mon sac et la bouteille d’eau dans laquelle je bois rapidement avant de courir pour retrouver ma place. Face à lui, obéissante, je l’écoute dire ses paroles avant de commencer à danser. Ça va ? Tu veux en parler ? Je sais bien que ce n’est pas le genre de choses à demander, surtout en ce moment mais peut-être que le fait d’être concentrés tous les deux sur la danse fera que les mots seront moins venimeux. Et, pour être honnête, je crois qu’il est temps de crever l’abcès ou nous ne nous en sortirons jamais tous les deux. Je te promets de pas crier et de pas tout te mettre sur le dos. Il est l’heure de laisser les mécanismes de défense à l’autre bout de la ville. Si on veut être les meilleurs, les efforts doivent avoir un sens pour nous deux et je suis enfin prête, aussi fou que cela puisse sembler. Peut-être que de redanser avec lui me montre ce que l’on vaut et ce que l’on pourra faire…

Oui, tu t’en sortiras très bien sans elle. Je l’ai, peut-être, un peu dénigrée au cours d’une de nos dernières disputes mais Love sait parfaitement ce que je pense d’elle et de son talent. On dit que l’amour rend aveugle et je ne dis pas qu’il n’y a pas une part de vérité, mais je n’ai jamais compris pourquoi ma petite-amie n’avait pas obtenu directement le rôle de Bébé lorsque nous sommes arrivés à Londres. J’ai eu raison de lui répéter en permanence que le rôle finirait par être sien, tout ça pour qu’elle ne le tienne pas une fois à elle. Malgré les mots durs que je peux avoir durant nos disputes, je pense qu’elle sait que ce n’est pas le fond de ma pensée mais simplement la colère qui s’exprime pour moi. Aujourd’hui, nous ne sommes pas là pour nous concentrer sur tout le négatif qui entoure notre relation mais bien sur le positif, en espérant que notre alchimie ne soit pas totalement évaporée, au même titre que ses sentiments. On avait quelque chose de spécial sur scène et le fait de s’aimer y était forcément pour quelque chose, mais si nous sommes chanceux, il y a un peu plus que ça. Le fait que nous n’ayons plus tous les ingrédients ne veut pas dire que nous n’allons pas parvenir à présenter quelque chose d'exceptionnel au jury, demain. Je vais tout faire pour, c’est certain. Je vais tout faire pour y parvenir, du moins, car lorsque le corps de Love vient se coller au mien, que mes lèvres effleurent les siennes alors que mes doigts redécouvrent la douceur de sa peau, j’en suis tout retourné. Je m’éloigne, la mâchoire contractée, avec l’envie de la supplier d’arrêter de nous faire autant de mal. Ne voit-elle pas qu’on pourrait être heureux à nouveau ? Ce serait plus simple, plus sain, pour tout le monde plutôt que ce petit jeu du chat et de la souris. Si c’est les premiers instants qu’elle cherche, je suis prêt à recommencer à zéro, quand bien même il n’est pas possible d’effacer huit années de vie de couple. Je ne sais pas comment elle fait. Je ne sais pas pourquoi elle le fait. Je me retiens de rire lorsque Love suggère qu’on en discute, tournant la tête dans la direction opposée pour ne pas voir mon sourire narquois, blessé. Je ne suis pas certain qu’il y ait grand chose de plus à dire, tu as été plutôt explicite. Je réponds calmement et un peu défaitiste. Mon ex petite-amie a été assez claire sur ses intentions et ses sentiments à mon égard, je ne sais pas ce qu’il y a de plus à ajouter. Tu vois, Love, je l’accepte. Ce disque rayé, tant lorsqu’elle ouvre la bouche que lorsque je le fais, j’ai fini par l’apprendre par cœur jusqu’à en être dégouté. Je pourrais finir à ses genoux mais ce n’est pas une option, je m’interdis formellement de tomber si bas. Concentrons-nous sur l’audition. Dis-je, tout en appuyant sur play pour que la chanson démarre à zéro à nouveau. Peut-être qu’en parler nous aiderait mais en toute sincérité, j’ai peur d’empirer la situation et qu’on se retrouve avec la rage au ventre et dans les yeux demain, lorsque nous nous présenterons devant les directeurs de castings. En position, les premières secondes sont un peu pénibles mais je fini par entrer à nouveau dans le rôle, ne voyant plus que bébé lorsque vient le moment de lever son bras et la caresser. La danse continue jusqu’au moment où elle me brise le dos. You trying to kill me? You gotta concentrate! Is that your idea of fun? Je crie, Jacob totalement oublié. Heureusement, car si la question était posée à Love plutôt qu’à Frederic, la réponse serait tout aussi positive.

