Hotter the better, I mean Korean food taste like... ft Love (29.07)

Aujourd’hui, Ji-hun était déchargé de toutes obligations. Il avait terminé les cours intensifs auxquels il s’était inscrit plus tôt dans l’année, avait passé les examens la semaine passée, et il avait réussi à avoir exceptionnellement un jour de congés pour participer à la soirée d’anniversaire d’une amie. Journée paisible qui demandait à être complétée, le nord-coréen avait eu pour idée d’inviter une jeune femme, récemment rencontrée sur meetsa, à manger un morceau avec lui. Il s’avérait qu’elle travaillait à Harvard cet été, dans les bibliothèques qui composaient l’université, et qu’elle avait un penchant pour l’Asie – dont la Corée et ses innombrables dramas télévisés. Première américaine à lui citer le nom d’une série, il n’avait pas hésité une seule seconde à accepter de la voir, à la fois curieux et enchanté de partager avec la jolie Love un peu de sa culture.

Pour cette raison, il se trouvait devant les marches de l’établissement qui conservait et collectionnait tout un tas de livres, des romans aux manuels spécifiques, en passant par les dictionnaires du monde. L’heure de rendez-vous était fixée à midi, et à en croire les aiguilles figées à sa montre, il était un peu en avance. Il en profita alors pour vérifier les horaires du bus qui menait au plus près de l’adresse du restaurant, car même s’il se situait dans le même quartier il fallait quarante-cinq minutes à pieds pour y arriver – pas sûr que les jambes de sa nouvelle connaissance puissent supporter un tel trajet. Elle passait d’ores et déjà sa journée debout, et elle avait confié être épuisée par les nuits hachurées d’un bébé de six mois. Il quitta des yeux son téléphone portable quand une personne sortit de la Widener Library, mais il ne reconnut pas la brune avec qui il devait passer le déjeuner.

Il décida de la prévenir de sa présence, au cas où elle attendait un message de sa part, mais il n’eut pas le temps de lui envoyer que le prochain visage à passer l’entrée principale fut plus que familier. Il rangea son mobile dans sa poche arrière, et offrit un sourire chaleureux à la jeune femme, accompagné d’un petit signe de main amical. Que tu allais me poser un lapin, j’ai cru, avoua-t-il. Garçon honnête et direct, il allait falloir s’y habituer. Elle s’est bien passée, ta matinée , lui demanda-t-il, de cet accent typique de ceux qui parlaient d’ordinaire le hangeul. Il aura beau faire tous les efforts du monde, son domaine de prédilection n’étant pas linguistique, jamais il ne pourra s’en défaire complètement. De ton travail, pour te récompenser, dans l’un des meilleurs endroits, je t’emmène, lui dit-il, Seoul Soulongtang, tu connais ?

Il espérait lui faire découvrir, ou au mieux : lui faire redécouvrir. Parce que c’était tout de même bien plus authentique lorsqu’on mangeait dans un restaurant coréen en présence d’un vrai coréen, pas vrai ?

