reality (ruby)

la journée est longue, ta présence était nécessaire pour ce procès, appelée à la barre pour présenter ton expertise sur l’accusé. une sordide affaire, l’histoire d’un homme, atteint de trouble schizophrénique qui a tué sa mère à l’arme blanche, couteau de cuisine qui avait laissé une trentaines d’entaille sur le corps de la pauvre femme. lorsqu’il avait été arrêté il y a de ça quelques jours seulement, le soir même du meurtre, il avait manifesté plusieurs signes d’incohérence. une analyse psychologique avait donc été requise et c’est à toi que l’on avait fait appel.
tu te rappelles encore de ce sentiment ressenti la première fois que tu t’étais retrouvé face à un criminel à analyser, bien sûr que la violence t’effrayait au vu de ton passé, seulement, grâce à celui-ci tu t’étais promis de rester droite, forte, de ne jamais vaciller. montrer aucune faiblesse pour ne pas être attaquée, tel était ton crédo.
alors, oui, face à cet homme qui semblait faire deux fois ta taille, que ce soit en hauteur ou même largeur, tu ne t’étais pas laissé démonter, tu avais enfilé de costume de psychologue avec la distance qui s’y impose.
lors du procès, tu avais du expliquer à la cour, au jury populaire avec des mots simples mais clairs, que tout le monde puisse comprendre tes conclusions sur le dossier puis, une fois fini, tu avais quitté le tribunal. dossier rangé dans ta sacoche, tu t’dirigeais vers ton appartement.
tu préférais quand les affaires se passaient à boston, bien plus simple, bien plus agréable de pouvoir rentrer chez soit. casque vissé sur tes oreilles, tu montais le son à fond, t’isolant du monde, après cette journée t’en avais besoin. tellement dans ta bulle que tu remarques même pas la tête blonde qui marche dans ta direction, cette tête qui t’connais, mais si elle avance vers toi c’pas pour te saluer, elle est dans sa bulle elle aussi. trois, deux, un, impact. retour à la réalité, sans doute causé par le liquide chaud qui inonde ton chemisier. « oh non ! c’est pas vrai… » on l’sent le désespoir dans ta voix.

t’es genre toute tâchée, ton chemisier blanc n’est plus et y a de grandes chances qu’ce soit foutu. tu râles un peu, pas contre la personne en face de toi, plutôt contre toi même parce que toi non plus t’as pas regardé. t’fouilles dans ton sac quelques instants avant d’sortir un paquet d’mouchoir, t’essayes de sauver les meubles, au moins éponger l’liquide.
t’relèves la tête alors qu’elle prononce ton pseudo, y a du monde qui l’connaît, mais pas beaucoup qui pourrait s’permettre de t’appeler comme ça dans la vraie vie. t’es pas forcément pour inclure ta vie réelle dans l’virtuel où tu t’perds souvent. streameuse depuis quelques années, t’joues quand t’as du temps, c’pas forcément évident, parce que ton vrai boulot passe avant tout, mais ça t’suffit. t’fais pas ça pour percer vraiment, seulement pour l’fun, pour kiffer.
« oui ? on s’connaît ? » qu’tu demandes intriguée d’savoir qui se trouve en face de toi. en lui demandant si tu la connais, t’insinues qu’t’as sûrement déjà joué avec elle, ou alors c’est p’t’être une personne avec qui t’as déjà parlé. en tout cas y a zéro menace, tu l’vois bien, ton visage s’détend, plus amical, plus souriant. t’es pas l’genre de fille qui s’énerve pour pas grand chose, t’sais à quel point la vie peut être violente ailleurs, t’le vois tout les jours avec ton boulot. même de ton histoire t’as réussi à relativiser, y a pire que toi ailleurs. ton meilleur moyen pour t’relever.

