We are like islands in the sea, [...] ft Misty (23.05)

Ji-hun avait attendu une dizaine de jours avant de débuter un premier contact via le réseau social. L’atmosphère avec laquelle ils s’étaient quittés avait été bien étrange ; incompréhensible et terriblement frustrante. Le jeune homme n’avait pas compris le rejet de Misty après qu’elle l’ait entouré de ses bras, ni l’affolement autour du « baiser » qu’elle lui avait donné à l’abri des regards. Il était reparti du parc accompagné de quelques points d’interrogation qui, malgré tout, lui avaient donné envie de persévérer. Dans ses relations, comme dans son travail, ça avait toujours été avec ténacité qu’il avait œuvré, parce qu’elle était, selon lui, la clé de ses réussites ; professionnelles et sociales. Homme un peu farfelu autant que posé, il avait laissé l’eau couler sous les ponts avant d’envoyer un premier message ; la liaison s’était faite comme s’ils ne s’étaient jamais quittés.

Après divers échanges, le nord-coréen avait proposé à la trentenaire qu’ils se retrouvent,  avec cette même politesse particulière qui le caractérisait. Il voulait l’inviter, mais désirait sa réelle approbation avant de se montrer excité quant à l’idée. Au final, elle n’avait attendu que ça et, il ne l’avoua pas mais, lui aussi. L’aquarium était un endroit où il passait déjà un bout de son temps, la faute à un phoque malade et une dame de l’eau complètement paniquée, mais une glace au bord de l’eau l’avait tenté. Il lui avait proposé le port, de façon à s’éloigner de Cambridge, de l’université, des étudiants. Le rendez-vous avait été donné autour de l’Institut d’art contemporain sans grande précision, non loin de la baie naturelle où accostait les navires, pour dix-huit heures, à une trentaine de minutes de chez eux. Lorsqu’il fut à quelques centaines de mètres de l’endroit, il bipa la professeure sur son téléphone via meetsenger.

Hey, s’exclama-t-il lorsqu’elle répondit, de cette tonalité enjouée qui était sienne, pas loin de l’endroit, je suis. T’es où, toi ? Il lui demanda de sa voix grave, tout en posant un regard autour de lui, avant de traverser sur un passage clouté. Un géant, t-shirt blanc, gilet moutarde. Ça te parle, enchaîna-t-il tout en la cherchant à présent de ses agates ; où se trouvait-elle ? L'avait-elle repéré ? Il marcha tout droit, bifurqua vers le Starbucks de Seaport Boulevard , et son sourire s’illumina lorsque, plus loin, il la vit marcher vers la banque de People’s United. Ne bouge plus, toi, l’informa-t-il alors qu’il pressa le pas pour la retrouver, trottina presque, derrière, je suis. Il la prévint avant de lui faire un signe de la main ; le quartier n’était pas bondé. Je raccroche, dit-il avant d’éloigner le téléphone de son oreille et d’appuyer sur le bouton rouge qui mit fin à l’appel.

Ji-hun fut celui qui raccourcit la distance entre eux, et lorsqu’il arriva à la hauteur de Misty, il se retint de la saluer d’une accolade. En revanche, il ne put s’empêcher de traduire son bonheur de la retrouver après tant de semaines écoulées. Ah… Haengbokhamnida…*, laissa-t-il sortir en posant une main sur son cœur pour tenter d’apaiser l’émotion ; en vain. Il inspira profondément avant de porter celle-ci sur le côté du crâne de Misty, là où il prit le risque d’offrir quelques caresses mesurées. Ça va, lui demanda-t-il, sans pouvoir retrousser ses lèvres sur cette esquisse beaucoup trop grande. Était-elle d’humeur à déguster sa saveur de glace favorite en sa compagnie ?