Ce travail est bien loin de mes ambitions. Manque de bol, c’est tout ce que j’ai pu trouver pour payer les factures qui commençaient à s’accumuler sur le bord de la table basse. J’aurais pu prendre l’option de facilité et demander à Zachary de m’aider mais je crois que j’ai encore un petit peu trop de fierté. C’est clairement cela. Je préfère passer mon été à ranger une bibliothèque universitaire - et finir complètement éclatée à la fin de la journée - que de profiter de l’argent des quelques amis que j’ai retrouvé à Boston. Et si je n’arrivais jamais à le rembourser ? J’aurais une dette éternelle envers lui et j’ai déjà bien assez de questions qui me vrillent les neurones pour en ajouter d’autres de cet acabit. La paye de ce mois-ci sera agréable et je sais que même si je regrette d’avoir arrêté mes recherches pour bosser dans une petite école de danse ou autre, je serai contente quand je pourrai manger autre chose que des pâtes blanches pour le dîner. J’essaye de me faire un peu plus plaisir entre midi parce que je mange avec mes collègues et que je ne veux pas qu’ils se posent des questions - ou pire, qu’ils me les posent. Je sais pourtant que je vais en avoir lorsque je rentrerais de cette pause repas que je vais passer avec Ji-Hun. Ils sont curieux - nous sommes notre propre dose de curiosité et de potins de l’été - et je ne peux pas leur en vouloir pour cela. Lorsque l’une de mes binômes a filé en s’accrochant au torse d’un grand brun à moto, nous lui avons tous posé des questions ce matin, café et croissant en mains. C’était notre petite discussion pour bien débuter la journée et mon entrevue avec Ji-Hun risque d’être détaillée dès le retour à la Widener Library et l’entrée dans la phase de digestion. Un signe de mains vers l’équipe, je me décale et arrive rapidement auprès du jeune homme. Mais non absolument pas ! Que je souffle en souriant. Moi, poser un lapin ? C’est bien mal me connaître. Un sourire sur le visage, nous nous dirigeons vers l’arrêt de bus et je ne questionne rien, le suivant tout simplement. Il pourrait être un tueur en série ou un kidnappeur fou que je n’y verrais rien. On est passé aux encyclopédies alors on doit porter des gants… Et qu’est-ce que ça dégage de la poussière ! J’en ai probablement encore sur le visage, coincés dans les pores de mon visage et je le verrai ce soir. Pour le moment, je me concentre sur Ji-Hun et souris largement. Je ne connais pas du tout… Je n’ai pas vraiment eu le temps - ni les moyens - de tenter les restaurants de la ville depuis mon retour ici. Et plus jeune, nous n’avions pas vraiment l’argent pour non plus. Il va falloir que tu me guides et m’apprennes à me servir de baguette. Que je dis rapidement. Peut-être qu’à cette annonce, il va me renier et partir en courant : la honte d’aller manger dans un restaurant coréen avec quelqu’un qui ne sait pas manier des baguettes ! Et puis, curieuse comme toujours, je dis C’est une question bizarre mais on le prononce comment ton prénom ? Dji-houn ? Quelque chose de plus doux ? Je n’en sais fichtrement rien !

Un poste d’appoint pour apporter un peu de ressources au foyer, c’était ce qu’il avait conclu de leur conversation lorsque Love lui avait présenté son travail d’été. Nettoyer les bibliothèques de l’université pouvait paraître insignifiant, mais les amoureux des livres comme lui savaient à quel point il était primordial de maintenir l’endroit propre, et d’effectuer un grand ménage deux à trois fois par an. La poussière était la pire ennemie des bouquins, et si les archivistes étaient les seuls à connaître le nombre d’ouvrages de collection exposés, les étudiants résumaient ça à « beaucoup ». Ji-hun ne pouvait qu’être reconnaissant du travail accompli par ces paires de mains qui permettront aux premières comme aux dernières années de profiter du savoir enfermé entre toutes ces couvertures. Il fut attristé d'apprendre que les encyclopédies étaient recouvertes de particules. Internet…, lâcha-t-il. Les habitudes étaient chamboulées, et ce n’était pas vrai que pour la manière de collecter les informations, les interactions sociales aussi avaient connu du changement.

Ji-hun était probablement vieux jeu pour apprécier encore recevoir ses connaissances à l’aide de livres, et désirer rencontrer en face à face les personnes avec qui il parlait, ne se satisfaisant pas d’une communication par écrans interposés. Pour cette raison, il avait désiré inviter Love à échanger autour d’un déjeuner, et de la cuisine coréenne plus particulièrement, parce qu’elle avait montré un certain intérêt pour l’Asie. Réputé il est, ils y vont tous les Coréens d’ici, lui présenta-t-il comme le restaurant populaire auquel ses semblables pensaient lorsqu’ils voulaient manger un bout. Est-ce que cela voulait dire qu’elle avait très peu goûté à tous ces mets que l’on retrouvait dans les drama de la péninsule ? Il était ravi de les lui faire découvrir, et savait d’ores et déjà les plats qu’il lui suggérerait. Quant à l’utilisation des baguettes, il la rassura : d’utiliser des couverts, c’est possible. Mais comme une cheffe, que tu t’en sortes, je ne doute pas. Toujours croire en soi, c’était la clé. Et si on pouvait être soutenu par d’autres alors on pouvait se sentir maître du monde.

