And we will remember how funny it can be ft. Julia (10.12)

Ji-hun était allé à l’entraînement de natation la veille. Bien qu’il ne concourait plus jusqu’à mi-janvier, les résultats avaient été trop mitigés à Minneapolis pour que les swimmers and divers d'Harvard puissent se reposer sur leurs lauriers. Le début de saison avait pourtant été un sans faute – ils avaient même mené l’université de Columbia à la défaite. Il ne savait donc pas expliquer ce qui s’était produit la semaine passée ; le Texas avait mené. Le top10 n’était pas si mal pourtant, et les temps avaient été d’un très bon niveau, voire même meilleurs que les fois d'avant, mais ça ne le satisfaisait qu’à moitié. Comme une goutte d’eau qui venait remplir le verre déjà plein, il lui fallait penser à autre chose, et se tenir occupé avait été la meilleure solution qu'il eût trouvée. D’ordinaire, il aurait certainement proposé une balade non loin de l’océan à Joyce, mais là aussi sa relation avec la biologiste n’était pas au beau fixe.

Il avait feuilleté les activités proposées sur Boston en soirée et s’était inscrit in-extremis à cette leçon de cuisine qui se tenait dans une boulangerie/pâtisserie du centre-ville. Le niveau requis n’était pas exigeant, les débutants étaient d’ailleurs les bienvenus, et le programme restait de saison : confection d’une bûche de Noël pâtissière. Il n’était pas très sucrerie, mais l’idée de pouvoir épater sa famille d’accueil le soir du réveillon le motiva. Il n’eut besoin que de renseigner en ligne certaines informations personnelles, de payer ses frais d’inscription, et de se rendre sur les lieux du cours. Lorsqu’il arriva un peu avant dix heures, quelques personnes attendaient déjà devant les portes, et il se rapprocha pour se joindre à eux. Une fois qu’on l’eût remarqué – un peu difficile de passer inaperçu avec son mètre quatre-vingt-six – il salua l'assemblée d’un bonjour furtif, mais rendu énergique par son large et franc sourire.

Les pâtissiers n’attendirent pas bien longtemps avant d’être accueillis par le chef. Ils passèrent dans la salle où les clients faisaient la queue, puis empruntèrent une porte à l’arrière. Ils rejoignirent l’endroit où tout allait se dérouler. Propre de haut en bas, les meubles reluisaient et l’odeur typique d’un nettoyage de fond en comble chatouilla les narines. Il fallut créer des binômes, et le nord-coréen n’eut aucun mal à choisir rapidement sa partenaire. Il l’avait repérée en arrivant, parce qu’ils devaient être les deux plus jeunes de la fournée d’amateurs. Et s’il avait d’habitude des coups de cœur pour les femmes plus mûres, ce fut dans sa direction qu’il se tourna : ensemble, on tente ? Sa voix grave mais douce dévoila un accent prononcé qui ne pouvait faire illusion plus longtemps : il était étranger. La brune était jolie, et si elle était bonne cuisinière c'était le jackpot !

AND WE WILL REMEMBER HOW FUNNY IT CAN BE @Ji-hun Hwang — Tu avançais vers ce qui était presque de la torture pour toi. Cette voix qui n'avait pas arrêté de te pousser vers cette idée saugrenue que de prendre des cours de cuisine. Ta mère. Conseil numéro un selon elle : pour conquérir le cœur d'un homme, il fallait passer par son ventre d'abord. Et puis quoi encore ? Elle te voyait finir vieille fille sans époux, sans gosses. Et ? Tu ne vois pas le mal, tu te portes très bien sans toutes ces conneries, ces obligations. Tu es libre de faire ce que tu veux et pour toi, c'est ce qui compte. Ta liberté. Pourquoi t'as accepté ce délire en fait ? Allez savoir si c'est parce que ton dernier essai t'avait traumatisée ou si c'étaient les yeux suppliants de ta mère qui t'avait finalement convaincu. Cette cuisine est bien trop calme pour toi qui avais besoin d'action... Pas de peser au gramme près le sucre ou bien la farine à mettre dans un gâteau. Car au menu, une bûche de Noël. Ça va être un attentat gustatif, tu le sens déjà. Les personnes participantes cherchaient déjà le bon partenaire, et évidemment, les plus bons, se faisaient déjà aborder. Haussant les épaules, tu soupires alors qu'une voix plutôt masculine t'interpelle. Tu lèves très haut la tête face à ce grand brun. Ah ouais quand même ! Étonnée tout de même que ce soit vers toi qu'il se tourne. — T'es bien certain de ton choix ? Parce qu'il vient sûrement de choisir la pire de toute. Sourire que tu offres néanmoins, t'espères qu'il relèvera le niveau, parce que toi, tu crains de tout foirer. — Julia. Enchantée... ? Main qui tend amicalement histoire de te présenter. Tu sais aussi qu'après ce cours, il n'oubliera jamais ton prénom.