Un sourire se dessine sur mon visage. Je n’ai pas besoin de ses mots pour savoir que je m’en sortirais mais je dois avouer que je n’ai pas entendu de compliments sur mes talents de danseuse depuis que j’ai quitté Londres. Bien sûr, il y a les petites filles que j’entraîne tous les samedis matins mais elles n’y connaissent pas grand-chose. De notre milieu, je n’ai croisé personne et je dois avouer que sa confiance me plait énormément. Cependant, ce n’est pas grâce à cela que je suis autant dans mon rôle quand on commence à danser. C’est un mélange de tout : l’envie d’être la meilleure, celle qu’il n’ait rien à me reprocher mais aussi l’expression de mois de manque. De danse, d’alchimie, de partage comme celui-ci. Alors, quand tout s’arrête de manière plutôt abrupte, j’ai peur qu’on soit incapable d’y arriver. Que si ce n’est pas moi, ce soit lui. Comme tu veux… Que je souffle, comprenant bien sa remarque et ne la prenant pas personnellement. Nous n’avons peut-être plus rien à nous dire. Ne pas vouloir me remettre avec lui ne veut pas dire que j’ai envie que ça se passe mal entre nous. Pour des tas de raisons, nous devons retrouver notre symbiose ou ce sera un carnage et je ne peux pas me permettre de laisser passer cette opportunité. Tu as raison, c’est le plus important aujourd’hui. Et demain et les jours qui arrivent. Il faut que l’on décroche ces rôles. Je ne suis pas folle, il est très rare que les duos formés pour les auditions ne soient pas les dynamiques souhaitées par les directeurs de castings. Putain. Quelle idée. J’aurais dû refuser, il aurait dû décliner et exiger quelqu’un d’autre. Est-ce que l’on se rend service là ou est-ce que l’on se tire une balle dans le pied ? Je ne sais pas et Jacob ne me laisse pas le temps de réfléchir. Je me remets en position et le regarde, attendant ses premières répliques et tout ce qui suit. À la fin, je l’aide à se redresser et le regarde Yes. In matter of fact, we’re supposed to do the show in two days, you won’t show me lifts. I’m not sure it turns. Et pendant qu’il s’étire, j’entre réellement dans mon personnage - ou j’en sors, je ne saurais trop dire. I’m doing aaaaall this to save your ass and what I’d really love to do is drop you on it. Je crois que la réalité a dépassé le fictif parce que je me suis vraiment perdue dans ces mots, dans cette confession. Ma poitrine se soulève frénétiquement et je regarde Jacob, fière de ma performance. Je crois que c’était ma meilleure interprétation et il ne pourra pas dire le contraire. À voir s’il est toujours dedans, ou pas.

