Je me doutais bien que tous les étudiants de ce campus n’étaient pas comme moi, je ne cherchais pas à imposer mes idées et je crois que si les gens le prenaient comme ça alors ils ne méritaient même pas que je pose ne serais-ce qu’un regard sur eux. J’avais le plus grand respect pour les avis qui divergeaient des miens et c’est d’ailleurs ce qui, à mes yeux faisait le plus avancer les choses dans notre société actuelle parce que sans une pointe de divergence plus personne ne l’ouvrirait et avec le nombre de votes qui diminuait constamment lors des présidentielles on pouvait se faire du souci. Non, loin de moi l’idée d’imposer coûte que coûte mes idées à quelqu’un qui n’entendait pas les choses de la même manière que moi. On va dire qu’au niveau de la sexualité je trouvais juste ça malsain de ne pas en parler à ses proches, bon je n’étais pas en train de vous dire qu’il fallait raconter toute sa vie sexuelle aux membres de sa famille parce que sur ce point je n’étais pas d’accord mais l’orientation sexuelle était fondamentale pour qu’on puisse être à l’aise. Imaginez une blague sur les homosexuels qui n’était pas destinée à blesser, inconsciemment on s’en prenait à vous quand même. Du coup j’avais eu le malheur de faire comprendre à Jake qu’il ne faudrait pas qu’il se cache toute sa vie et Bentley l’avait mal pris… Pauvre chéri, je n’avais rien contre lui mais lui semblait ne pas m’apprécier du tout. Tant pis, on ne pouvait pas plaire à tout le monde après tout. Il pouvait bien m’en vouloir d’avoir été honnête, ça ne changerait rien à ma vie. Pourtant j’essayais malgré tout de me comporter gentiment avec lui aujourd’hui, je ne connaissais pas la rancune sauf en cas d’infidélités ce qui était en soit une très bonne qualité.
Assis face à lui ma bière à la main j’avais osé reparler de cette conversation, j’aurais peut-être dû m’abstenir mais ce n’était pas quelque chose de facile pour moi qui avait une franchise débordante et qui ne pouvait pas se retenir de dire ce qui lui passait par la tête lorsqu’il sentait que ça pouvait avoir une utilité… Ou pas ! La réponse de mon interlocuteur ne se faisait pas attendre longtemps et me promettait quelque chose de fort sanglant. « Sérieusement ? Tu comptes sérieusement gâcher ma journée paisible et tranquille une deuxième semaine d'affilée ? Non parce que bon, si ça continue ainsi, je vais finir par te demander de prévenir vingt quatre heures à l'avance ! Bref, des avis, ça ne se partage pas : ils sont uniques, et être un adulte mature et responsable, c'est respecter ceux de l'autre. Ensuite, je n'ai honte d'absolument rien : je m'assume complètement, et mes mocassins vont très bien, merci de t'inquiéter pour eux. Ensuite, Jake n'est pas "pauvre", comme tu le dis, et je suis persuadé qu'il sera très heureux à l'avenir. Maintenant, si ça ne te dérange pas, j'aimerais bien finir de lire mon journal. » Je le regarde et le laisse finir, j’avais appris la politesse à l’école primaire après tout et puis, un psychologue ne devait pas interrompre l’un de ses clients non plus. Lorsqu’il arrivait au bout je ne retenais pas un petit râle d’amusement, il me faisait plus rire qu’autre chose là. « Si discuter à tête reposée t’insupporte je n’y peux rien excuses-moi… Et désolé mais je vis ma vie au jour le jour, impossible de prévenir vingt-quatre heures à l’avance. Et le fait de donner mon avis n’est pas un manque de respect, ne rien dire et toujours être d’accord me semble être plus grave mais bon… Et désolé d’avoir voulu être sympa, je te laisse à ton bouquin. » Je n’aime pas parler dans le vide de toute manière, sans plus attendre je me lève et rejoint ma table initiale.