... and I kinda missed our habits ft. Cassandre (27.11)

Ji-hun actionna son pass au niveau de la porte rouge de la Maison, et se prit de plein fouet les divers fonds sonores qui appartenaient à une vie en communauté. Malgré l’angoisse qui l’avait étreint, il faisait tout de même bon de revenir chez soi. Il monta à l’étage, salua furtivement deux résidents qu’il croisa sur son passage avant de longer le couloir jusqu’à sa chambre. Peu habitué à verrouiller sa porte, il empoigna la béquille mais ne l’enclencha pas tout de suite. Une vive pensée le parcourut, et il osa tourner la tête vers le pan qui renfermait l’espace privé de sa voisine de pallier. Cassandre et lui avaient un rythme de vie similaire, ce qui leur permettait de se croiser régulièrement ; était-elle là ? Il calqua le bois un instant, avant de se résoudre à passer son encadrement.

Il s’enferma dans sa chambre pour les heures qui suivirent. Heures durant lesquelles il bucha sur les quelques précédentes recherches qui avaient été effectuées sur la prématurité et ses conséquences, puis plongea dans la rédaction de sa thèse doctorale. Ce fut toutefois sans compter sur l’apparition de bâillements en rafales qui l’empêchèrent de voir clair sur son écran d’ordinateur. Il frictionna ses paupières closes de son pouce et de son index, avant de vérifier le positionnement des aiguilles. L’heure idéale pour rejoindre la salle de bains avait sonné, car la plupart des étudiants s'étaient isolés ou s’étaient entassés dans les endroits communs. Il enfouit rechanges et produits d’hygiène dans son duffle bag, attrapa ses tongs et sa serviette avant de sortir.

Arrivé à destination, il laissa ses chaussons à l’entrée de la pièce d’eau et les troqua pour ses claquettes. Il referma la porte de la salle de bains mixte derrière lui et se contenta du silence qui l’accueillit ; il était seul. Sac posé sur la planche des lavabos, il put se défaire un à un de ses habits, prenant soin de retirer son boxer une fois la serviette nouée à la taille – au cas où, et rejoignit une des cabines, gels en mains. Linge doux coincé au-dessus de la paroi mobile, il régla la hauteur du pommeau pour convenir à son mètre quatre-vingt-six, tourna ensuite le robinet et se prélassa sous les jets tièdes qui ruissellèrent sur sa peau. Il commença à frictionner le haut de son corps quand il entendit une personne faire irruption dans la pièce.

Ses gestes se stoppèrent automatiquement ; est-ce que ça pouvait être elle ? La facilité aurait voulu qu’il lui demande, mais il se serait senti ridicule si ça n’avait pas été le cas. Il resta alors dans son mutisme et reprit ses massages. Il ne put toutefois s’empêcher d’agrandir son sourire à cette idée, et se savonna bien plus énergiquement, en prévision de sa sortie. Rincé, il tira sur le rectangle moelleux et essuya d’abord ses cheveux, s'ensuivit le reste de son anatomie. De nouveau, la serviette entoura son bassin et le claquement de ses tongs résonna sur le carrelage. Il rejoignit son polochon pour y ranger son gel douche et son shampoing, et vint le moment d’enfiler des affaires propres. Il passa son boxer sous le linge, et s’habilla de son t-shirt.

Il était entrain de compléter sa tenue d'un short en molleton quand la porte de la cabine voisine retint toute son attention ; alors ?

L'habitude de se prélasser sous les jets d’eau chaude n’était pas encore acquise. Les coupures de chauffage et d’électricité massives dans les villes du nord de la péninsule coréenne, ainsi que la hargne avec laquelle les bourreaux du centre de l’immigration japonais dépêchaient les détenus à se satisfaire de leur seul passage hebdomadaire en salle de nettoyage, avaient laissé vingt-six ans de gestes efficaces et rapides se répéter et s’ancrer. Frictions passées sur l’entièreté du corps, savonné à la fraîcheur des figues de barbarie, au gel « sauvage » de Dior – j'adore – , ce qu’il aurait aimé davantage, ç’aurait été de connaître l’identité de la personne qui était entrée dans l’espace commun. Savoir s’il retrouvait là une part de son quotidien d’avant, de ces parts qui donnaient un rythme rassurant aux journées passées à la Maison, à défaut de se sentir complètement intégré. L’idée tatoua une large esquisse à ses chairs bien dessinées et épaisses.

Porte qui s’ouvrit sur une autre qui se ferma, Ji-hun quitta la cabine de douche. Claquettes aux pieds, il trottina jusqu’au long plateau, près de son sac ballon, et rangea ses produits. Parce qu’il réservait sa complète nudité aux femmes qui partageaient ses plaisirs, il était de coutume qu’il passe rapidement un boxer sous la serviette enroulée à sa taille. Il continua de s’apprêter, glissant le col de son t-shirt contre sa tête, lissant ses cheveux en pagaille et encore humides sur son passage. Il les ébouriffa, heureux du volume capillaire que sa mère lui avait transmis, et fit tomber le rectangle éponge au sol. Short en molleton prêt à habiller son sous-vêtement noir entre ses doigts, il leva le regard sur le miroir qui lui faisait face, et fixa le pan mobile qui s’était, plus tôt, clos derrière le corps de l’inconnu(e) ; alors ? Alors il ne trouva pas le courage d’interpeller, préféra tourner ses billes sur les vêtements délaissés sur le lavabo, et puis…

