ISAAC MAY LICHTMAN ► jim sturgess

Lorsque vous me croisez sur le campus, vous vous dites sûrement que ce mec n’a pas d’histoire. Et bien…c’est vrai. Mon histoire n’a rien d’extraordinaire. Je n’ai pas été mordu par une araignée radioactive et je n’ai pas eu de parents à venger dès ma naissance. Je n’ai pas non plus de cicatrice foireuse et mal dessinée sur le front, ni de kryptonite extra-terrestre diluée dans le sang. Non, mon histoire est bien celle d’un jeune homme banal dont la seule particularité notable est celle d’avoir une mère juive hyper collante.

Tout commence le 12 novembre 1991. Ma mère, Lynda Lichtman Himmel pond enfin sa plus belle pépite : moi. Elle a déjà 40 ans et est l’une des avocates les plus renommées de la côte ouest. Son jeune mari, Joseph Lichtman, âgé quant à lui de 32 ans, est bien sûr présent. Vous vous demandez sans doute comment ils se sont rencontrés. Et bien, tout est assez banal, en réalité, même un peu cliché : Joseph travaillait comme secrétaire pour le cabinet Himmel, est tombé fou amoureux de sa patronne qui a fini par céder, malgré les problèmes qu’ils risquaient. Lorsque je nais, je suis donc convenablement entouré.

Enfin. Convenablement. Peut-être pas. Oui, parce qu’à l’hôpital, peu de personnes se sont précipitées pour venir me voir. Mes parents ont perdu tous deux leurs parents très tôt et, après le scandale que provoqua le mariage de Lynda et Joseph, les deux ont vu disparaitre de leurs carnets d’adresse tous leurs amis. Le jour de ma naissance est donc merveilleux, bien qu’un peu vide. Et, à vrai dire, je ne m’en souviens pas vraiment.

Ce dont je me souviens, par contre, c’est du départ de mon père, six ans plus tard. Joseph m’a toujours beaucoup aimé, bien que je ne le sache pas vraiment. Un peu en retrait, assez timide et réservé, les gens disent qu’il se laissait bouffer par la mère Himmel. Il est vrai que Lynda est le genre de femme à ne pas se laisser faire. Toujours occupée avec son cabinet, m’accordant toute son attention et délaissant par la même occasion mon père, Joseph est rapidement devenu l’objet de tous ses problèmes. Un peu de fatigue ? Acharnons nous sur Joseph ! Une affaire perdue ? Prenons-en nous à ce pauvre mari ! Des corvées oubliées par la femme de ménage ? Demandons au père d’Isaac. Les journalistes disent que c’est un miracle que Joseph ait eu la force de s’opposer à la mère Himmel et de demander le divorce.

Pour ma part, je ne sais pas. Il est vrai que mon père était un homme gentil, doux et patient. Mais, après son départ, ma mère m’a tellement enveloppé d’amour, de cadeaux et de liberté que je l’ai vite oublié. Vous connaissez les stéréotypes sur les mères juives ? Et bien, la mienne n’échappe pas à la règle. Encore aujourd’hui, elle s’arrange pour me téléphoner au moins une fois par jour et me rends elle-même visite toutes les deux semaines, accompagnée d’une babiole coûteuse comme prétexte.

A cause d’elle, ou plutôt grâce à elle, de mon point de vue, je me suis forgée une personnalité. A l’école, j’étais le garçon fier, moqueur, séducteur et drôle. Les filles disaient de moi que je n’avais aucune sensibilité, les garçons rigolaient avec moi du malheur de mes pauvres conquêtes. Et pourtant…je suis sensible. La preuve, les dessins animés Disney sont une grande source d’inspiration, pour moi. Je les analyse, décortique et répertorie avec la manie d’un scientifique scrupuleux. Les histoires d’amour qu’ils racontent sont parfois un peu barbantes et ne sont pas l’objet principal de mon étude mais, il faut bien avouer qu’elles ont leur charme. Bref, je ne suis pas du tout ce qu’on dit de moi. D’accord, je suis toujours de bonne humeur, et cela parce que je n’ai jamais connu la misère ou que j’ai tendance à effacer les souvenirs tristes de mon enfance, mais cela ne fait pas de moi une personne peu sérieuse. D’accord, je suis né avec une cuillère en or dans la bouche et j’ai tendance à afficher mon argent en public mais cela ne fait pas de moi quelqu’un d’avare et d’inaccessible. D’accord, je délaisse les filles comme de vulgaires mouchoirs, les appréciant véritablement plus pour leur sensualité que pour leur sensibilité, mais cela ne veut pas dire que je ne tomberai jamais amoureux.

L’histoire qui est donc mon histoire, est bien différente des grandes lignes que l’on pourrait lire dans un mauvais résumé wikipédia. Malgré ma mère, mon passé et mon caractère, il faut que vous sachiez une chose : depuis que je suis arrivé à Harvard, tout est différent. Enfin, différent, peut-être pas, ou pas vraiment. J’ai juste appris à savoir qui j’étais réellement. Je me suis inscrit en philosophie, avide d’en apprendre un peu plus sur la vie, l’homme et les objets qui nous entourent et je me suis rendu compte que c’était exactement ce que j’aimais. Je me suis également inscrit en journalisme. Ces deux matières, j’en suis accroc et jamais je n’aurais pensé que j’étais véritablement fait pour celles-ci. Avec elles, je me suis mis à lire des philosophes, de célèbres critiques afin d’assouvir mon besoin de connaissance. Contre toute attente, je me suis révélé également en cours, sans que je n’aie spécialement à travailler. Aujourd’hui, les philosophes sont devenus de véritables amis et je m’appuie sur eux lorsque je dois prendre une décision importante dans ma vie ou pour connaitre les sentiments du genre humain. Les gens disent de moi que je ne sais pas réfléchir par moi-même. Je n’y crois. J’en suis capable c’est juste que je choisis de ne pas le faire. Je préfère avoir un point de vue totalement objectif, placé au-dessus de ceux des autres, trahis par leurs sentiments. Bref, pour faire court, j’aime la philosophie depuis que je suis à Harvard.

Mais j’aime aussi la musique. Je fais d’ailleurs de la guitare depuis que je suis adolescent, après avoir délaissé le violoncelle que je trouvais trop ringard. J’aime également les filles, les vieux films en noir et blanc et les longs manteaux marines qui rappellent les pirates ou les vagabonds nocturnes. J’aime aussi beaucoup la photographie, vieille habitude que j’ai chopée depuis l’enfance. J’aime d’ailleurs beaucoup photographier des paysages dénués de vie mais tellement vivant qu’on se croirait dans une farandole de fantômes. Il m’arrive ainsi souvent de partir en voyage pour me perdre quelques jours complètement, histoire d’oublier qui je suis et le personnage étrange que je me suis forgé tout au long de ma vie.