Ji-hun Hwang - Lee Jong-seok

Chapter one : days of mine
mention > travail forcé d'enfants, exécution publique, sexe, endoctrinement

Réveillé tous les jours à cinq heures du matin par les haut-parleurs diffusant en boucle la propagande du régime, Ji-hun se levait sans un bruit, faisait son lit puis se dirigeait comme chaque matin vers les portraits astiqués plus tôt par sa mère. Ses premiers mots étaient adressés au précédent dirigeant ainsi qu’au général Kim Jong-il. Il marquait d’ores et déjà son admiration et ses remerciements aux vénérés de la République populaire démocratique de Corée aux côtés de ses parents. S’ensuivait un petit-déjeuner à base de riz et de soupe de chou qu’il prenait en regardant des dessins animés qui intégraient des messages haineux envers les pays capitalistes. Le petit garçon était heureux, parce qu’il savait qu’aujourd’hui allait débuter sa contribution au pays. S’il lui avait semblé difficile de partir quarante jours loin de ses parents la première fois, ses départs saisonniers vers la campagne lui avaient été vendus comme une fierté, et faisaient de toute façon partie du programme scolaire de tous les nord-coréens. Les tâches divergeaient en fonction de la période de l’année, et aucun membre du groupe de travail ne pouvait se reposer tant que le quota par tête n'était pas rempli.

Le fils Hwang avait sept ans lorsqu’il avait été emmené pour la première fois, par son instituteur, à une exécution publique. Favorisée par une campagne gouvernementale dans le cadre d’une bataille avérée contre les mauvaises attitudes de sa population, celle-ci s’était tenue dans la cour de l’école. Elle n’avait cependant pas été la plus marquante de toutes pour l'endoctriné. Plus tard, alors âgé de dix-sept ans, il avait vu sa camarade se faire traîner sur le peloton de la mort, accompagnée de ses parents et sa petite sœur. Elle et lui avaient été intimes. Elle avait été la première fille qu’il avait couchée sur un lit de céréales, à qui il avait offert ses doigts, sa bouche et sa langue. Contraceptions interdites d'utilisation dans ce pays, les préliminaires restaient la meilleure façon d’atteindre la jouissance sans risquer une grossesse non désirée, compliquée à gérer dans un pays où la population était majoritairement pauvre et connaissait moultes famines. Il avait été spectateur de la scène et n’avait pas cillé, parce qu’il savait que l’amour pouvait le faire tomber lui aussi pour « délit d’association ».  Il regrettait surtout d’avoir accordé de son attention à une délinquante.

Né dans une famille « élitiste », Ji-hun s’était vu autoriser l’accès à une université. Et comme il avait été choisi pour lui qu’il suive les traces de son père, ça avait été dans le domaine des sciences qu’il avait été envoyé. Cours prodigués en anglais – langue universelle des sciences, et notamment de la chimie et biologie -, il avait un programme lourd, un emploi du temps d’une plage horaire de sept heures à vingt-deux heures. Bien que le régime déclarait vouloir forger des citoyens talentueux, il misait avant tout sur une armée grande et puissante. Ainsi, les hommes se devaient de consacrer au moins dix années de leur vie à la défense nationale, Ji-hun faisait ainsi partie du tiers des réservistes militaires. En plus des travaux forcés, qui continuaient de marquer les saisons, et d’exceller dans ses études, il s’était obligé de suivre un entraînement. Ce dévouement lui avait ainsi permis de voir le maréchal Kim Jong-un et son épouse débarquer dans l’appartement familial pour lui offrir quelques présents. Cette visite de courtoisie avait permis à l’une de ses petites sœurs d’être choisie en tant que femme d’agrément pour le divertir. C'était un honneur de servir le leader.

Chapter Two : Escape to live
mention > patriarcat, esclavage sexuel, espionnage de la société, suicide

Appelé de temps à autre à travailler au sein d’un laboratoire de pharmacologie pour mettre à profit ses connaissances en chimie et biochimie, Ji-hun avait pour habitude d’emprunter tardivement l’ascenseur de l’immeuble où il résidait. Celui-ci était tenu par une femme dont le rôle était d’appuyer sur les différents boutons de la cabine, afin d’emmener ses voyageurs aux divers étages. Une espionne qui ne se cachait pas, activité banale dans un pays où même les enfants pouvaient pointer leurs propres parents pour leurs délits. Il était entré dans le logement sans se douter que sa vie allait changer. Son père avait été le seul à l’accueillir, et il n’entendait pas les femmes s’affairer dans la cuisine. Le père Hwang chuchotait, réclamait à plusieurs reprises de ne rien faire ou dire qui pourrait ameuter la surveillante du bâtiment, complice de l’état. L’étudiant avait appris le départ de sa mère et ses deux sœurs. Elles avaient décidé de fuir le régime oppressant de Kim Jong-un, profitant des « vacances » accordées à celle qui avait été choisie pour être l’une de ses concubines. Ji-hun et son père devaient réfléchir à un plan pour mettre les voiles, eux aussi, avant d'en subir les conséquences.

