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17h46. Le soleil entamait sa longue descente dans le ciel mais l'horizon restait tout de même très clair ; chose peu habituelle pour un mois de Février qui voyait chaque année ses journées raccourcies de plusieurs heures. Le temps dépourvu du moindre nuage était la cause principale de cette journée à rallonge. Je me tenais debout près de ma fenêtre, mon flanc droit appuyé contre l'encadrement en bois ciré tandis que je finissais la dernière gaufre de l'assiette que m'avait apportée Roxanna la veille pour engager une session — devenue presque quotidienne — de confessions.
J'étais vêtue d'un bermudas noir sous lequel j'avais enfilé un collant couleur chair ainsi que d'un pull en cachemire gris clair et mes cheveux cuivrés tombaient en une longue cascade bouclée sur mon épaule gauche. J'avais passé une journée plutôt relax. Ma matinée avait été chargée mais, étant passionnée par la filière que j'avais choisie, je ne considérais pas cela comme une corvée. J'étais rentrée à peine une heure plus tôt et j'avais mis de la musique en fond pendant que j'observais l'extérieure, avide de prolonger cette impression d'accalmie dans ma vie.
Alors je m'assis sur le rebord de ma fenêtre et ouvris le calepin sur lequel je couchais à peu près tous les jours les idées de scénarios qui me trottaient dans la tête. Je me lançai à corps perdu dans mon écriture, ne relevant que brièvement la tête pour laisser l'environnement extérieur m'inspirer lorsque mon imagination me délaissait.
Soudain, après avoir relevé la tête tandis que je bloquais pour trouver un synonyme d'un mot qui ne me plaisait absolument pas, le choc me fit tout lâcher. J'entendis vaguement mes feuilles s'éparpiller sur le sol mais mon esprit était déjà loin ; le visage collé contre la vitre, j'observai avec ahurissement le jeune homme qui venait de quitter la résidence et qui s'éloignait à grands pas, accompagné d'un berger blanc suisse. Deux Êtres que je reconnaîtrais n'importe où et dans n'importe quelles circonstances. « C'est pas vrai... » soufflai-je en me frottant les yeux pour voir si je n'avais pas rêvé.
Ni une, ni deux, je bondis de mon lieu de prédilection et m'emmitouflai dans mon trench rouge avant d'enfiler à la hâte mes bottines. À peine deux minutes plus tard, je m'élançai dans la direction qu'avait pris le fantôme de mon passé ; je ne savais pas où j'allais, ni si j'avais rêvé sa présence ou même si j'allais vraiment finir par tomber sur lui en continuant d'avancer à l'aveuglette mais je ne cessai pas ma course pour autant. J'ignorai depuis combien de temps je marchai lorsque j'atteignis Charles River. Je m'arrêtai près d'un arbre, soupirai et baissai les épaules, défaitiste. J'avais probablement imaginé sa silhouette. Je marchai un moment le long du fleuve bordant les arbres, les mains dans les poches quand j'entendis un aboiement jovial.
Rien d'anormal pour un parc mais mon intuition me fit tout de même tourner la tête ; juste à temps pour voir un chien blanc comme neige me foncer dessus et me faire tomber à la renverse dans l'herbe fraîche. « Junkee ! » entendis-je au loin. Abasourdie, je tournai à nouveau les yeux vers le chien qui me léchait la joue, mon cœur palpitant effrontément. Le chien aboya à nouveau et mon esprit se décida enfin à fonctionner. Je ne l'avais pas rêvé, il était bien là. C'étaient bien eux que j'avais vus un moment plus tôt, mes yeux ne m'avaient pas joué de tours. Je me redressai et me mis à câliner avec force cette perle qui avait été trop longtemps absente de ma vie. Puis la réalité me rattrapa et je me relevai pour faire face à Julian, qui m'observait le visage fermé, debout la posture tendue à une dizaine de mètres de moi.
Mes lèvres esquissèrent un sourire nerveux sans avoir mon autorisation et j'enfouis mes mains dans les poches de mon manteau en sentant Junkee s'asseoir près de moi, le dos appuyé contre ma jambe gauche. Je sentis mon cœur gonfler dans ma poitrine, et l'air quitter mes poumons tandis que je mordais d'angoisse ma lèvre inférieure. Je mis un moment avant de prendre mon courage à deux mains et je parcourus la distance qui nous séparait, Junkee trottinant joyeusement à mes côtés. Je m'arrêtai à un ou deux mètres de lui, et me dandinai sur mes pieds en regardant le sol. « Tu es inscrit à Harvard ? » demandai-je, la voix faible et transpirant les remords. Je relevai la tête et fixai enfin mon regard dans le sien. « Depuis quand ? »
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