Ji-hun interpella la plus jeune des femmes du groupe de pâtissiers amateurs, celle qu’il avait déjà repérée à l’extérieur de la bâtisse. Une jolie demoiselle à la peau plus pâle que la sienne, mise en valeur par des cheveux très bruns, et un très beau maquillage. Séduit, on ne pouvait le cacher, il ne fit pas le choix le plus réfléchi, à savoir s’assurer qu’elle était aussi très bonne cuisinière. La réponse qu’il reçut lui fit hausser les épaules, non sans dessiner un sourire sur ses chairs colorées. On verra, supposa-t-il qu’il ne pouvait savoir à l’avance ce qui adviendra, peut-être que, les roi et reine de la bûche, on va devenir ! Il n’était pas interdit de rêver, certainement pas à l’approche de Noël. Il tendit sa main vers Julia qui se présenta et attrapa sa palme de la sienne pour faire de même : Jay, je suis… enchanté aussi. Comment ne pas l’être devant une beauté pareille ?

Il lui rendit sa liberté, se tourna vers la table où les équipements qui étaient pliés et classés par taille et s’en approcha. Je te passe du XS, ou du S, demanda-t-il après avoir passé un regard furtif sur sa silhouette ; vu sa petite taille, il ne pouvait en être autrement. Il prit le tas qui correspondait à sa réponse, lui tendit et fit de même pour lui. Il passa l’encolure du tablier, laissa glisser le tissu sur son corps mais ne le noua pas tout de suite. Attends je vais t’aider, se proposa-t-il pour nouer les lanières dans le creux de son dos, ça te va bien, je trouve. Il la complimenta avant de se montrer curieux : t’es dans la médecine ? Déjà diplômée ou en proie à le devenir, peut-être ? Non, parce que la blouse lui siérait sans aucun doute.

AND WE WILL REMEMBER HOW FUNNY IT CAN BE @Ji-hun Hwang — Ju tu n'as aucune idée par quoi tu dois commencer, cette cuisine te fait penser à un géant labyrinthe dont tu ne retrouveras probablement jamais la sortie. Rire écorché par ta voix, tu t'étouffes presqu'en entendant les paroles du jeune homme. Toi ? Devenir Reine de la bûche ? Inimaginable. — Ce n'est pas interdit de rêver en soit, mais de mon côté si je dois être couronnée, ce sera sûrement reine de la bûche cramée ! T'aimes ton bide, c'est une certitude Julia, mais pour ce qui est de le nourrir toi-même, tu n'es pas comme toutes ces filles bonnes à la cuisine. — Est-ce que tu connais ce proverbe ivoirien, "petit marteau, casse gros caillou" ? Ton regard est tombé sur ce proverbe une fois, tu ne sais plus où et quand, mais c'était comme s'il avait été créé pour les petites tailles. Alors, oui, tu es petite Julia, mais il ne faut surtout pas te sous-estimer. Il se propose de t'aider pour nouer ton tablier, tu aurais très bien pu le faire toute seule, mais il te semble sympa, alors tu laisses faire. Pivote d'un coup, sourire étirant tes traits. — Merci. J'en porte à mon boulot également. Je suis serveuse. Tu t'arrêtes là, peur d'en divulguer trop. Sait-on jamais. — Non du tout. Je sais juste faire les premiers soins de secours, mais à part ça, je n'ai rien à voir de près comme de loin à la médecine. Et toi ? Tu veux devenir chef cuistot ? C'est pour ça que t'es là ? Comme à ton habitude, tu poses trop de questions, mais t'y peux rien Julia. Ta plus grande maladie est la curiosité et elle finira sûrement par t'arracher à la vie un jour.

Ça reste dans le thème de Noël , répliqua-t-il gaiement à la couronne qu’elle se dédierait. Tant pis si elle ne se mangeait pas contrairement à celle qu’ils allaient préparer, la bûche de bois tenait chaud, tout comme ce moment convivial apaisera forcément les cœurs. La suite dessina une mimique désolée sur son visage, parce que des proverbes il n’en connaissait pas beaucoup. Il apprenait les expressions au fur et à mesure de ses échanges, et il fallait bien avouer que la Côte d’Ivoire, il ne connaissait pas du tout – ce qui s’y disait encore moins. Il lui noua son tablier, façon d’apprendre qu’elle était serveuse, il ne put que s’exclamer : Aussi ! À côté de mes études, dans une brasserie je travaille. La meilleure de toutes, au point que les notes attribuées sur les plateformes frôlaient la perfection. Ça va faire…, commença-t-il avant de compter, les yeux tournés vers le plafond, huit mois déjà. Que le temps passait vite ! C’était toutefois son dernier au sein de la Luna Caffe.

Moi, rit-il en liant les lacets autour de sa taille, non pas du tout. Comme toi, à faire cramer des bûches dans un foyer, je suis bien meilleur. Parce qu’il avait eu l’habitude de s’occuper des fagots de bois à mettre dans la cuisinière familiale bien plus jeune, contrairement à la cuisine qui avait été réservée à sa mère et ses sœurs. Je suis doctorant, l’informa-t-il, première année de pharmaco. C’était un génie des tubes à essai et bécher, pas des fourneaux. Je le passe avec des amis, le jour du 25, dit-il, apporter quelque chose fait maison au déjeuner, j’aimerais bien. Bonne intention que de donner de soi aux autres, pas vrai ? Et toi, retourna-t-il la question ; pourquoi était-elle là ? Le chef de cuisine arriva peu de temps après avec un récipient où étaient pliés des petits papiers et le présenta au duo. À l’intérieur se trouvaient plusieurs recettes de bûches, de celle au chocolat à celle plus fruitée. Je te laisse piocher, l’invita-t-il à sceller leur destin.