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IL FUT UN TEMPS, JE T'AURAI TOUT DONNE. MAIS TU AS JOUE, ET TU AS PERDU. - CHARLES-EDOUARD & EVELYN.
Les mots courent sur le papier, comme jamais. Mon stylo griffonnent des lettres à peine visibles, les idées se déversent, les phrases apparaissent les unes après les autres. Je n’ai pas été si inspirée depuis bien longtemps et je ne peux cesser d’écrire. Pourtant, lorsque je jette un œil à l’horloge murale je me rends compte que l’après-midi est déjà bien avancée et que je n’ai pas encore été cherché les affaires dont j’ai besoin à l’université. Je mordille mon stylo et je pèse le pour et le contre. Serais-je aussi inspirée en rentrant ? Mes affaires ne peuvent-elles pas attendre un jour de plus ? Je sais bien que non, j’ai besoin de ces cahiers pour boucler un dossier sur le théâtre du vingtième siècle. Ma bouche traduit une moue hésitante et finalement, je referme mon stylo bleu et l’abandonne sur le bureau. Il n’y a aucune raison que l’inspiration ne me quitte à présent. Je tente de m’en persuader tout en enfilant une petite robe en lin blanche. Celle-ci tombe parfaitement sur mes hanches. Je virevolte devant le miroir, telle une enfant excitée à l’approche de noël. Pourtant, c’est bien autre chose qui me rend si impatiente. J’ai prévu un petit week-end à Cuba et j’ai tout simplement hâte que la date arrive enfin pour monter dans l’avion et m’envoler pour deux jours de bains de soleil, de baignades et de retrouvailles avec Ethan. J’attrape dans le fond de l’armoire une paire de chaussure et les enfile à la hâte avant d’enfourner dans mon sac téléphone portable, clés et rouge à lèvre. Je ferme soigneusement derrière moi ma chambre chez les Cabot et m’extrait de la grande villa en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Le soleil est haut dans le ciel et alors que les étudiants flânent dans l’herbe j’aimerai les imiter. J’aimerai m’allonger, les pieds en éventail et laisser le soleil réchauffer ma peau au teint déjà hâlé. Sentir l’herbe sous mes doigts, et la chaleur de ce mois de mai. Mais il me reste encore tant à faire. Et je n’ai nullement le temps de me détendre. J’avance machinalement sur le campus, je croise quelques têtes connues que je salue sans m’attarder, en réalité, je suis perdue dans mes pensées.
Je pousse la porte du grand Hall pour rejoindre au plus vite mon casier, attraper ce dont j’ai besoin et rebrousser chemin pour retrouver le plaisir d’écrire. Mon père m’a toujours encouragé à écrire ma propre histoire, mon propre roman. Pourtant, j’ai toujours eu tellement peur de me lancer, j’ai préféré choisir d’étudier le théâtre et la littérature anglaise pour palier à ce désir. C’est plus simple d’être sur scène, de jouer un personnage, de recréer une intrigue bien ficelée par un auteur renommé, que d’écrire soi-même l’histoire. Pourtant je lui ai promis, sur son lit de mort, de me faire connaître en tant qu’écrivain et aujourd’hui je ressens comme ce besoin de tenir ma promesse. Notamment depuis quelques temps, l’inspiration m’a comme par magie souffler les premiers mots et depuis une dizaine de jours, j’écris dès que Molly dort, la suite de ce roman. Celui-ci parle de ce que je connais, de l’abandon, de l’amour, de la mort aussi. Le deuil y a sa place, tout comme la colère ou encore le bonheur. Je veux retranscrire toutes ces émotions qui nous submergent si souvent… Finalement je me fige devant mon casier et l’ouvre à l’aide de mon code secret. J’attrape furtivement ce dont j’ai besoin et les enfourne à leur tour dans mon sac à main. Avec ça, mon dossier ne devra bientôt être qu’un loin souvenir. Et je vais même peut être parvenir à le rendre dans les temps. Je souris à cette idée, referme la petite porte en acier et me retourne, prête à rentrer chez moi.
Pourtant lorsque je me retourne je me retrouve nez à nez avec un homme dont le regard évoque immédiatement en moi des souvenirs jusqu’alors mis de côté, et enfermés dans un coin de mon esprit, volontairement. C’est impossible. Harvard est si grand, comment a-t-il pu être possible que je me retrouve face à lui maintenant. Les mots sont comme bloqués dans ma gorge. J’entre-ouvre les lèvres mais aucun son ne sort. « Charles-Edouard ? » S’il y a une personne que je ne m’attendais pas à voir ici, c’est bien lui. « Comment est-ce possible ? » Mes jambes tremblent et alors toute la colère que j’ai ressentie pour lui s’empare de mon être. Je laisse tomber mon sac au sol. J’étais persuadée d’être parvenue à ne plus lui en vouloir, c’était l’étape nécessaire pour l’oublier. Mais c’était simple de me convaincre que je ne lui en voulais plus sans l’avoir en face…
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