CONRAD ACKERLEY ► tom payne

It has been said that time heals all wounds. I do not agree. The wounds remain. In time, the mind, protecting its sanity, covers them with scar tissue, and the pain lessens, but it is never gone.

Né le 21 Décembre 1986, Conrad est venu au monde dans la solitude la plus complète. À l'heure où ses pleurs retentirent dans les oreilles de la sage-femme, sa mère prenait son dernier souffle. L'un troquait les baignades amniotiques contre la fraîcheur de la salle d'accouchement, tandis que l'autre s'offrait aux bras décharnés - mais néanmoins, accueillants - de la silhouette portant une faux. Son père, quant à lui, était on-ne-sait-où et ne tarderait pas à apprendre que sa femme avait succombé d'une hémorragie interne. Comment était-il possible de célébrer la vie quand l'être aimé l'avait troqué contre le vide abismal de la mort ?

La solitude se transféra au père. La culpabilité rongea le fils.

Exemplaire, Connie fut le petit garçon dont tous les parents rêvaient. Il était poli - aucun mot prononcé n'était une insulte. Ses notes étaient excellentes. Les préceptes étaient enseignés et appliqués. Il n'y avait rien à redire sur son attitude, sur lui-même. Seules des éloges pouvaient être faites. Pourtant, ça n'a pas empêché son père d'être injuste envers lui et de trouver toutes les excuses du monde pour le blâmer. Tout n'était que déception à ses yeux. Il l'avait même traité d'incapable - ce qui n'avait pas manqué de blesser son cœur fragile. Il avait fini par s'endurcir et par trouver un échappatoire. Son lieu de prédilection fut la bibliothèque. C'était son refuge, là où il pouvait dénicher cet amoncellement de feuilles de papier reliées contenant des mots imprimés. Les livres étaient devenus sa passion - les dévorant par dizaines. Connie devint Conrad, le rat de bibliothèque.

À l'adolescence, il trouva sa voie après avoir appris ce qu'était la criminologie. Les bouquins lui ont ouvert les portes de l'étude du phénomène criminel. Aux yeux des autres, ça pouvait sembler morbide, mais ça ne l'était point. Lui, ce qui l'intéressait, c'était de comprendre les rouages du cerveau des criminels, notamment des tueurs en séries. C'était de deviner ce qu'il se cachait derrière l'âme du mal. Comment l'habitus pouvait impacter la psychologie des malfaiteurs et la façon dont leur cerveau se construisait ? Les individus ne faisaient jamais rien par hasard - c'était un concept universel, alors pourquoi en aurait-il été autrement pour les pires monstres que l'humanité ait engendré ?

Trahissant Oxford, ce fut à l'Université de Cambridge que Connie avait décidé de faire ses études. Son institut de recherches criminologiques était l'un des meilleurs du pays, alors il s'y installa et se mit au travail - donnant tout pour parvenir à ses fins, pour réussir ses années dans l'enseignement supérieur. Il avait un rêve à réaliser.

La veille de l'obtention de son Master, il est revenu à la maison - un retour exceptionnel. Quelqu'un avait une confession à faire. Sur son lit de mort, son père le déchargea de son fardeau en reconnaissant qu'un nouveau né ne pouvait être tenu pour responsable du décès en couches de sa génitrice. Sa conscience fut soulagée d'un poids. Toutefois, lorsque le patriarche succomba des complications liées à son cancer, le flambeau empoisonné - qu'était le deuil - lui fut transmis. C'est ainsi qu'à vingt-trois ans, Conrad devint le dernier membre des Ackerley.

La culpabilité s'en alla. La solitude revint au fils.

Happé par la solitude qui découlait du fait d'être devenu un orphelin, l'héritier de la famille déchue se lança - corps et âme - dans ses études. Ce fut à l'occasion d'un stage qu'il trouva sa vocation. Ce qui le faisait vibrer, c'était le fait d'enseigner aux autres, de partager ses connaissances. Il se tourna vers le professorat et ainsi, il se lança dans l'aventure qu'était le doctorat avec sa thèse, ainsi que ses heures passées à plancher sur ses recherches. Il obtint un diplôme pour la troisième fois de son existence et déménagea à Londres, la capitale de ce pays si chère à son cœur, pour y commencer à enseigner. Il avait réussi. Il avait maîtrisé la criminologie et avait la vie devant pour lui pour faire son métier par passion.