la jolie tête blonde qui s’trouve en face de ton t’déclines enfin son identité, enfin, celle sous laquelle tu la connais l’mieux, puis tu t’sens bête, bête parce que même si t’as du la voir seulement une ou deux fois à l’écran, t’aurais du t’douter. y a pas quinze mille fille de boston avec qui tu joues, avec qui tu parles sur tes jeux en réseaux. « oh mais … pardon j’suis désolée, j’t’ai même pas reconnue », tu t’sens bête, ça s’voit sur ton visage, tu t’mords la lèvre honteuse. t’es pas forcément timide, quoi qu’un peu parfois, selon la situation, mais là t’as juste envie d’te cacher, dans un p’tit trou, comme une souris.
elle s’met à essuyer ton chemisier et tu repousses gentiment sa main « mais non t’inquiète, vraiment c’est rien, ça fait un petit style, c’est sympa non ? » tu ris doucement. c’un peu bizarre, t’es hyper contente de la rencontrer t’voudrais la serrer dans tes bras comme quand tu rencontres tes amies, parce que t’es comme ça. proche des gens, tu donnes sans vraiment calculer. puis c'ton amie, d'internet, ouais, mais ça l'est avec toutes vos discussions, confidences, complicité. pourtant t’sais pas si c’est pas un peu étrange ? parce que au final même si vous parlez souvent, c’la première fois qu’tu la vois pour de vrai. t’as beau être une grande fille, parfois t’restes toujours un enfant au plus profond d’toi même. finalement t’oses « t’permets que j’te salue comme une amie ? ça m’ferait plaisir.. » qu’tu dis en riant doucement, écartant un peu les bras pour laisser place à l’accolade.  

constamment tu t’rappelles à quel point l’monde peut être aussi petit que ce qu’il est vaste, et à chaque fois qu’ça arrive, tu t’le rappelles. ruby c’est un peu la petite soeur qu’t’as jamais eu, en tout cas derrière vos écrans respectifs. t’sais bien à quel point les gens peuvent être tordus dans l’monde, avec ton boulot tu l’vois tout les jours, les dangers d’internet aussi t’l’as constaté. des histoires plus sordides les unes que les autres alors forcément t’y penses et t’veilles sur la petite blonde du mieux que tu l’peux. à côté d’ça t’offrais une oreille attentive à toutes confessions d’sa part, vraiment un rôle d’soeur sur qui elle pouvait compter.
gênée d’pourtant pas l’avoir aussi rapidement reconnue qu’elle, t’arborais un doux sourire à son égard. « ah non, tu m’dois rien du tout, c’moi plutôt qui doit m’rattraper, d’ailleurs… oui j’ai largement l’temps » jetant au même moment un coup d’oeil sur ta montre, tu étais totalement libre et le temps devant toi suffisait à passer un moment avec ton amie  « bon, par contrej’t’offre le tien si tu permets », chacune pouvait d’cette façon faire plaisir à l’autre et c’était une situation qui te satisfaisait. toujours d’la difficulté à accepter les cadeaux des autres, même infime soit-il, au point d’développer des techniques, comme celle d’offrir en retour absolument.

grimaces qui s’affiche sur ton visage, elle a du caractère la petite. toi qu’avait trouvé la bonne technique pour accepter, la voilà qu’elle refuse, t’vas te sentir embarrassée. allé itziar, un peu d’courage. secouant la tête de gauche à droite. c’pas facile d’te cerner, d’comprendre tout tes comportements malgré c’t’apparence de femme forte, sur d’elle, en réalité c’vraiment tout l’inverse. « bon si j’regardais où j’allais aussi », qu’tu lâches comme pour justifier ta part de responsabilité. mais quand elle t’parle de prochaine fois t’penses au fait d’pouvoir faire même mieux qu’un simple café alors t’saute sur l’occasion. « ah oui ! la prochaine fois sera mon tour » t’as déjà ta petite idée, mais t’vas pas lui dire. finalement installées, les cafés commandés tu tournes la tête vers ton amie en l’entendant, tendre sourire affiché sur ton visage. « heureusement qu’tu m’as reconnue purée, t’imagines on serait passé à côté d’ça ?? » qu’tu lâchas finalement presque affolée d’cette éventualité.