Près d’un mois et demi était passé depuis cette fameuse rencontre avec sa dame de l’eau, plus d’un mois que Ji-hun s’était donné l’objectif de sauver ce pinnipède au doux prénom. Il n’avait aucune affection particulière pour l’animal, mais avait compris que ce dernier avait le pouvoir de dessiner un sourire radieux sur les lippes de l’étudiante aux cheveux décolorés, celle qu’il avait apprécié observer pour sa particularité capillaire – entre autres. Il avait quitté le parc aquatique une trentaine de jours plus tôt mais était revenu quelques fois la semaine suivante, pour prendre des nouvelles du phoque auprès d’un autre soigneur. Il avait évité la jeune femme volontairement, afin qu’elle puisse se concentrer sur le chiot marin, afin qu’il puisse réfléchir de façon raisonnée à ce qu’il allait entreprendre – ou pas – pour satisfaire son besoin de voir heureux le monde qui gravitait autour de lui ; jusqu’où était-il prêt à aller, quels sacrifices étaient-ils prêt à faire ?
Il lui avait fallu deux semaines pour se décider à avancer sur le projet complètement loufoque qui avait mûri dans sa tête. Les diverses phases s’étaient détaillées dans son esprit, comme ça avait été le cas en période d’épidémies dans sa Corée du Nord natale. En faisant appel à sa mémoire, il avait réécrit sur papier les données du dossier de Loki auxquelles il avait eues accès, et trente-deux heures plus tard, il s’était mis sur les recherches. De la lecture de chapitres à la quête de toxines, de la conception aux premiers essais sur cellules vivantes, des ajustements à la validation de l’antidote pour le spécimen en question. Il y avait passé jour et nuit, nuit et jour, entre les différents apprentissages qu’il devait mener à bien, les quelques sorties qu’il s’était autorisées et son travail au Luna Caffe qu’il n'avait pas mis de côté. Quelques semaines écoulées donc, avant qu’il ne décide de retrouver l’aquarium et d’utiliser cet abonnement auquel il avait souscrit pour l’année.
La lanière du sac à dos sur l’épaule, il naviguait dans les allées de l’établissement avec précaution. À l’intérieur, dans une pochette de protection, glissée dans l’un des compartiment à la fermeture éclair scellée, résidait les prises d'antidote qui allaient colorer de nouveau le quotidien de Joyce. Ji-hun croisa quelques employés qu’il avait accostés fin avril, mais ne fit que les saluer puisqu’aujourd’hui il désirait revoir une seule et unique personne. Elle, rien qu’elle. N’était-elle pas à l’aquarium ? Les minutes passaient sur le cadran de sa montre, et aucune des chevelures croisées ne ressemblait à celle de sa dame de l’eau. Le temps lui était compté, il se devait d’aller bosser, mais ne pouvait repartir sans avoir fait part de ce qu’il avait entrepris et réussi à la biologiste. Il s’arrêta un instant, sa paume vint se plaquer à l’arrière de son crâne. Ses cheveux coupés en dégradé circulèrent entre ses doigts jusqu’à ce que l’idée d’aller voir du côté des blanchons lui apparut comme évidence.
Ils avaient retrouvé leur place à l’intérieur après avoir subi les examens nécessaires, et tous semblaient en excellente santé. Joyce, l’interpella-t-il en la reconnaissant de dos. L'accent ne pouvait faire aucun doute sur son identité. Il s’avança pour la retrouver, le sourire ancré sur ses lèvres bombées. Deviner, vous ne pourrez jamais, s’exclama-t-il, tout en ouvrant son sac à dos. Il récupéra les fioles emballées, dans lesquelles il avait enfermé le médicament spécialement conçu pour Loki, et les pointa vers la jeune femme. J’ai réussi , conclut-il en maintenant le paquet entre ses doigts, la toxine qui éradique, j’ai trouvé dans poissons… Il partit dans une explication scientifique de ses recherches, parcourut chaque étape de la conception pour donner de la valeur à son travail, pour qu’elle puisse lui donner toute sa confiance. Il remarqua ces traits sur son visage, mais son cerveau exigeait de lui qu’il continue à déballer des informations rassurantes.
… Des tests, j’ai réalisé sur cellules vivantes identiques. Huit jours de prise pour Loki, pour cinq kilogrammes un millilitre de cet antidote. De guérir, quatre-vingt-six pourcent de chance, c'est…, s’arrêta-t-il soudainement ; merveilleux. Il était tout sourire, parce que son médicament ne comprenait aucun risque pour l’animal, qui plus était, mais pourquoi ne semblait-elle pas heureuse de la nouvelle ? Il l’observa un court instant avant d’ouvrir de nouveau sa bouche : Joyce ?
@Joyce Millett
(Ji-hun Hwang)