all day long on the chaise longue (( manny ))

Croquer la vie à pleines dents, telle était ma résolution. C'était déjà un mantra que je me répétais et suivais à la lettre, mais j'devais avouer que les évènements récents m'avaient conforté dans cette idée. Une fois l'acceptation faite, je m'étais réveillée le corps vibrant d'envie, tout en me sentant plus légère. J'étais sortie de ce brouillard qui m'empêchait d'avancer et de sourire comme j'avais l'habitude de le faire. Après une journée exaltante de cours, j'étais rentrée à la Dudley House pour m'échouer dans ma chambre. Seulement, au lieu de faire l'étoile de mer sur le lit, j'avais allumé spotify à un volume déraisonnable pour que Wet Leg ambiance le bâtiment étudiant. Bien que j'avais toujours mon bras bandé pour me rappeler inlassablement ce que j'avais traversé, cela ne m'empêchait pas de l'agiter dans tous les sens pour mimer la batterie des chansons défilant sans réussir à suivre le rythme. Evidemment, je m'époumonais à chanter les paroles que je connaissais presque par cœur sans me soucier le moins du monde de déranger qui que ce soit.

L’examen du barreau. Dans un mois et demi. Maintenant je le sais, que je ne peux plus reculer. Enfin, je le sais… Quelque part, j’ai presque envie d’échouer, juste pour repiquer une année et la passer à déconner encore avec les gens que je côtoie depuis presque une décennie. J’ai le spleen de la finalité avant que la fin ne soit vraiment arrivée. Et je suis malgré tout déterminé à bosser. En fait, c’est n’importe quoi, un bordel désorganisé dans mes pensées, et ma foutue étude de cas qui n’avance pas. Pour couronner le tout, je crois halluciner lorsque l’une des chambres à proximité se transforme en discothèque en cette fin de journée.

Je soupire longuement, fortement, je m’intime de rester calme, de croire – et surtout espérer – que la dingue qui s’égosille va bientôt se calmer. Sur cette idée, je gribouille un je-ne-sais-quoi sur le papier, si fort que la mine de mon crayon s’écrase et finit par casser, c’est simple, c’est le top départ, ce qui me donne l’envie, la belle excuse, de bouger, et de remettre ces révisions à plus tard. Il ne faut parcourir, pour retrouver la personne coupable, que quelques mètres dans le couloir. Par politesse, je frappe d’abord à la porte, même si je sais mon geste vain, et attends qu’elle hurle encore deux ou trois notes avant de me décider à entrer. Sans savoir sur qui je vais tomber, je hausse derechef le ton afin de capter son attention. « MERVEILLEUSE PRESTATION. »

J'étais douée pour hurler à plein poumon des paroles de chanson connues par cœur. Malheureusement, je n'avais aucun sens du rythme pour accompagner les vocalises. Peu importe, cela ne m'empêcher pas de me remuer au milieu de ma petite chambre universitaire pour extérioriser l'accumulation de stress. Même si le bras est couvert d'un bandage, le moral a besoin d'être remonter, m'obligeant, dans un moment de survie, à égoïstement péter les plombs. À vrai dire, je n'ai même pas conscience que je dérange à cette heure de l'après-midi. Je ne pense pas aux personnes qui rentrent de leur journée et espèrent trouver du calme au sein de leur confrérie. Dans ma tête, plus aucunes pensées ne raisonnent, seules les musiques défilent les unes après les autres. Défilaient, du moins. Ouais. C'était avant que tu te tapes l'incruste dans ma piaule en désordre. Mes sourcils le froncent quand je reviens à moi et que la musique continue en fond sans sa diva ; j'ai l'impression que l'air de la pièce s'est refroidi. _ Pourquoi tu viens tout niquer alors ?

Je n’ai pas pour habitude de jouer les troubles fêtes, bien au contraire même, je suis plutôt le style à être le premier à signer pour me divertir avec tout et n’importe quoi. Mais il faut croire qu’aujourd’hui je ne suis pas dans le mood, faute de cette épée de Damoclès sur ma tête, qui n’arrête pas de me souffler que je risque de me foirer dans le projet de devenir avocat. C’est con, pourtant, là encore, c’est rare, n’est-ce pas ? Que je doute de moi.

Alors la chanteuse de la journée me lance un regard assassin, et pour le coup, j’ai une sensation de devoir grimacer, comme un gamin. « Pourquoi tu viens tout niquer alors ? » Parce que tu as cru que tu étais seule dans cette baraque peut-être ? Je ne sais pas hein, une supposition. Mais plus je la regarde, plus je fais le lien avec sa dernière apparition – et son unique, dans ma vie – cette soirée étrange au Spring Break. Pas la mienne, de meilleure prestation. « On t’entend dans toute la maison. » et si je suis gêné, j’estime que je ne suis pas le seul à l’être, bien que je n’aie pas vérifié. Et ce n’est que là que je remarque le bandage qui pare son bras, je me fais plus doucereux pour la questionner, de deux doigts, sa blessure est désignée afin qu'elle comprenne le cheminement de mes pensées… « Tu y étais ? » A cette fameuse soirée qui hantera Boston probablement durant des années.

