One thing certain : we gonna be behind schedule ft. Isaac (22.01)

Ji-hun changea de métro, passant de la green line à la red line à Park street. Ses premières heures de tutorat venaient de prendre fin, et il devait récupérer quelques affaires dans sa chambre pour retrouver sa deuxième élève sur Somerville. Ce fut avec énergie qu'il passa les différentes allées, dépassant les habitants du centre-ville les moins pressés par le temps à grandes enjambées. Il se rendit sur la plateforme où le convoi le déposera du côté d'Harvard et de ses résidences étudiantes. Écouteurs dans les oreilles pour faire taire les bruits alentours, il plaqua son épaule contre l'un des poteaux rouges de la station et attendit que les wagons fassent leur entrée. Il vérifia d'un coup d'oeil rapide le positionnement des aiguilles à sa montre ; dix-huit heures quatorze, départ prévu à seize, il était dans les temps.

Il patienta parmi la foule qui s'y était agglutinée, – l'horaire était toujours très fréquenté. Il se redressa lorsque les premiers mouvements se firent sentir autour et s'avança vers les portes automatiques les plus proches, dès lors que le train fut arrêté. Il ne trouva pas de place, dû tenir debout, cramponné là où il le put. Son mètre quatre-vingt-six l'aida à agripper la barre métallique au plus haut point, et à se tenir au-dessus de quelques têtes. Il était habitué à emprunter les transports en commun bondés, il n'était donc pas dérangé par la proximité. Il s'affaira, regard plongé sur le fil d'actualité de meetsachussets, et de quelques profils suggérés, jusqu'au moment où le métro freina, passant en quelques secondes de plusieurs dizaines de kilomètres heures à zéro.

La manoeuvre fit tanguer les corps les uns sur les autres vers l'avant de la voiture, avant de semer la panique parmi les usagers ; que se passait-il ? Pardon, dit Ji-hun à l'homme qu'il avait le plus brutalement percuté, puis fouina de ses pupilles au-dehors pour comprendre. Qu'est-ce qui pouvait bien expliquer ce ralentissement brutal ?

Isaac rentrait chez lui. La journée avait été longue, puisqu'il avait commencé par suivre ses cours jusqu'à midi environ, avant de courir jusqu'au café dans lequel il bossait depuis peu, commençant enfin à s'habituer au rythme de travail et à la multitude de machines qui offraient chacune leurs listes de possibilités. Epuisé donc, il était entré dans le métro sans même prendre la peine de sortir ses écouteurs de leur boîte, préférant écouter les murmures du métro sur les railles ou encore les discussions lointaine et embrumées qui lui parvenaient sans pour autant perturber son attitude, le regard absent et les jambes écartées pour aider sa main cramponnée à la barre métallique à le garder en équilibre.
Lorsque l'engin freina brusquement et qu'un immense gaillard lui tomba dessus cependant il sembla reprendre ses esprits.
- Pas de soucis, répondit-il machinalement tandis que ses iris se promenaient autour de lui, cherchant la cause de cet arrêt tout en sachant pertinemment qu'il ne la trouverait pas.
C'était simplement un réflexe, qu'il trouva stupide, après coup. Et puisqu'il n'avait pas d'explication, il se contenta de reprendre son observation attentive du vide jusqu'à considérer que l'attente était suffisamment inquiétante pour qu'il se permette de se retourner vers le colosse d'un peu plus tôt.
- J'espère que ça ne durera pas longtemps, disant cela ses yeux se plissent un peu, jusqu'à ce que la lumière se fasse dans son esprit. Je vous ai déjà vu non ? Dans un des cafés pas loin d'Harvard. Vous n'y travaillez plus ?
Isaac avait en effet l'habitude de traîner dans ce café après les cours et il se souvenait de ce serveur même s'il ne l'avait pas vu depuis longtemps. Aussi il se permis de demander, espérant en y repensant après coup qu'il ne dérangerait pas l'inconnu.

Coup brutal donné à il-ne-savait-qui, Ji-hun chercha le visage de celui qui avait été sa victime pour s'excuser. Sincérité dans les yeux, il dévia ces derniers vers les vitres de la voiture dans l'espoir d'apercevoir ce qui se tramait à l'extérieur. Mais c'était noir, bien trop noir pour qu'il puisse deviner la raison de ce freinage d'urgence. Ils étaient tous coincés entre deux stations, c'était certain. Trop de causes qui pouvaient amener à la même conséquence, il préféra attendre sans trop se mouiller. Attendre en espérant effectivement que ça ne sera pas trop long. Vous avez déjà vu ce genre de cas se régler vite , demanda-t-il à son interlocuteur ; de la rhétorique, forcément. Le temps que le problème soit signalé à la centrale et soit pris en compte, puis que les professionnels arrivent jusqu'ici, on pouvait déjà compter une demi-heure dans le meilleur des cas ; à moins qu'il ne s'agissait que d'un léger dysfonctionnement – pas de suppositions, on avait dit.

