Surprises in the sun

Une décision prise sur un coup de tête. Voilà comment on pourrait qualifier mon arrivée surprise en Tunisie, hier après-midi. Exactement le même jour où les étudiants et le personnel Harvardien étaient censés débarquer à l’hôtel Sheraton de Tunis. Je me suis bien gardé d’aller me promener par là-bas, de peur de voir une de mes connaissances et ainsi, de gâcher la surprise que je prépare à Tee. Il m’a fallu une soirée pour me remettre du long vol depuis Boston, et je me sens aussi fraîche que la rosée en ce début d’après-midi, même si mon corps est encore persuadé qu’il est 9h du matin, et non 14h.

Après notre discussion par texto, l’idée a germé dans ma tête et j’ai commencé à éplucher les sites de compagnies aériennes et d’hôtels pas chers pour essayer de me caler cinq jours de vacances en Afrique. Ange a accepté de m’octroyer ces congés, malgré le côté « dernière minute » de ce voyage improvisé. C’est sûr, ces vacances ont un coût, mais je rattraperai le coche à la rentrée, histoire de remplumer mon compte en banque. Et puis, je vous rappelle que je serai employée à plein temps d’ici là… enfin, on croise les doigts.

Après avoir enfilé un jean, une veste légère et une paire de tongs, je sors de mon AirBnb et prends la direction du village Berbère que les étudiants vont visiter cet après-midi. J’ai bien évidemment vérifié que Tee serait de la partie… même si elle a mentionné qu’elle ferait sa propre visite toute seule. Un électron libre, cette fille. Elle a posté quelques stories depuis ce matin, ce qui me permet plus ou moins de savoir où elle se trouve, en fonction des lieux tagués. Et le dernier en date est un petit marché en plein air où je me rends avec la boule au ventre à l’idée qu’elle m’aperçoive avant que je n’aie le temps de la surprendre.

Les cheveux dissimulés sous un chapeau de paille et le visage partiellement caché par une grosse paire de lunettes, je scanne la foule jusqu’à sentir mon cœur faire un soubresaut dans ma cage thoracique. La voilà… en train d’examiner des articles étalés sur un stand. Je plisse les yeux, histoire de m’assurer qu’il s’agit bien d’elle et pas de son clone tunisien. Mais non, je reconnaîtrais cette bouille entre mille, malgré ma position légèrement en retrait et de côté.

C’est avec des palpitations dans la poitrine et des papillons dans le ventre que j’avance et me positionne derrière elle, jusqu’à doucement placer mes mains devant ses yeux.

─  Alors comme ça, je te manque…? je souffle dans le creux de son cou dénudé.

C’est plus fort que moi : mes lèvres se fendent en un large sourire, dont la seule cause est la vue du sien. Ok, ça va… elle n’a pas l’air déçue, ou même irritée que je l’ai rejointe à l’improviste. Ou, pire scénario : si je l’avais trouvée dans les bras d’un.e autre. Vous imaginez un peu le fiasco ? Bah, on sait jamais… je vous rappelle qu’on n’est pas « officiellement » ensemble. C’est d’ailleurs un point que j’aimerais soulever avec elle, mais… plus tard. Pour l’instant, place aux retrouvailles.

Je ricane et lance un regard autour de moi, faisant semblant de m'intéresser au décor alors que mes pupilles ont envie de se poser sur elle comme des papillons de nuit attirés par une source de lumière.

─  Oh, pareil que toi… j’explore, je me balade, je joue les touristes. Bon, d’accoooord : j’ai décidé de venir une semaine. J'suis arrivée hier soir. T’as réussi à me persuader, finalement ! Ça n’a pas été facile de trouver un logement dans le même coin que votre hôtel, mais tu me connais… quand je veux, je peux.

Et parce que le contact m’a manqué plus que je ne voulais me l’admettre, j’attrape ses doigts pour les serrer. Ses mains ont toujours été aussi douces ? Chaque détail de son grain de peau prend un air nouveau, ma mémoire enfin ravivée par sa présence en chair et en os. L’aimant entre nous amplifie son pouvoir d’attraction à chaque seconde, je le sens. Je cède à son champ de force en me rapprochant encore, et me penche pour chercher les lèvres de celle qui me fait perdre la tête. Puis… je me souviens où on est, et autant Boston est progressiste et libérale, autant j’oublie que toutes les villes du monde ne le sont pas. Que dans certains recoins du globe, notre relation est un crime, ou tout du moins, un secret à cacher.

Aussi, je dévie ma trajectoire et dépose, à grand regret, un simple baiser sur sa joue.

─  Alors ? Comment ça se passe ?

Je l’écoute me parler de l’Égypte, en l’imaginant au pied des pyramides, le regard levé vers leur immensité. J’admets que j’aurais voulu voir ça moi-même, mais je vous rappelle que je ne suis pas encore millionnaire. Il m’a déjà fallu un bail pour me décider à acheter des billets, et quand je me suis enfin lancée, l’excursion en Égypte prenait déjà fin. Mais ça n’importe peu, à vrai dire. La Tunisie, je suis sûre que ça va être hyper fun aussi ! Et puis… tant que je me promène aux côtés de cette charmante touriste, peu m’importe la destination.