Je n'avais pas envie que l'on me coupe dans mon moment de transe. Exutoire libérateur aussi idiot que de chanter en hurlant par dessus une musique encore trop peu connue. Bien sûr que cela allait déranger, au moins, j'avais la décence de le faire en fin d'après-midi, à l'heure où tout le monde pouvait encore s'échapper aisément. C'était sans compter ton intervention qui faisait tout tomber à l'eau. Rite non terminé et voilà que toute l'animosité me gagne à nouveau, commençant à se déverser sur toi. L'impulsive veut égoïstement qu'on lui foute la paix, que veux-tu. Mes épaules se dressèrent quand tu m'annonçais la raison. Et alors ? Tout le monde s'en remettre de ça, non ? Un silence s'installe quelques secondes jusqu'à ce que tes doigts désignent mon bras enveloppé d'un bandage. _ Comme presque tout le monde. Bien sûr que j'y étais. On entend même parler plus que de ça. _ Et toi ?

Si pour ma part, je me détends des l’instant où je remarque son bras, que je reconnais aussi qui elle est. De son côté c’est tout le contraire, et je n’ai pas de mal à le comprendre. Y a tout en elle qui rejette ma présence, je dirais même qu’elle la regrette. Je ne pensais pas que c’était si grave de mettre un terme à sa petite fête. « Comme presque tout le monde. » Elle répond au sujet de cette fameuse soirée. Et j’hoche le visage, compréhensif et silencieux, comme si je jaugeais de la véracité de cette phrase. Tout le monde, ça me donne quasiment l’envie de rire, à dire vrai. « Et toi ? » Là, ça me donne envie de rire, et je ne saurais même pas dire pourquoi, peut-être parce que ça me donne des envies de lui souffler, une réplique toute faite et déjà démodée. Le truc c’est que… C’est plus fort que moi, je suis incapable de m’en empêcher. « Je ne suis pas tout le monde. » Mais le ton charmeur, je le ravale, parce que je ressens bien que ce n’est pas le moment. « Je me fous des concerts. » Et c’est on ne peut plus honnête, ce n’est tellement pas mon genre de sortie, en fait, ça m’ennuie. Alors ça ne m'est même pas venu à l'idée de m'y pointer. « T’as eu quoi ? » Pas que je sois inquiet, on ne se connait pas assez mais… « Grave ? » ca me ferait un peu chier.

Mes yeux roulent vers le plafond de la chambre dès l'instant que les mots quittent ta bouche. Tu avais quelque chose d'exaspérant, c'était officiel. Personne n'était tout le monde et pourtant, on faisait tous partie d'un ensemble. On partager des évènements remplis d'atrocités. Toi, tu t'en fichais donc. Les concerts ce n'était pas ton truc. Et ça me donnait envie de savoir c'était quoi au juste, ton truc. Parce qu'à te voir, j'avais juste envie d'aller à la facilité des préjugés. _ Tu n'es jamais allé à un concert ? Ce n'était pas le genre de truc à faire au moins une fois dans sa vie ? Mes yeux se portent sur mon bras quand tu y attires l'attention. _ Non, rien de grave. Simple infection. Je ne faisais pas partie des rescapés miraculés. J'avais pathétiquement réussi à perdre mon chemin en pleurant dans l'entrée. J'étais loin de la gravité quand c'était arrivé. _ Et donc, t'aimes pas la musique non plus ?

Au moins, elle ne prend pas la peine de la dissimuler, son exaspération, je ne sais pas pourquoi, ça me fait sourire, l’envie de l’emmerder un peu plus, n’est-ce pas ? De lui montrer, que je suis plutôt doué, en termes d’amitié – et plus si affinités – que je n’ai pas que cette image de guignol que je me plais à alimenter. « Tu n'es jamais allé à un concert ? » Je plaide coupable, peut-être qu’elle pense que c’est un fait atrocement condamnable ? Pour une fille comme elle qui était en train de s’égosiller sur un rythme déchaîné. « Aucun. » que je prononce en haussant les épaules, l’air de rien. Son jugement certain, il ne m’atteint.

Me concentrant sur sa blessure, je n’irais pas jusqu’à dire que je suis rassuré quand elle me donne les informations sur cette dernière, « Non, rien de grave. Simple infection. » mais au moins, je constate qu’elle possède probablement des capacités à relativiser. Alors j’hoche le visage, taciturne, content de l’entendre, quand elle vient me surprendre. « Et donc, t'aimes pas la musique non plus ? » Encore une fois, j’ignore le pourquoi, mais ça me fait pousser, amusé, on en revient, à mon crime. « Ça dépend. » que je réponds, nonchalant. « J’suis pas catégorique mais quand t’as grandi sur des rythmes de flamenco et de loveurs hispaniques… » J’ai envie de te dire que… ce n’est pas ton intérêt premier, la musique. « Mais je sais jouer. » Je ne le dis pas pour me faire mousser, juste pour qu’elle attende un peu avant de prononcer la sentence destinée à me condamner.