SOYI JANG ► Hwang Ye-ji

Cross the Han river
Un kilomètre. Voilà ce qui sépare les arrondissements de Seongdong et de Gangnam. Un kilomètre matérialisé par le Han, un fleuve devenu tout un symbole pour Soyi. Au nord du fleuve, son ancienne vie. Au sud, sa vie d’aujourd’hui. On ignore bien souvent la manière dont 2 mondes peuvent coexister si étroitement l'un de l'autre. Elle n'a pas eu le temps de l'ignorer, elle. Alors qu'elle n'a que 7 ans, papa Jang développe un produit révolutionnaire pour l'industrie de l'informatique. En toute honnêteté, elle n'a jamais bien compris de quoi il s'agissait. Tout ce qu'il fallait savoir, c'est qu'il s'est mis sur le marché et les millions ont coulés à flots. Très vite. Samsung s'est d'ailleurs rapidement offert l'exclusivité de ses recherches et des ses produits. Il n'aura fallu que 3 ans pour que son père, ce génie hors pair, puisse faire déménager la petite famille sur l'autre rive du Han, dans l'arrondissement de Gangnam. Habiter cet endroit était un des objectifs de sa vie. Son succès et sa richesse ont toujours fait parti de ses priorités. Se consacrer à sa famille était un concept plus lointain, presque futile. Heureusement, sa mère était là pour le ramener à la raison quand il le fallait. Prof de psychologie à l'Université d'Hanyang, on devine rapidement l'origine du cœur ardent de Soyi. Elle ne laissait pas la nouvelle fortune monter à la tête de son mari. Il a beau avoir changé la vie de sa famille, c'est toujours elle qui portait la culotte et il ne valait mieux pas qu'il prétende le contraire. Pour ce qui est de Soyi, il est bien difficile de comprendre ce que l'on veut réellement à 10 ans. Cette nouvelle vie était surtout source de confusion plus que de tristesse. Ses ami.e.s allaient lui manquer, mais elle était encore suffisamment naïve pour croire qu'elle était simplement de l'autre côté de la rivière.

Throw the blue shell
Les Jang ont fait naître bien des jalousies dans leur district d'origine. Regards de glace, messe-basses assourdissants, isolement volontaire... Il n'était plus question pour Soyi d'y remettre les pieds, son père souhaitait la préserver, même s'il ignorait qu'elle ne pourrait faire qu'une bouchée d'eux s'ils la cherchaient. C'est à ce moment-là qu'elle a compris que sa vie avait définitivement pris une toute autre direction, laissant derrière elle ses ami.e.s mais surtout un ami en particulier. Vous savez ? Ce genre d'amour de jeunesse un peu naïf, mais qu'on n'oublie jamais vraiment ? Voilà ce qui restera son plus grand regret de cette ancienne vie. Il est parfois bien cruel de constater la fragilité de son cercle social.

Les voilà au sud du Han. Soyi et ses parents étaient devenus la nouvelle attraction de Gangnam, une success story qui forçait l'admiration chez les uns, la moquerie chez les autres. Certains voyaient en ce fabuleux destin une forme de chance qui n'allait pas durer, des personnes qui avaient la certitude qu'ils n'allaient pas être ici bien longtemps. Cette réputation de nouveaux riches allaient leur coller à la peau un certain temps. Mais elle s'en balançait sévèrement de ce que les autres pouvaient dire sur elle ou sur sa famille. La seule chose qui tournait en boucle dans sa tête, c'est ce qu'on lui a enlevé. Cette vie certes plus modeste, mais une vie qui lui convenait parfaitement. Quel est l'intérêt d'avoir un loft de luxe si c'est pour finir seule ? Il aura fallu quelques années pour que Soyi trouve sa place et se détache de cette image d'outsider. La jeunesse rebelle et dorée de Gangnam, des privilégiés qui pensent pouvoir changer le monde. Sauf qu'elle est persuadée d'en être capable, Soyi. Elle avait la rage, et même elle ne savait pas trop d'où ça venait. Rage de réussir pour prouver à son père, à ses anciens amis, aux gosses de riches et surtout à elle-même qu'elle n'était pas une paria ? Rage qui découle d'un désir sincère de secouer l'arbre que représente notre société ? Rage... naturelle ? Le principal, c'est qu'elle en veuille. Elle le sait, sa démarche et surtout personnelle, borderline égocentrique. Mais dans un monde qui ne lui a rien appris d'autre que l'individualisme, peut-on réellement la blâmer ?

And never look back
Le projet de Soyi, c'est secouer le monde de la mode avec son propre style. Casser l'image d'une caste superficielle et aseptisé où personne n'ose la différence. Pourtant, la culture coréenne la fascine. Elle l'aime d'amour même. Cet amour, associé aux cultures occidentales et celle du Japon, forge le style et l'univers de Soyi. Dans son quartier, les apparences sont reines. Contrôler son image, sa réputation, ses fréquentations sont des choses primordiales. Soyi, elle, s'en tape. C'est sans doute la raison pour laquelle elle a explosé sur instagram. Elle a compris le pouvoir de la plateforme vers 2016, lorsqu'elle avait 15 ans. Elle s'est prêtée au jeu, et sa nonchalance a fait le travail. 1 an plus tard, elle comptait 10k followers. L'année qui a suivi, 40k. Son réseau, largement orienté sur son univers qu'est la mode, lui a ouvert des portes qu'elle ne comptait pas traverser si tôt. Premières fashion weeks à 16 ans en compagnie de sa mère, des contacts à Paris, Milan, Londres, New York ou Tokyo, Soyi voit loin. Elle ne compte pas faire d'Instagram sa carrière, n'essayez même pas d'employer le terme "influenceuse" en lui faisant référence. C'est un outil, un passe-temps avant d'entrer dans la cours des grands.

Nous voici en 2019. Si cette ambition de réussir seule et de bouleverser son monde reste bien présente, ses objectifs se sont assagis. Soyi sait que son réseau dans le milieu de la mode est bien construit, bien rodé. Mais ces quelques années dans ce milieu impitoyable lui a fait comprendre certaines choses. C'est un monde qui ne peut assurer l'avenir de personne. Et voilà un problème auquel Soyi ne peut être confrontée. L'échec n'est pas une option, et si son style qui lui est propre lui tient à coeur, elle ne peut pas tout miser sur ce projet. Sa décision est prise, cela doit rester un side gig. Devenue une personnalité de la mode sur les réseaux sociaux, elle continuera de vivre sa passion de cette manière. En attendant, un nouvel avenir s'offre à elle. Ou plutôt, elle s'offre un nouvel avenir. Parce que Soyi, elle a de la suite dans les idées. Réussir oui, mais pas question de sacrifier qui elle est pour autant. Elle savait que sa créativité était un atout et que celle-ci allait forcément lui être utile. Un nouvel amour est né : l'architecture. Car pour changer le monde, il faut d'abord changer son visage, non ? C'était là le parfait compromis pour elle. Son grain de folie mêlé à son ambition et à sa volonté de créer son propre destin.

Son ardeur lui a permis dès la fin du lycée de décrocher une place dans l'école la plus prestigieuse au monde : Harvard. Harvard qui fut impressionné par la performance de Soyi aux examens d'admission l'accueillit les bras ouverts. C'était une nouvelle success story en devenir, la petite paria de Seongdong et Gangnam n'était plus. La fièvre Soyi allait s'emparer de Cambridge, and no one was ready for it.