Je jurerais sentir mon visage s’empourprer à la mention du mot « hôtel » - j’ai les idées un peu déplacées. En même temps, ça fait trop longtemps que je n’ai pas caressé sa peau ou effleuré ses lèvres à mon goût. Et puis… c’est vrai que j’aurais pu partir du principe qu’on partagerait sa chambre, mais… encore une fois, rien ne me garantissait que je ne la retrouverais pas dans les bras de quelqu’un d’autre. Vous comprenez la nécessité d’une conversation à ce sujet ? C’est juste que ça m’ôterait un peu cette impression constante de la voir s’envoler, comme une plume emportée par le vent.

─  J’ai plein d’envies différentes, là tout de suite… mais t’as raison, c’est plus sage de visiter. Pour le moment. Et puis, ce soir, je t’emmène dîner. Ça te va ?

Je suis sûre qu’on a des tas de trucs à voir. Peut-être qu’on pourra rejoindre le groupe pour quelques activités, cela dit, l’idée de passer le plus clair de mon temps en sa seule compagnie ne me dérange pas. Mais je ne voudrais pas la monopoliser, lui donner l’impression que je ne suis venue que pour elle. Même si, secrètement, c’est un peu le cas.

─  On pourrait faire un tour au musée Bardo, et passer le reste de l’aprem à se dorer la pilule. Piscine ou plage, j’te laisse le choix !

Je ponctue ma proposition d’un clin d’œil avant de nouer mon bras au sien, le cœur léger, le sourire aux lèvres, parée pour nos aventures. Parce qu’une semaine… ça passe vite.

Je viens de passer les trois jours les plus merveilleux de ma vie. Mais ne le dites pas à Tee, elle en prendrait la grosse tête. Noooon… je n’ai toujours pas abordé le sujet fâcheux, merci de demander. Vous ne pouvez pas m’en vouloir, après tout, qui aurait envie de semer la pagaille dans une parenthèse aussi idyllique ? C’est bizarre… c’est comme si j’étais persuadée que le sujet allait foutre le bordel. Dès que j’y pense, j’ai une sorte de boule dans la gorge. Pourtant, elle ne m’a montré aucun signe de vouloir arrêter ce qu’on a commencé au Spring Break, continué à Boston, et qu’on est en train de poursuivre en Afrique. Elle paraît tout autant à fond que moi, et pourtant… oui, pourtant, je n’arrive pas à me sortir de la tête que cette conversation risque d’assombrir le ciel azur de notre histoire. Raison pour laquelle je procrastine !

Allongée sur le lit en chien de fusil, je me réveille doucement après l’avoir sentie s’extirper du lit. Il doit être 8 ou 9h du matin et quelques rayons solaires se sont frayés un chemin entre les lattes des volets coulissants. Mes paupières se referment, alourdies par le manque de sommeil. (Vous croyiez vraiment qu’on allait faire que dormir ?) Soudain, un bruit sourd retentit dans la salle de bain et je rouvre les yeux, fronçant les sourcils avant de me redresser.

─  Tee…? Ça va ?



Pas de réponse. Là, c’est mon cœur qui s’affole, et je pense à ces accidents si bêtes qu’on oublie qu’ils arrivent souvent : un pied qui glisse dans la douche ou la baignoire, une tête qui se cogne au coin du lavabo ou sur le carrelage… les images se succèdent dans mon crâne et je repousse les draps d'un mouvement précipité pour aller toquer à la porte de la salle de bain.



─  Temperance ? Tout va bien là-dedans ?



Je crois bien que c’est la première fois que je l’appelle par son prénom entier - que je n’ai d’ailleurs découvert que sur le tard, après l’avoir aperçu sur sa carte d’identité. Puisqu’elle ne répond pas, mon instinct prend le dessus. Je baisse la poignée et pousse doucement le battant, mes pupilles cherchant déjà sa silhouette familière. Sauf que c’est vers le sol qu’elles sont attirées, car Tee gît par terre, un bras replié sur son abdomen. Son corps est secoué de spasmes et ses paupières tressautent, comme si elle était en train de faire une sorte de crise… d’épilepsie ? J’sais pas, j’y connais rien, moi ! Tout ce que je sais, c’est que je suis en train de paniquer. Mes genoux cèdent sous mon poids et j’attrape une de ses mains, posant l’autre sur son front, comme pour jauger sa température. Sans surprise, elle est brûlante - mais ça ne m'apprend rien sur la situation. Il se passe quoi, bon sang ?



─ Non, non, non, non, non… Tee, tu m’entends ?!



Ma voix tremble autant que ses membres, qui semblent parcourus par un courant électrique. L’espace de quelques secondes, cette possibilité me traverse la tête, mais non, je serais déjà électrocutée si c’était le cas, puisque je l’ai touchée. Bravo, Sam. Règle numéro Un : on ne touche pas à mains nues quelqu’un qui convulse sans connaître la cause de la crise !



─ Hey… hey, ça va aller. Oh, merde…



J’hésite à me jeter sur mon portable pour appeler les urgences. Seul problème : je ne sais même pas où j’ai laissé mon téléphone, et je n’ai pas envie de la laisser toute seule. Au moins, il n'y a aucune trace de blessure ou de sang sur le sol. Je panique encore, me relève d'un bond, puis m’agenouille de nouveau en gémissant. Dieu merci, les spasmes durent quelques secondes supplémentaires avant de se calmer, puis de s’arrêter complètement. Le sang bat à mes tempes. Je saisis son poignet, vérifiant son pouls, puis soupire de soulagement en sentant le rythme de ses veines. Elle va se réveiller. Elle va se réveiller. C’est sûr, elle va se réveiller. J'attends dix secondes et si elle ne se réveille pas, j'appelle les urgences. 10, 9, 8, 7, 6, 5, 4, 3, 2, 1...