Je ne vais pas dire que c’est plus difficile que je ne le pensais, car je ne me suis rien imaginé avant de venir à sa rencontre. Tout ce que je sais, c’est que cette proximité, elle est plus douloureuse qu’elle n’est agréable. Je lui lance un compliment, malgré qu’intérieurement, j’ai l’impression que tout se déchire en moi et j’ai envie de hurler. Je lui ai fait du mal, je ne vais pas le nier mais elle m’a brisé. Elle nous a brisé, alors que c’est avec elle que je me voyais construire un futur, et tout le temps du monde ne suffira à panser cette blessure et à passer à autre chose. Avoir une conversation non plus, c’est pourquoi je préfère refuser sa proposition et me concentrer sur la répétition. Tu vois, on arrive encore à se mettre d’accord. Je le dis avec humour et met la musique en route, prêt à oublier Jacob, que je déteste sans doute autant que je déteste Love. La scène m’a tellement manqué, nous n’avons pas le droit à l’erreur. Au-delà du rôle rêvé et de mon nom que je refuse de voir partir aux oubliettes pour les directeurs de castings, financièrement ça devient très compliqué. J’ai des économies mais elles flambent et si Rebecca a été bien gentille de m’accueillir pour plusieurs mois, je n’en peux plus. Il est temps que je prenne mon indépendance, quitte à me trouver en colocation à nouveau, mais sans la famille sur le dos. J’oublie tout ça lorsque je me positionne face à Love, j’inspire et fais le vide avant de commencer à danser. On reprend à zéro, nos pas s'enchaînent ainsi que le texte, sans aucune accroche cette fois. Les mains sur les genoux, haletant, je regarde Love stoïque tel que Johnny est censé l’être face à son monologue et finit par sourire et me redresser en applaudissant rapidement. Tu es beaucoup plus convaincante que Jennifer. Ca a peut-être un côté libérateur de pouvoir s’énerver l’un sur l’autre sans que ça n’implique nos propres sentiments et ressentiments. Ce qui sera beaucoup moins facile est la seconde partie du spectacle, lorsque les protagonistes commencent à se fréquenter, mais il est trop tôt pour y penser et s’inquiéter. On va commencer par réussir l’audition et les convaincre avec cette scène et le reste viendra naturellement - ou pas. Tu veux la refaire une nouvelle fois ou tu penses que c’est bon? Je fais quelques pas pour choper ma bouteille d’eau et je coupe au passage le disque qui enchaîne sur la chanson suivante. Je ne dis pas que ça va être facile mais je veux vraiment que ça se passe bien pour nous deux. Si ce n’était pas le cas, j’aurais déjà fait un petit caprice pour passer l’audition avec quelqu’un d’autre, au risque qu’on me dise d’aller voir ailleurs pour un rôle. Mais je ne vois que Love dans ce rôle, je ne vois qu’elle à mes côtés, sur scène comme dans la vie, et je ferai tout pour qu’on signe tous les deux un contrat d’ici une semaine.

Ce n’est pas le mélange de sentiments et d’émotions que j’attendais en retrouvant Jacob et la salle de danse mais je ne suis pas mécontente du cocktail que mon corps et mon cerveau me donnent. C’est bien plus sain que je ne l’imaginais et c’est agréable. Et puisque je ne sais pas combien de temps cela va durer, je me concentre sur la danse, sur la répétition et ne cherche pas le conflit et la confrontation systématiquement, comme ce que j’ai pu faire ces derniers mois. Apaisée, prête à donner la meilleure version de moi-même - enfin plutôt la meilleure version de Frédérique Houseman. Je dois être la meilleure comme il doit être le meilleur. Nous devons oublier ce que nous sommes et étions. On doit même oublier ce que nous serons. Il n’y a que ces personnages, il n’y a que la fiction qui compte pour les prochaines semaines et mois. Et quand je reviens à moi, je laisse un sourire en coin se dessiner sur mon visage. Jennifer et Patrick se détestaient et elle n’a jamais connu l’amour avec lui, difficile pour elle de retrouver cette passion qu’elle n’a jamais connu. Je crois que notre faiblesse va se transformer en notre force. C’est fou, quand on y pense. Je lève mes yeux vers Jacob et ouvre la bouche avant de la fermer. Même si tout va bien à ce moment précis, je crois que j’ai besoin de repasser par toutes ces émotions, les imprégner correctement pour qu’elles remplissent chaque fissure qu’il y a encore dans mon corps et mon âme. Il n’y a pas de raisons pour que ça se passe mal Jacob. Regardes nous. Que je souffle, essayant tant bien que mal de penser à tout ce que cela va dire pour moi, pour nous. Je vais pas te mentir, je ne me voyais pas passer un moment aussi simple avec toi. Pas après ces dernières interactions, vraiment pas. Je ne nous voyais pas forcément s’arracher la tête mais, pour sûr, je me voyais avec l’estomac au bord des lèvres, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Est-ce que ça veut dire que la rancœur, la colère et la crainte ont foutu le camp ? Est-ce que ça veut dire que nous allons réellement pouvoir avancer tous les deux ? Je voudrais qu’on recommence et qu’on tente d’autres émotions. Y a autre chose à aller chercher là-dedans. Et quand je dis ça, je pose délicatement mon poing sur son plexus solaire, le siège des émotions.