Heureusement, le jeune homme le tira de sa réflexion et le surprit. Oh, vous parlez de la Luna Caffe , l'interrogea-t-il. Il n'y avait qu'un seul endroit où il avait bossé en salle, de toute façon. C'est bien la première fois qu'on me dit ça , plissa-t-il les yeux. Non pas qu'il passait inaperçu, mais tout de même, il y avait tellement d'habitants sur Boston et Cambridge, quel était le pourcentage de chances de croiser un client régulier ? Plus depuis Noël , l'informa-t-il, ce n'est pas que l'endroit était déplaisant, mais il faut savoir chercher de meilleures opportunités. Et il en avait trouvé une qui payait bien mieux. Les prêts étudiants, vous savez..., laissa-t-il en suspens. Il fallait bien les rembourser. D'autant plus que ses prêteurs n'étaient autre que ceux qui l'avaient parrainé et accueilli, et qu'il se sentait mal à l'aise de leur devoir encore quoi que c'était après tout ce qu'ils lui avaient offert ; un toit, de l'espoir, un avenir, entre toutes autres choses.

Vous êtes étudiant, ou travaillez dans le coin, se montra-t-il curieux à son tour. Pour trainer du côté d'Harvard, c'était à 90% soit l'un, soit l'autre, soit les deux.

Visiblement chacun cherchait à comprendre d'où venait le problème. Partout des murmures, des coups qui s'allongent pour tenter de porter le regard jusqu'à la cause de l'arrêt, et partout des haussements d'épaules et des moues désabusées. Personne n'y voyait rien, ils étaient tous coincés par une cause indéterminée et pour une durée indéterminée.
- Je prends rarement les transports. Faut croire que j'aurais dû marcher aujourd'hui aussi.
Les yeux plissés par un petit sourire contrit, il ne semble pas vraiment embêté par ce petit contre-temps. Priant seulement pour que ça ne dure pas des heures et des heures, Isaac n'avait de toute façon rien prévu ce soir, alors ses plans n'en seraient pas chamboulés. Mais oui l'homme avait probablement raison en sous-entendant qu'ils ne repartiraient pas avant un moment.

Affichant un sourire plus amusé ensuite devant le plissement des yeux perplexe de son interlocuteur, il se sent obligé de s'expliquer rapidement, au moins pour ne pas passer pour un fou.
- Je passais beaucoup de temps là-bas oui. Je voyais toujours les mêmes y travailler tandis que vous deviez voir passer des centaines de clients par jour, ça doit expliquer pourquoi votre visage me revient et pas l'inverse.
Isaac comme à son habitude garde un ton tranquille, pas le moins du monde inquiété par la situation. En tout cas oui, il sait de quoi parle l'ancien serveur, et si sa politesse ne prenait pas le pas sur sa curiosité, il demanderait sûrement de quelles meilleures opportunités l'inconnu avait su se saisir.
- Les deux, pour ainsi dire. Je rentre loger à Harvard, après m'être employé à servir des cafés et autres boissons toute l'après-midi. J'espère ne pas vous rappeler de trop mauvais souvenirs.

Le jeune homme faisait donc partie des clients réguliers de la Luna Caffe. Ji-hun comprenait mieux qu'il l'ait reconnu aussi rapidement, puisque le nord-coréen avait été le seul serveur homme le temps qu'avaient couru ses contrats – il ne savait pas exactement si c'était encore le cas aujourd'hui. Désolé que ma mémoire me fasse défaut , se montra-t-il sincère. Il y avait eu des hauts et des bas, des moments où il n'avait pas eu la tête que dans les latte art. Il suffisait que c'eût été pendant la période où les cours intensifs lui prenaient la tête, où il avait manqué de nouvelles de son père, ou bien quand les examens avaient commencé, peu avant qu'il accepte des heures supplémentaires de nuit à la réception d'un hôtel qui l'avaient fatigué.

Vous logez à Harvard, s'exclama-t-il en l'apprenant. Quelle coïncidence que de rencontrer un résident d'une confrérie dans un moment aussi troublant qu'était le freinage d'urgence d'un train de métro. Dans quelle maison, se contenta-t-il de demander. Il n'espérait pas à la Pforzheimer, parce qu'il se sentirait d'autant plus honteux de ne pas l'avoir reconnu, quand il faisait tant d'efforts pour s'intégrer depuis son emménagement chez les Dorés – ça ne portait malheureusement pas ses fruits. À croire que nous étions faits pour se rencontrer, plissa-t-il les yeux, loin d'avoir détesté son travail étudiant. Il y avait même pris tellement de plaisirs que ça lui manquait parfois. Dure journée , l'interrogea-t-il. Parfois il y avait des jours avec de bons clients, et d'autres sans.