Mots qui s’élevèrent dans la salle de douches. Qui, malgré le ton accompagné d’un peu d’animosité, firent sourire le doctorant. Um, acquiesça t’il d’une vibration de ses cordes vocales. Puis, de sa voix grave et douce à la fois, reprit : longtemps ça faisait ; uri, jeohui beoreushi*… Il en avait vécu d’autres pendant sa fuite, avait retrouvé la maison qui l’avait accueilli à son arrivée, et les personnes qui avaient pris soin de lui – continuaient d’ailleurs de le faire, mais ça n'empêchait que Cassandre restait… Cassandre. Elle n’était pas des plus sociables, paraissait même détester tout le monde, lui y comprit, mais il s’y était attaché, n’avait aucun mal à l’admettre contrairement à la brune. Est-ce que ça va, demanda-t-il alors qu’il passait enfin ses jambes dans son bas. Trois semaines s’étaient écoulées depuis l’enlèvement, depuis son départ. Elle n’était d’ordinaire pas bavarde mais, sincèrement intéressé, il s'y risqua.

« Um », juste ça pour confirmer son identité. C’était lui, et c’était elle. Les deux colocataires se retrouvaient enfin après des semaines de séparation. Ça avait duré le temps que ça avait duré mais, effectivement, « longtemps » résumait parfaitement la situation. Eux et leurs habitudes avaient connu un stand-by brutal et radical. Du jour au lendemain, Ji-hun s’était absenté de la Maison. Et si on pouvait comprendre qu’un bref séjour à l’hôpital avait été nécessaire pour toutes les victimes, c’était différent quand le retour se faisait désiré. Chacun avait doucement repris sa vie avec plus ou moins de difficultés, mais la porte du nord-coréen, elle, était restée fermée. Pas à clé, parce qu’il ne verrouillait qu’en cas de réelle nécessité, mais elle n’avait pas grincé, n’avait même pas été laissée entrebâillée. Une fuite un peu égoïste, c’était vrai. Mais ça ne l’avait pas empêché de penser à Cassandre, ni même de se demander si, aujourd’hui, elle se portait bien.

La porte de la cabine de douche s’ouvrit sur la brune, les gouttes d’eau encore accrochées sur sa peau entièrement nue. Ji-hun releva le regard sur le miroir qui lui faisait face, mais le baissa aussitôt en s’apercevant que sa comparse Pforzheimer se présentait dans sa tenue d’Ève – encore. Il se concentra sur les lacets qui pendaient de son short, prit son temps pour faire un nœud avec, puis des boucles. Ça et là , répondit-il lorsqu’elle voulut savoir où il avait bien pu se terrer, mais pas ici. Dans le lit d’une jeune femme de dix-neuf ans d’abord. Il avait capitulé et s'était transformé en peluche à câliner. Il s'était pris des coups de pieds parfois, lors des nuits un peu plus agitées de Liv. Il avait découché quelques fois dans des chambres d’hôtel pour retrouver Joyce, et faire passer ces angoisses dans les draps en sa compagnie. Il avait aussi élu domicile dans un canapé, dans cette pièce où passait les membres d'une famille à longueur de journée ; ses cernes en étaient le résultat.

Tu imagines…, répéta-t-il, avant de lancer un souffle rieur entre ses lèvres souriantes ; quelle expression était-ce encore que ça ? Oui, non, bof, étaient des réponses qu’il pouvait comprendre, mais « imaginer aller bien » sonnait bien étrange dans sa langue maternelle. Quant à lui : ça va ; malgré tout ça, de retrouver ma chambre, je suis content. Quand même. Regagner un peu d’intimité entre ces quatre murs, et pouvoir s'y consoler. Il s’observa et approcha son visage de son propre reflet avant de toucher son menton, puis l’épiderme sous ses pommettes saillantes. Mis à part ça , ajouta-t-il en grimaçant. Il avait déjà eu de la moustache – et encore bien tard, après sa vingtième année, mais était passé dans les mailles du filet d’être doté de poils sur d’autres zones de son faciès, jusqu’à présent. Sur ma liste de voeux pour Noël, ça ne l’était pas, ça , s’exclama-t-il avant de laisser s’échapper quelques éclats ; il avait reçu le mauvais cadeau, et bien plus tôt que la date annoncée.

Le doctorant faisait fi de la mauvaise humeur qui teintait la voix de la brune, il espérait toujours que son entrain pourrait la rendre plus aimable à son égard, même s’il l’acceptait comme elle était. L’asiatique plongea sa main dans le sac ballon pour dégainer sa crème à raser et se pencha en avant pour récupérer sa serviette qui traînait encore par terre. Il la passa sur l’une de ses épaules et tourna enfin la tête vers sa voisine de pallier. Bien que désireux de ne faire aucun écart, ses yeux ne purent s’empêcher de passer rapidement sur sa jolie silhouette, – sa poitrine, son nombril, son bas-ventre,…–. Il porta ensuite son attention sur la porte de la salle de douches et lui conseilla : t'habiller plus vite tu devrais, non ? Pour qu’elle n’ait pas froid déjà, pour éviter qu’un autre résident puisse la voir ainsi dévêtue ensuite.