Le rendez-vous est fixé. Lui et toi, vous allez vous retrouver. Drôle de relation où plane l’ambiguïté. Tu n’as pas su refuser, tu as même proposé des lieux où vous pourrez vous retrouver. Jay se chargea des informations techniques quant à l’endroit précis et tu attendis ainsi le jour avec engouement. La nuit précédente, tu ne fermas l’oeil que quelques heures, le coeur tapant bien trop fort contre ta poitrine. Était-ce l’interdit ou l’envie ? Probablement des deux. Les rêves se chevauchant avec des scénarios totalement farfelus, tu te levas aux aurores, comme si tu craignais de rater cette rencontre tant imaginée. Stressée, tu t’essayas à la méditation, mais le taux d’appréhension était trop fort pour se concentrer. Tu abandonnas alors ton lit et te faufilas sous la douche pour te débarrasser de la nuit moite que tu avais passé. Tu avais ensuite répondu à ton anxiété par le ménage. Le sol avait été lavé et la poussière faite, malgré ça, la pression n’était en rien descendue. Les aiguilles tournant autour du cadran, tu te pressas vers ta chambre et enfilas une tenue décontractée pour aller flâner en bord de littoral. Propre sur toi, les yeux et la bouche maquillés, tu empruntas un bus afin qu’il te dépose non loin du point de rendez-vous. Arrivée à proximité, ton téléphone vibra. La main arrachant le portable de ton sac, tu décrochas et la voix de Jay fut. Toujours en mouvement, il te signala sa position et c’est ainsi que tu freinas le pas et te retournas pour l’apercevoir au loin. Immobile, tu agitas tes phalanges, le sourire scotché sur tes lippes pourpres. Il arrivait. À grandes enjambées. Le son de ton palpitant couvrait le raffut de la ville. Enfin proche, il prononça des syllabes que tu ne connaissais pas ensemble et l’anglais réapparu. « Je … Je vais bien et toi ? » Tu mentais, tu n’allais pas bien, tu étais toute fébrile, l’incompréhension accolée à votre sortie. Était-ce ce que l’on nommait un rendez-vous galant ou était-ce une entrevue purement amicale ? Tu ne savais où placer le curseur. La réponse était pour le moment masquée. Accablée par la timidité, tu affrontas difficilement le regard de l’étudiant. Il était beau et imposant. Il avait même beaucoup d’classe. Tu étais d’ailleurs toujours aussi impressionnée par l’mystère qui l’entourait. Ça faisait si longtemps que tu n’avais pas connu quelqu’un de .. sain d’esprit. Enfin, c’est ce que renvoyait Jay, mais peut-être que tu te trompais sur toute la ligne. « C’est quoi le programme Ji-hun ? On se balade un peu et on termine par une gourmandise ? » Encore essoufflée par tes quelques pas, ceci prouvant ton manque de sportivité, tu l’encerclas finalement de tes bras et pus fermer ton étreinte quelques secondes avant de lui rendre sa liberté. « C’était gratuit, mais le prochain sera payant, t’as d’l’argent sur toi ? » Allait-il cibler qu’il ne s’agissait que d’une blague ? Jay comprenait souvent de travers tes commentaires, lui, le charmant extra-terrestre venu d’une autre galaxie. « Je déconne hein, je suis pas une radine, je suis très généreuse. Alors, tu avances avec l’anglais ? » - @Ji-hun Hwang

Ji-hun avait attendu une dizaine de jours avant de débuter un premier contact via le réseau Les doigts de Ji-hun se mêlaient gentiment aux cheveux de Misty, le sourire s’accrochait à cette réponse qu’elle lui avait donnée. Elle allait bien, et c’était tout ce qui importait pour lui de savoir. Il imagina alors qu’elle avait passé un bon weekend, et que sa journée avait probablement été productive, ce qui lui permettait de profiter d’une jeune femme de bonne humeur. Et quand bien même elle ne se serait pas sentie en forme, le nord-coréen était habitué à prendre soin des autres, - d’elle aussi donc. Je vais bien, dit-il à son tour. Malgré les nombreuses heures nocturnes à étudier. Chaque soir après le travail, il mangeait des fiches de vocabulaire d’anglais professionnel qu’il copiait du lundi au vendredi, et se donnait les moyens de parfaire la langue en ajoutant des colonnes de mots utilisés au quotidien. Son envie de s’intégrer ne pouvait être remis en doute, sa résidence permanente, il comptait bien l’obtenir dans cinq ans.

