A sensorial trip home (Ji-hun / 08.12)

ji-hun ft. soyi

a sensorial trip home

Début décembre, la première neige installe son drap sur les toitures de la Nouvelle-Angleterre. Comme chaque année lorsque cette saison approche les visages se ferment, l'ambiance se crispe, la solitude grimpe sur notre épaule et devient rapidement notre seule compagnie. Mais il n'était pas question pour Soyi de succomber aux lueurs mélancoliques de l'hiver. Au contraire. Même volonté pour la Pforzheimer. La pfo, c'est devenue sa seconde famille. Et dans chaque famille on se doit d'avoir des traditions qui aident à préserver cette étincelle qui leur est propre. C'était le moment idéal pour se réunir, partager et ... manger. Bon d'accord, la cuisine, c'est pas forcément son truc. Mais s'il y a bien une chose de véridique sur la jeune coréenne pétillante, c'est qu'elle ne s'avoue jamais vaincue. Oh que non.

Jeudi 8 décembre, retour de l'entrainement avec les cheerleaders. Il est 21h30, le calme règne sous le toit de la maison. La plupart des étudiants sont soit sous la couette, soit en ville adossés au comptoir de leur bar favori. Pas franchement une base idéale pour lancer une tradition. Mais Soyi est une femme occupée. Malheureusement, peu nombreux sont les soirs où elle peut se rendre disponible pour s'essayer en cuisine. Cela dit, la positivité c'est la clé. Son plat, elle compte bien le faire.

Douche rapide, tenue décontracte, iPad sous le bras et fraise tagada furtivement cueillie du bocal sur son bureau, la voilà prête à affronter les fourneaux. Au menu : des japchae. On ne peut pas dire qu'elle s'attaque au plat le plus évident, mais rien de tel qu'un vrai challenge pour se mettre en jambes dans le domaine. Elle se sert un verre bien frais de vin blanc, sort les ingrédients qu'elle est allé acheter la veille, puis fait défiler les différentes pages internet sur sa tablette en quête de la recette parfaite. En réalité, elle n'était pas bien sûr de ce qu'elle cherchait. Elle essayait surtout de trouver le site avec les plus belles images en espérant avoir un résultat similaire. Tiens il est beau celui-là... dit-elle en jetant son dévolu sur une recette d'un site coréen. Ok, on part là-dessus.

La voilà partie. Ça coupe, ça découpe, ça émince, ça fait bouillir, ça fait cuire, ça assaisonne. Après une bonne demi-heure, pas de catastrophe à l'horizon. On assisterait presque à une franche réussite. l'odeur du japchae commence à embaumer la cuisine de son doux et délicieux parfum. Mi-temps pour Soyi, direction Instagram pour quelques minutes de répit.

@Ji-hun Hwang & @Soyi Jang
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Ji-hun avait encore du mal à accepter le misérable classement du club de natation d’Harvard à l’invitation annuelle dans le Minnesota. Il avait rejoint le groupe de sportifs cette saison, et jusqu’à présent n’avait commis aucune erreur. Ensemble, ils avaient fait un sans faute, éliminant une à une les autres équipes, avec une avance remarquable ; M.I.T., Cornell, Dartmouth, même Columbia. Il ne savait comment expliquer cette défaite. Bien sûr, les texans et californiens étaient de bons nageurs, et il ne pouvait qu’applaudir leur niveau, ça ne l’empêchait pas de se poser des questions sur son futur d’athlète ; frôlait-il déjà sa retraite ? L’idée de devoir mettre fin à cette passion le rendait fou, parce qu’il ne savait pas comment la suppléer, et par quoi. Il avait de l’énergie à revendre, ne tenait pas en place lorsqu’il ne s’entraînait pas. Trop de mois s’étaient écoulés entre sa fuite de Corée du Nord et son arrivée à Boston, si bien que ses compétences « hors-norme » avaient connu quelques lacunes, mais...

Assis sur la chaise de son bureau, face à l’écran de son ordinateur, il avait laissé voguer ses pensées. Là-haut, dans un coin de sa chambre de la Pforzheimer House, il tentait de trouver des solutions au problème sus-évoqué ; devait-il lâcher Harvard et concourir en semi-pro pour espérer retrouver le niveau ? Était-ce au moins possible, était-ce au moins envisageable, pour un mec « comme lui » ? Ça avait été compliqué de se faire accepter par tous les sportifs des Crimson, quand l’information qu’il était réfugié nord-coréen avait fuité dans les vestiaires ; heureusement, ça n’avait pas eu le temps de trop s’ébruiter grâce à la réactivité des entraîneurs, mais est-ce qu’ils n'avaient pas raison de pointer du doigt l’ «ennemi » qui tentait de gagner en reconnaissance sous le drapeau américain ? Un bip sonna et l’extirpa de sa réflexion. Son téléphone annonçait le temps pour lui de prendre une pause. Il leva les bras au plafond pour étendre sa colonne et quitta son siège.

D’ordinaire, les jeudis étaient réservés aux moments de détente, mais un séminaire de trois jours l’attendait la semaine prochaine, et il n’avait reçu aucun message qui pourrait le faire quitter le peaufinage de ses discours. Il sortit de sa chambre, charentaises douillettes aux pieds, et prit le couloir jusqu’aux escaliers. Il avait besoin de se dégourdir les jambes – pas de renforcement musculaire, ni de préparation physique, ni de nage cette semaine, c’était donc primordial qu’il bouge. Il rejoignit le rez-de-chaussée, happé par une odeur familière à mi-chemin des marches. Il inhala les senteurs du bœuf mariné, de patates douces et de carottes, d’œufs qu’il ajoutait dans chacun de ses ramyeon déshydratés. Curieux, – bien trop curieux –, il se laissa guider jusque dans la cuisine où il découvrit une demoiselle devant ses fourneaux. Elle était de dos, plongée dans ce qui semblait être la fiche d’une recette sur son écran. Tu fais quoi, demanda-t-il ; c’était coréen n’est-ce pas ?

Sa voix grave la surprit probablement, et il s’excusa aussitôt : de te déranger, ce n’était pas mon intention. La syntaxe se voulait bien plus correct qu’au moment où il était arrivé à la Maison, mais son fort accent trahissait encore qu’il ne vivait pas sur Boston depuis des années. Oh, bonsoir ! Que c’était toi, je ne pensais pas, avoua-t-il, – même s’il fallait admettre qu’il aurait été davantage étonné qu’une autre personne puisse cuisiner ce genre de plats ici. Je suis désolé , fit-il poliment en penchant poliment sa tête plusieurs fois d’affilées. La curiosité était-elle un vilain défaut ? Ça sent bon, en tout cas, la complimenta-t-il. Ça éveillait en lui certains souvenirs,...