Une rue à traverser avant d’attendre l’arrêt de bus, Ji-hun attendit sur le trottoir que le petit bonhomme devienne vert – bête et discipliné. Moment où la question sur la prononciation de son prénom vint se greffer à la conversation. Ji, comme « g » en anglais, hun, comme « spoon », fit-il avant de reprendre : avec un « h » expiré, t’étouffer tu risques, si tu aspires. Il rit avant de lui proposer une autre option : Jay on m’appelle, sinon. Prénom américanisé durant les cours intensifs d’anglais, session qu’il venait d’ailleurs de terminer. L’autorisation de traverser arriva, et il s’élança sur le passage piéton. En coréen, c’est Dasom ou Aera ton prénom, traduisit-il Love. Deux façons qu’il trouvait jolies, Sarang lui paraissant peu usité, contrairement à ce que pouvaient supposer les Korea lovers. Lequel tu préfères , demanda-t-il. Non pas qu’il s’autoriserait à la surnommer ainsi, mais c’était une manière de faire connaissance. Leur rencontre était faite pour ça, pas vrai ? Sinon, à quoi bon.

Divers futurs passagers attendaient déjà la prochaine tournée, il resta à l’écart, suivant la file plus ou moins dessinée. Ce qu’il faut tu as, interrogea-t-il la brune. Une carte de bus ou de l’espèce pour son ticket. Au mieux, il avait toujours des pièces sur lui, pourra aisément lui payer son aller et son retour, il n’hésita pas à le lui spécifier avant qu’elle ne réponde. Combien de temps tu as de pause , s’intéressa-t-il au temps qui leur était accordé.

Je ne peux qu’acquiescer quand il souffle le nom de cette nouvelle encyclopédie qui remplace de nombreux livres que nous avions nous, pendant notre enfance. Je me rappelle encore de cette époque avant Internet où il fallait chercher des définitions dans le dictionnaires, chercher des faits dans les encyclopédies que nous allions fouiller à la bibliothèque. Je crois que c’était les seuls moments où ma mère arrivait à se concentrer, à se recentrer. Alors forcément, c’est un peu de nostalgie que je ressens à ce moment précis et quand je me retrouve à bouger ces lourds bouquins pleins de savoirs. Il y a entre ces pages, plus d’informations que je ne serai jamais capable de retenir. Ce n’est même pas humainement possible. Je pourrais parler de tout cela pendant des heures - il nous arrive de lire quelques faits et c’est souvent très drôle - mais mon estomac me rappelle rapidement le lieu vers lequel nous nous dirigeons. C’est un gage de qualité alors. Que je souffle, mes papilles s’éveillant rapidement à l’idée de déguster ces plats dont je ne connais rien. Je compte sur le jeune homme pour me guider dans le choix des plats. Je sais bien mais l’expérience ne sera pas la même. Je veux le package total ! Et je souris largement en disant cela. Je veux pouvoir me servir de baguettes, ne pas lui causer une quelconque honte ou je ne sais quoi. Je sais bien que le jeune homme est ouvert d’esprit mais je ne sais pas ce qu’il en sera des gens autour de nous. Le jugeront-ils parce qu’il dîne avec une blanche qui ne fait pas l’effort de la culture ? Je le refuse. Tu seras un bon professeur, je n’en doute pas. Et si vraiment je galère, je passerai aux couverts mais j’aurais essayé au moins. La douceur du jeune homme est si intense que je ne peux m’empêcher de sourire. Il est un petit bonbon, comme un nuage tout tendre et je l’écoute me décortiquer son prénom. Ji-Hun. Que je prononce doucement. Ça va comme ça ? Que je demande, répétant les deux syllabes à nouveau. Et quand il me donne l’équivalent de mon prénom en coréen, je prononce les deux et réfléchis quelques secondes. Dasom, j’aime beaucoup. C’est celui qui ressemble moins à l’anglais des deux aussi. Bien que la prononciation de l’autre est propre à la Corée, celui-ci est bien plus doux. À l’arrêt de bus, je m’appuie contre le poteau où il y a les horaires de bus et à sa question, je sors ma carte des transports de la ville. Un sourire dans sa direction, je réponds aussi à la suivante Normalement une heure mais je me suis arrangée avec l’équipe d’intendance. Je peux prendre jusqu’à deux heures mais devrais rattraper l’heure dans les jours à venir. Que je dis rapidement. Je ne savais pas où on allait ou autre donc j’ai accepté. On peut donc profiter comme ça. Du moment, de la rencontre et des discussions que l’on va avoir tout au long de ce repas. Alors du coup, maintenant que tu as fini les cours, tu fais quoi de tes journées ? Tu te prépares pour la rentrée ?