Priant pour qu'aucun contrôle des services politiques n'ait lieu à leur domicile, les deux hommes avaient passé les prochaines vingt-quatre heures dans la crainte. Ils étaient allés étudier et travailler, prétextant que l'épidémie de grippe hivernale avait touché les dames de l'appartement. Durant leurs maigres répits, le père avait réussi à recevoir les autorisations nécessaires à quitter la province de Pyongyang pour visiter sa famille, et Ji-hun avait discrètement concocté un poison qu'ils ingurgiteraient dans le cas où ils se feraient attraper ; le suicide était préférable aux heures de travaux, aux tortures, et autres sévices des camps de concentration réservés aux fuyards. Le lendemain, ils s'étaient mis en route, un simple baluchon de provisions sur l'épaule du plus jeune. Ils avaient discuté toute la nuit, avaient établi un plan qui tenait la route. Connaissant les frontières avec la Chine de plus en plus difficile d'accès, et sachant que la terre du milieu et la Russie renvoyaient les migrants chez eux, ils avaient décidé de mettre le cap sur le Japon, et de traverser la mer de l'Est d'une longueur de huit cent kilomètres à l'aide d'une embarcation de fortune destinée à la pêche.

Après sept jours de navigation, les deux nord-coréens continuaient à agoniser dans le fond de leur barque. Leur stock de nourriture avait été épuisé depuis trois jours, la dernière bouteille d’eau potable ne pouvait plus leur fournir une seule goutte, et le vieux moteur avait rendu l’âme la veille. Ils mourraient de faim, de soif, de sommeil et de froid. Ils craignaient que le courant de la mer ne les renvoie vers le nord de la Corée. Bercé par les vagues, Ji-hun pensait à sa mère et à ses deux petites sœurs qu’il avait laissées derrière lui. Il était parti sans s’assurer qu’elles allaient bien et son cœur ne pouvait cesser de pleurer leur disparition. La fiole de poison dans l’une de ses mains, il était prêt à mettre fin à sa souffrance à tout moment, pour espérer mourir digne et libre.  L’heure suivante lui avait paru ressembler au Paradis ; le Paradis sur la mer. Le ciel était dégagé malgré l'approche du mois de novembre, et les oiseaux commençaient à chanter au-dessus d’eux. Il avait voulu fermer ses yeux, mais un bateau s’était approché d’eux au même moment. Reconnaissant la langue japonaise étudiée au lycée, il avait demandé le droit d’asile pour son père et lui avant de s’évanouir.

Chapter three : N°1 priority

Perfusé durant quelques jours, Ji-hun avait insisté pour remplir la procédure de demande de statut de réfugié pour lui-même, mais également pour son père, dès son réveil. La démarche en route, il avait  ouïe dire que les Japonais ne donnaient que très rarement de réponse positive et renvoyaient plus facilement les nord-coréens vers la Corée du Sud. Cela s’appliquait par le fait que la société nippone ne (re)connaissait que peu le statut de réfugié, et que de ce simple mot transparaissait la peur pour la sécurité du pays, et les risques que cela pouvait engendrer. Déterminé à ne plus avoir à faire à cette péninsule, il avait interpellé une personne travaillant pour une ONG Internationale afin d’être aidé. Par chance, cette dernière connaissait une association privée habituée à mettre en relations des familles américaines et des transfuges. Il n’avait pas attendu bien longtemps pour avoir du soutien et être parrainé. Comme deviné, le plus âgé n'avait pas vu sa demande être acceptée et avait reçu une offre de réinstallation dans le sud quand l’étudiant avait encore à patienter. Père et fils avaient ainsi été séparés en début d’année sans savoir s'ils pourraient se revoir un jour.

C'était en mars dernier qu'il avait été escorté dans un avion jusqu'aux États-Unis d'Amérique, soit près de cinq mois après sa fuite. Si tout paraissait nouveau, du moyen de locomotion aux films internationaux mis à disposition dans l'habitacle, Ji-hun n'était pas en mesure de s'extasier. Il n'avait qu'une idée en tête : garder précieusement entre ses mains les papiers officiels qui lui permettaient enfin de laisser derrière lui la crainte de mourir. Après plus de vingt heures de vol et aucune de repos, il était arrivé au terminal où ses parrains étaient censés venir le récupérer. Les présentations avaient été courtes, histoire de permettre au jeune homme de rejoindre au plus tôt le foyer et de s'y reposer. Pour autant, et bien que la famille était habilitée à le soutenir dans ces prochaines démarches administratives, lui et son correspondant de l'association allaient régulièrement rester en contact. Hébergé d'abord dans une chambre privée du domicile de ceux qui étaient portés garant pour lui, Ji-hun avait montré très vite son désir de ne pas rester un poids et s'était montré curieux des possibilités qui s'offraient à lui.

Aucune répression dans un pays tel que celui-ci, le rêve américain était à porter de ses mains. Aussitôt arrivé qu'il avait trouvé quelques petits boulots temporaires pour subvenir à ses besoins. Il gardait dans un coin de sa tête une ambition bien plus grande. Il était venu à se confier sur sa vie estudiantine en République populaire démocratique de Corée, sur ses grandes chances de devenir chercheur en pharmacologie, et avait émis le souhait de poursuivre dans cette voie-là. Poussé par ses piliers américains, il  s'était naturellement appliqué à remplir son dossier d'admission pour Harvard, volontaire d'un jour mettre à disposition ses connaissances et compétences au profit du pays qui l'avait accueilli. Conscient de ses lacunes, malgré le travail fait en amont et la validation de son ACT, il avait décidé de prendre des cours intensifs en attendant la rentrée. Les résultats étaient tombés mi-juillet, lui offrant un score de près de 80% qui prouvait une fois de plus son implication. Il avait débuté son contrat doctoral un mois et demi plus tard.

A l'école de médecine d'Harvard, bien sûr. Là où, en plus de développer une problématique qui lui tenait à cœur en souvenir de sa plus jeune sœur, il était devenu l'assistant de recherches de son superviseur. Il n'hésitait pas à profiter de ses interventions en séminaire pour faire des rencontres, et il espérait bien, qu'un jour, celles-ci puissent changer le cours de son histoire.