Il était bien placé pour le savoir. Et si ça pouvait libérer un peu son interlocuteur d'en parler – même brièvement, alors il était tout ouïe ; que faire d'autre sinon ? Ça passera bien plus vite, très certainement. D'autant plus que, quelques secondes après la réponse du jeune homme, le chauffeur annonça via les haut-parleurs qu'il y avait un problème sur les voies. Le regard du nord-coréen croisa de nouveau celui de l'étudiant, et ils se comprirent sans même avoir à parler ; effectivement, ça prendra un moment jusqu'à voir redémarrer le convoi de passagers.

- Pas de soucis, répondit rapidement le brun, soucieux que son interlocuteur ne s'embarrasse pas de cet oubli. Moi-même je serais bien incapable de reconnaître la majorité des clients que je croise, même régulièrement.
Il appréciait ceci dit la sincérité de l'homme, il semblait être d'une grande douceur. Ca changeait des clients qui lui avaient aboyé dessus un peu plus tôt dans l'après-midi.
- Je loge à la Kirkland, depuis quelques mois seulement. Je ne crois pas vous avoir déjà croisé, vous devez loger dans une autre maison ?
A moins qu'ils aient des horaires qui ne leur permettent pas de se croiser. A la question sur son travail du jour, il afficha une petite moue en haussant les épaules.
- Parfois c'est difficile d'allier les cours et le service, mais bon maintenant que les examens sont passés ça va mieux. Et les clients du jour n'ont pas été trop exigeant, faisant une pause, il hésite à poursuivre avec son anecdote du jour avant de finalement se lancer. Bon puisqu'on va rester coincés longtemps j'ai le temps de raconter, un tout jeune garçon est venu acheter un muffin pour offrir à sa petite copine de l'école. Il lui manquait quelques cents mais j'ai complété pour lui, la joie de ce petit valait bien ces quelques pièces.
Il raconte avec un fin sourire, touché par à peu près n'importe quoi d'un peu doux. Il omet évidemment les deux clients plutôt désagréables qu'il avait encaissé aujourd'hui, préférant se concentrer sur le positif.

À la Kirkland, donc. Il fut vraiment rassuré que ce soit dans une autre Maison que la sienne qu'il résidait, ainsi il n'allait pas devoir s'excuser une deuxième fois et passer pour le mec complètement à l'Ouest. Là, il savait qu'il ne connaissait pas grand monde de la communauté étudiante, et qu'il ne cherchait pas non plus à se faire une place parmi elle, se contentant des rencontres aléatoires qui aboutissaient – ou pas – sur un type de relations. Pforzheimer , lâcha-t-il avec tant de facilité qu'il ne parut pas gêné de l'affirmer. Peu de personnes appréciaient réellement les Dorés, et parfois il comprenait pourquoi. Il n'avait pas l'impression de ressembler aux plus snobs et aux plus « naturellement » friqués, pourtant il savait qu'il y avait sa place pour les valeurs primaires et les qualités que la confrérie, haut et fort, clamait.

Il ne tergiversa pas plus longtemps sur ce sujet, de peur que l'opinion ne se fasse par ce détail plutôt que par la première impression – qui semblait bonne. Le travail, donc. Ils se retrouvaient tous deux dans ce domaine-là. Le nord-coréen acquiesça sans trop de mal aux premiers éléments de la phrase, et ça devait être pareil pour tout universitaire qui était obligé de bosser à côté. On était plus vite éreintés, le moral connaissait par coeur les montagnes russes à force de les grimper et les dégringoler, et tout un tas d'autres soucis à la clé. À l'anecdote, Ji-hun répondit : les adultes devraient en prendre de la graine... Il déclara ; et peut-être lui le premier. Il n'avait pas vraiment connu ce genre d'innocence étant enfant, ça le surprenait autant que le faisait culpabiliser. Enfin, il y avait toujours plus sauvage et animal que lui.

Je fais du tutorat, maintenant, reprit-il après s'être laissé le temps de la réflexion, ce n'est pas dans ce genre d'emploi que je vivrai beaucoup d'anecdotes, mais ça reste enrichissant. Juste autrement. Le partage des richesses culturelles était omniprésent sans même qu'il ne s'en rende compte. Et ça n'entravait aucunement l'objectif qui avait été fixé. Vous étudiez quoi, d'ailleurs, demanda-t-il en sortant son portable pour – très – rapidement, prévenir sa prochaine élève qu'il sera en retard.