Love prononça son prénom coréen, plutôt que se satisfaire de celui qu’il avait américanisé auprès de sa famille d’accueil, puis au cours de ses séances intensives d’anglais. Il fut heureux de l’entendre de la bouche de la brune, parce que ça lui redonnait un peu de son identité – celle qu’il avait laissée à l’aéroport dans l’espoir d’être un jour assez états-unien pour en obtenir la nationalité. Et elle aurait pu mal le prononcer qu’il n’en aurait pas été troublé, le fait étant qu’elle s’en sortait plutôt bien. Il hocha du chef pour affirmer que c’était parfait, et il put l’entendre à nouveau s’échapper de ses lèvres, plus franchement cette fois-ci. En contrepartie, il lui offrit la possibilité de connaître les équivalents de son patronyme, au nombre de deux – elle n’avait plus qu’à choisir celui qui lui convenait le mieux. Dasom, vraiment joli c’est, confirma-t-il le préféré tout autant, joli, comme toi. Bien ça te va, du coup. Et tant pis si elle se considérait comme un zombie à cause de toutes ces nuits bouleversées par un bébé, cette responsabilité la gratifiait d'un petit truc en plus.

Ji-hun adorait les enfants et, même s’il n’était pas papa, avait déjà eu l’occasion, à deux reprises, de s’occuper d’un bébé. Tous ces petits travers auxquels Love était confrontée, il les avait vécus pour avoir été le grand-frère de petites sœurs bien plus jeunes que lui. Il comprenait les cernes, les bâillements, le corps las et les contraintes horaires, et par cette invitation désirait faire vivre à la jeune femme une pause bien méritée. Faire de ce déjeuner un moment agréable, loin des galères. La faire voyager un peu, sans les lui faire oublier, parce que c’était ce qui faisait la femme qu’elle était, et qu’il avait envie de rencontrer – surtout. À dix minutes du restaurant, on est, prévint-il qu’en bus, ils n’étaient pas bien loin de l’endroit où elle bossait, toi qui vois si, te permettre de prendre deux heures, tu peux ou pas. Il suivra sa cadence, ne voudrait surtout pas l’obliger à revoir son emploi du temps à cause de lui. Parce qu’une petite poupée attendait d’être prise en charge à la maison, une heure de plus passée à travailler à la bibliothèque pouvait devenir énorme.

La quantité de travail j’ai changé , informa-t-il qu’il avait lui aussi de gagner son pain. Il avait perdu la petite fortune qu’il avait mise de côté en Corée du Nord, devait recommencer à zéro sur Boston. Il avait encore des rêves, et si celui de devenir chercheur prenait beaucoup de place, il n’avait pas tiré une croix sur la suite. Avoir un chez-soi, se marier et avoir un enfant étaient au programme, et les années passant à une vitesse folle, il se devait d’y travailler dès aujourd’hui pour être prêt dans trois, cinq ou huit ans – selon la fin de doctorat et son post-doctorat. Et les entraînements de natation ont repris aussi, ajouta-t-il. Le boulot et la préparation aux rencontres sportifs de l’automne faisaient son quotidien. Il fallait additionner à ça les rencontres qu’il multipliait, les sorties desquelles il profitait avant la rentrée. Il arrive, le bus, pointa-t-il du menton le véhicule qui roulait droit vers eux. Tout le monde prépara carte et monnaie, et lui aussi fit de même, tirant son pass de la poche avant de son jeans. La file d’attente se forma au niveau des portes.

Leur tour arriva bien vite, il laissa passer son invitée devant et la suivit de près pour présenter son abonnement à la machine. Un siège il y a, là , informa-t-il Love. Aucune autre personne prioritaire les suivait derrière, alors il insista pour qu’elle passe le voyage assise. Parce qu’elle devait profiter de son temps de repos pour se détendre, il comptait bien faire en sorte que ce soit le cas ; attentif et attentionné, comme toujours. Il se posta debout juste à côté d’elle, et se maintint à la barre parallèle au plafond – son mètre quatre-vingt-six lui permettant d’y avoir facilement accès. Les passagers tous montés, le bus reprit sa course. Un autre k-drama, le temps de commencer tu as eu, demanda-t-il, yeux baissés sur la frimousse de la jeune femme.