Conrad avait déjà eu quelques relations - par ci, par-là, mais aucune n'avait jamais duré assez longtemps pour qu'il puisse considérer que c'était du sérieux. Du moins, ce fut le cas jusqu'au jour où il croisa la route de Tanya Kuznetsova, une étudiante en Histoire des Arts. Ce fut le coup de foudre. Dans un premier temps, leur relation était amical et chacun impressionnait l'autre avec ses connaissances. L'amitié - qui avait commencé par une admiration commune - se transforma en une liaison amoureuse. Elle était parfaite pour lui et l'arracha à son isolation. Ce fut dans le but de partager son existence avec un être humain le comprenant qu'il finit par la demander en mariage. Une élégante bague rejoint l'annulaire de la demoiselle et fut - bientôt - remplacée par une alliance. Le mariage fut intimiste et à leur image. Le bonheur à deux se substitua à une solitude destructrice et Sam finit par avouer qu'il était heureux.

La solitude ne fut plus.

Connie n'avait que peu de souvenirs de la nuit qui a changé le cours de son existence. Dans sa mémoire, ce souvenir luisait en milles morceaux. Fractionné. Fracturé. Tout ce dont il arrivait à se souvenir, ce n'était que des fragments. Les vitres de la voiture qui ont explosé - lui égratignant le visage. La collision. Les sirènes de la police. L'intervention des pompiers. Ses côtes brisées. Et l'ultime bribe, le corps sans vie de Tanya qui était allongée sur le bitume. Le plus déchirant, c'est qu'il conduisait cette nuit-là. Peut-être que c'était sa conduite qui l'avait tuée. Personne ne le saurait jamais.

La perdition commença. La culpabilité et la solitude ne firent plus qu'une.

L'appartement semblait vide et le souvenir de son épouse hantait les lieux. Ses vêtements se trouvaient encore dans le dressing. Leurs photos ornaient les murs. Son odeur flottait dans l'air. Autour de lui, tout lui rappelait la cause de la douleur béante qui se trouvait dans sa poitrine. Il n'avait plus la force de se rendre au travail. Il n'arrivait plus à fermer les yeux. Les flashbacks obscurcissaient son esprit - corrompant ses pensées. Plus rien n'était clair. Plus rien n'avait de sens. Il était perdu, parce qu'il l'avait perdu. Il n'avait fallu qu'une nuit, qu'un instant. Deux destins avaient volé en éclat. Deux existences s'étaient brisées.

Diagnostiqué dépressif et atteint d'un syndrome post-traumatique complexe, il arrivait - à peine - à sortir la tête hors de l'eau. Il était à deux doigts de sombrer, de ne plus jamais se relever - jusqu'à ce qu'on le menace de l'interner. Ce ne fut qu'à ce moment-là qu'il commença la thérapie. Pourquoi ? Il ne le savait pas lui-même. Peut-être, parce qu'au fond, l'enfant en lui voulait s'accrocher à la vie.

La culpabilité s'amenuisa. En apparence, seulement. La solitude devint un choix.

Les décisions impulsives se sont toujours trouvées au cœur de son existence. Il n'a jamais fonctionné autrement. Alors, quand on lui a suggéré que le renouveau lui ferait le plus grand bien, il a eu une idée folle : partir à quasiment cinq mille kilomètres de Londres pour prendre un nouveau départ dans un pays que Tanya rêvait de visiter. Boston est devenue sa porte de sortie, la prochaine étape de sa thérapie, alors il a tout quitté. De toute façon, il ne lui restait rien, ici. Ainsi, Harvard lui a ouvert ses portes - ayant besoin d'un professeur de criminologie - et les Etats-Unis ont voulu de lui. Sa nouvelle aventure a commencé. Peut-être que cela allait réellement lui faire du bien, l'aider à avancer.

Boston est devenue sa maison, son havre de paix. Il aime boire son thé en admirant la vue que lui offre son loft. Il a ses habitudes et ses endroits fétiches. Il aime toujours autant son travail et la criminologie le passionne plus que jamais. Il a goûté - de nouveau - à la vie. En apparence, la vie de Conrad Ackerley a repris son court, mais la réalité est tout autre. Ce sont les médicaments posés sur sa table de chevet qui prouvent le contraire. Il y a toujours ses fameux cauchemars, ses hallucinations incessantes à la nuit tombée. Et cette solitude du cœur. Pesante. Morne. Profonde. Choisie. Nécessaire à sa survie - en somme. Il a fini par croire que c'était sa destinée.

La solitude, c'est une vieille amie, mais l'avenir, ça lui est inconnu et qu'est-ce que ça lui fait peur de ne pas savoir.