JAX SAYLOR MADDEN ► Joe Keery

15 Avril 2006, 7 ans

22h. Jax est terré dans son lit et des conversations lui parviennent depuis le salon, où sa mère a convié une quinzaine de personnes à faire la fiesta. Sa porte s’ouvre et une voix féminine lâche un juron avant de laisser échapper un gloussement.

— Oups… c’est pas les toilettes.

— Quoi ? rétorque une autre.

— C’est la chambre du petit.

— Oh. Réveille-le, qu’on s'amuse un peu.

— Jaaax… tu dors ?

Le gamin enfonce sa tête sous sa couverture, mais bientôt, une main vient délicatement l’abaisser.

— Joyeux anniiiiversaiire, joyeux anniversaiiiiire, joyeux anniversaire Jackson, joyeux anniversaiiiire… chantonnent les deux femmes à l’unisson.

Bêtement, Jax se sent important, là tout de suite. Il est content d’avoir de l’attention, puisque sa maman - Tina - l’a ignoré plus ou moins toute la journée. Ces nanas, il les connaît à peine : ce sont des potes de sa daronne, des clientes, probablement, mais ça, c’est encore un peu flou dans sa caboche de gamin. Tout ce qu’il sait, c’est qu’elles viennent régulièrement dans leur mobile-home et que sa mère leur crie souvent dessus.

— Elle est où, maman ? demande-t-il en frottant ses yeux ensommeillés.

— Dehors, avec son idiot de petit ami.

— Viens… on va te faire voir un truc trop cool.

Il les suit à l’extérieur, traînant son doudou - un vieux chiffon malodorant - derrière lui. Une odeur de barbecue s’introduit dans ses narines, et des rires percutent ses tympans, provenant de l’autre côté. Les filles le font grimper sur le toit du mobile-home et ensemble, ils contemplent le ciel rempli d’étoiles. Bientôt, plusieurs comètes fendent la voûte obscure et Jax les observe en silence.

— Tu vois ça, Jax ? C’est comme ça qu’il faut vivre. En courant très vite et en brillant très fort, même si ça ne dure pas longtemps.


15 Avril 2011, 12 ans

— Joyeux anniiiiiversaiiiire mon chaton…

Ce matin-là, Tina débarque dans sa chambre avec une pile de pancakes aux myrtilles. À la vue du sirop d’érable qui dégouline sur la montagne de sucre, Jax se met à saliver.

— Merci, m'man.

Ils passent la journée au centre commercial, puis à Chuck E. Cheese’s, où Jax s’amuse à accumuler une multitude de tickets pour récupérer ensuite des lots de jouets et autres babioles au comptoir. Tina crie dans son téléphone devant le restaurant, et raccroche quand Jackson la rejoint.

— Rentrons à la maison, mon grand.

Lorsqu’ils arrivent devant le mobile-home, un type tatoué avance vers eux en chaloupant, dévoilant un sourire édenté dont certains trous ont été comblés par des dents en or.

— Tinaaaa… beauté. Comment ça va ?

Il ouvre grand les bras mais la blonde l’évite en chargeant vers la porte, tenant fermement son fils contre sa hanche.

— Je t’ai dit de ne pas foutre les pieds ici, Jimmy.

— Je sais que t’as de quoi me tenir pour la semaine, Tina. Je sais ce que tu caches dans tes sachets de farine.

— La ferme.

Puisqu’il revient vers eux, Tina fait volte-face en brandissant un pistolet. Le sang de Jax se glace dans ses veines, mais il fait bonne figure, le visage aussi immobile qu’une des figurines en plastique qu'il tient entre ses doigts.

— Tire-toi d’ici. Et que je ne te revoie plus dans les parages.

Le type bat en retraite, levant les mains en reculant avant de disparaître dans la rue. Jax a peur, mais il ressent une pointe de fierté à l’idée que sa maman soit si intimidante. Quand il sera grand, il veut être comme elle.


15 Avril 2017, 18 ans

Jax commence un Bachelor à la fac d’Austin dans quelques jours. Lui-même ne sait pas comment il a réussi à entrer… sans nul doute grâce à l’aide de sa petite amie, une diplômée de littérature qu’il a rencontrée au club de théâtre de son lycée. Celle-ci lui a donné des cours particuliers pendant des mois - et c’est à comprendre sous les deux sens du terme - afin qu’il puisse leur envoyer un dossier d’enfer. Finie, la vie dans ce mobile-home pourri à Dallas, et bonjour la vie de campus ! Merci aux aides sociales et au prêt étudiant, aussi, qui lui permettront de survivre, même s’il est déjà endetté jusqu’au cou. Avant de partir, il fouille les placards de la cuisine en espérant y trouver de quoi étoffer son compte en banque pour quelques semaines. Bingo… des sachets de poudre blanche sont minutieusement entassés au fond d’une boîte, numérotés et datés. Sa mère va le tuer, mais il s’en fiche. Après tout, elle lui doit bien ça.

Ces trucs-là ne l’ont jamais attiré, mais aujourd’hui, il a envie de fêter. Alors il garde un petit sachet dans sa poche, curieux de voir pourquoi l’entourage de sa mère ne jure que par cette fameuse poudre. Ce soir-là, il sniffe son premier rail de coke. Et les sachets qu’il comptait vendre finissent par être tous absorbés par son système petit à petit, au fil des mois. C’est addictif, cette merde. Et au cours des années suivantes, Jax passera par des périodes d’obsession, pour ensuite retrouver une relative sobriété. Parce que c’est lui, qui commande. Parce qu’il veut garder le contrôle, et que rien ni personne n’est plus fort que sa volonté.

Du moins, ainsi l'a-t-il décrété.