Les yeux plantés dans ceux océans de la brune, il remarqua une certaine gêne de sa part, la sentit fuir son regard ; était-il trop intrusif ? Pour éviter de reproduire la situation qu’ils avaient connue en début de mois, il quitta la chevelure de sa vis-à-vis, cessa ses caresses. Et il sourit, lorsqu’il entendit son prénom sortir d’entre ses chairs. Pas son surnom. Bel et bien son prénom. Il trouvait qu’il sonnait bien de sa voix, de son accent. Un peu à la sud-coréenne, bien plus chantant que ce à quoi on l’avait habitué dans le Nord de la péninsule. À te proposer, j’ai mieux, commença-t-il en enfouissant ses mains dans les poches avant de son pantalon fin, en mangeant une glace, on se balade, puis à emporter, ou dans l’un des petits resto du coin, à dîner, je…. Un programme qui leur ferait passer plus d’une heure ensemble, programme qu’il n’eut pas l’occasion de finir d’exposer.

Il sentit les bras de la jeune femme entourer son corps, et celui-ci ne se raidit pas. Il accepta la proximité comme si elle était tout à fait normale. Il aurait aimé pouvoir la bercer furtivement de sa tendresse lui aussi, mais il s’était rappelé que son élan avait provoqué un rejet presque immédiat. Il se contenta alors de prendre, même s’il appréciait beaucoup donner. Étreinte trop vite terminée à son goût, mais qui eut raison de ses agates bienveillantes posées sur elle lorsque Misty se recula. Et elle eut raison de lui expliquer que les paroles qui avaient suivi n'était qu’une blague, parce qu’il cherchait effectivement de quoi lui prouver qu’il possédait quelques billets sur lui. Une semaine, j’ai attendu pour l’avoir, fit-il, amusé, pour ma patience, un deuxième, je pense avoir mérité, non ? Peut-être plus tard, si elle en ressentait l’envie ; il n’était pas radin, lui non plus.

À la professeure d'Harvard, je réponds, ou à la femme, dans la baignoire, qui m’a surpris, demanda-t-il, lorsqu’il fut question de ses cours. Il laissa un rire s’échapper d’entre ses lippes avant de reprendre : j’assimile bien. La problématique, c’est l’oral. Il n’était pas vraiment content de lui. Peut-être un peu trop dur aussi ? Il avait vécu vingt-six ans dans un pays restrictif, et ça ne faisait que deux mois un peu passés qu’il avait atterri aux États-Unis. Ses professeurs lui rappelaient qu’il se débrouillait bien, mais il était pressé de connaître cette élasticité linguistique dont on parlait. Cette capacité de passer d’une langue à l’autre sans aucun effort. Lui en était encore au stade de traduction typique, par groupe de mots. Du coréen à l’anglais. Ah… un peu, ça m’énerve, avoua-t-il, avant de venir frotter sa nuque de l’une de ses mains, spécialement sortie de sa cachette pour l’occasion.

Il allait tout de même un peu plus vite dans sa diction, et ne peinait plus autant à trouver ses mots ; sauf dans de rares occasions : lorsqu’il venait de parler dans sa langue maternelle, ou lorsqu’il était épuisé. Surveillance d’épreuves, tu as participé , questionna-t-il à son tour la jeune femme ; était-elle fière des commentaires post-examen de ses élèves ? Il commença à avancer sur le trottoir vers le café qui servait des glaces emballées, mais aussi italiennes, faites maison. Ton billet d’avion, tu as pris, se rappela-t-il ensuite qu’elle avait mentionné son départ en vacances ; avait-elle toujours en tête de partir au Japon ? Et puis, une esquisse un peu particulière prit place sur sa bouche, une fois qu’elle eut répondu. Mon parfum, t’aimes pas, lâcha-t-il, interrogateur. De son gel douche, de sa lessive, parce qu’il ne mettait ni eau de Cologne, ni déodorant.

Pourquoi cette question ? Et bien… T’es distante, plissa-t-il les yeux, à deux mètres, tu te tiens, wae yo* ? Il souffla un air rieur ; était-ce une habitude, ou une façon de se protéger ? S’en était-elle rendue compte, qu’elle paraissait intimidée ? Que les gens nous envient, t’as peur, enchérit-il d’un ton plaisantin. Une femme d’environ un mètre soixante et un homme de plus d’un mètre quatre-vingt, c’était un peu idéal, non ? Il la laissa garder ses distances, ou se rapprocher comme bon lui semblait, de toute façon, ils furent bientôt rendus devant l’établissement.