Priape E. Zacharias ► Taylor Kitsch

{PAGE 1}

Je devrais probablement commencer par une formule du style « cher journal » mais je n’aime pas cela, je me sens déjà suffisamment idiot d’écrire là dedans. Tenir un journal intime c’est un truc de gonzesses ça… Qu’est-ce que je vais pouvoir dire moi ? Raconter comment ma vie a viré au cauchemar ? Parler du gouffre sans fin dans lequel j’ai l’impression de tomber depuis que je l’ai perdue ? Confier sur ses pages la détresse qui m’a envahi quand j’ai appris pour sa maladie ? Décrire le courage dont elle a fait preuve à chaque étape de son traitement ? Comment toute cette épreuve a anéanti chaque membre de ma famille parce que malgré la force dont elle a fait preuve, elle nous a quitté ? Le chagrin que j’ai ressenti lorsque j’ai regardé son petit cercueil s’enfoncer doucement sous la terre ? En quoi cela pourrait-il m’aider ? Je ne devrais pas écrire tout cela, j’aurais du envoyer bouler ce psy à deux balles lorsqu’il a suggéré cette idée. « Tu devrais tenir un recueil de tes pensées Priape. Un cahier auquel personne n’aurait accès, que seul toi pourrait lire, qui te permettrait de vider complètement ton sac, de confier toutes tes sombres pensées… » J’aurais du lui dire d’aller se faire f… Mais je ne l’ai pas fait. Je sais qu’il se renseignera auprès de mes parents pour savoir si j’applique bien ses conseils et je sais que si je ne le fais pas, il refusera de me prescrire mon traitement, mon échappatoire à tout ce merdier, mes pilules du bonheur… J’en consomme tous les jours, je ne respecte pas les posologies mais qu’importe, c’est mon moyen d’évasion, ça et puis les joints que je fume en douce quand je ne sniffe pas des rails de coke… On ne roule pas sur l’or à la maison alors j’en suis réduit à dealer pour pouvoir me payer ma dope. J’ai l’impression de ne plus vraiment avoir le choix, après tout qu’est-ce que la vie à d’autre à m’offrir ?

{PAGE 18}

Oui j’écris toujours dans ce stupide cahier. Finalement, il avait peut être raison ce psy. Déverser ma colère en laissant courir mon crayon sur ses pages cela me semble finalement bénéfique. Comme si écrire me permettait d’hurler sans bruit… Notre famille a perdu Thalya et maintenant j’ai le sentiment qu’on perd Emrys, mon frère ainé. Il était de plus en plus distant avec nous, et cette distance s’est matérialisée par son départ pour Harvard. On a fait nos valises nous aussi, pour Atlanta mais je ne peux m’empêcher de penser à Thalya. J’ai l’impression de l’abandonner. On laisse derrière nous sa petite tombe fleurie, sa chambre de petite fille... Dire au revoir aux paysages azurs de ma Grèce natale, ses îles innombrables baignant dans des eaux transparentes et limpides, ses petits villages de maisons blanches et leurs coupoles d'églises bleues, c’est une véritable épreuve car chacun de ces endroits familiers est chargé de son souvenir. J’ai peur de laisser tout cela derrière moi, j’ai peur qu’Emrys nous oublie là où il s’en va, que cette famille se désintègre complètement même si le reste de la fratrie reste soudé…

{PAGE 23}

La vie à Atlanta a finalement du bon. Depuis que je suis ici, les choses vont en s’améliorant et cela grâce à Caly. C’est comme si les muscles de mon visage avaient recommencé à fonctionner : je peux sourire de nouveau. Grace à elle. J’avais oublié ce que c’était de rire. Je ne peux lui mentir, elle lit en moi comme dans un livre ouvert. Elle voit aussitôt quand je plane parce que j’ai pris un cachet de trop. On se connaît à peine mais déjà je me demande comment je faisais sans elle. C’est devenu ma nouvelle dope depuis que j’ai décroché grâce à son aide. Elle est mon soutien. Une amie. Une alliée.

{PAGE 30}

J’ai de nouveau fait mes valises. Me voilà sous les palmiers de miami. Les paysages de Floride n’équivalent pas ceux de ma Grèce natale mais je suis plutôt content de me retrouver ici. Caly m’a présenté l’un de ses meilleurs amis, Valentin. Ce type est génial. Outre notre amitié pour miss Adams, on s’est découvert plein de points communs. Mon ainé étant barré à Havard et bien décidé à ignorer sa propre famille, j’ai l’impression d’avoir trouvé en Valentin un nouveau frère. J’ai également retrouvé mon amour de vacances Sateen et nous avons retrouvé notre complicité d’autrefois. Nous nous étions rencontrés à Atlanta mais notre histoire n’avait pas résisté à la distance. Il n’y a pourtant aucune gène entre nous. Je me sens de nouveau épanoui, presque heureux en somme, entouré de mes amis, ma deuxième famille. Une ombre persiste au tableau : Thalya me manquera toujours et Emrys qui s’éloigne de nous… Je sais que même si je ne me drogue plus, cela reste un point sensible. Alors je prends mon prozac avec précaution, en respectant bien les doses cette fois afin de ne plus jamais retomber dans une quelconque addiction.

{PAGE 34}

J’ai perdu le contrôle avec Caly. C’était à la fois tout ce que j’avais toujours voulu mais aussi tout ce que je craignais. Pourtant je sais que ça ne se reproduira pas. Elle me l’a fait comprendre. Mais je me repasse en boucle dans ma tête le film de cette nuit délicieuse à ses côtés, inoubliable. J’aurais fait n’importe quoi pour elle. Pour la voir heureuse. J’ai ravalé ma fierté lorsqu’elle m’a repoussé. J’ai essayé d’accepter le fait qu’elle ne veuille pas de moi, essayant de me montrer détaché, tachant de l’oublier en sortant avec une autre. J’étais prêt à renoncer à elle, à continuer de l’aimer silencieusement, pourvu qu’elle soit heureuse. J’ai souhaité qu’elle trouve quelqu’un, pas un garçon juste bien mais un mec extraordinaire, le prince charmant qui l’aimerait presque aussi fort que moi… J’aurais même pu me montrer aimable avec son petit copain, sympathiser avec lui. Mais il a fallu qu’elle le choisisse lui : Tyler. Mon pire ennemi. Le garçon le plus insupportable et le plus désagréable qu’il m’est été donné l’occasion de rencontrer. Je sens que cette situation nous éloigne, qu’on se perd un peu chaque jour et ça m’effraie. Heureusement Valentin est à mes côtés et continue de faire le lien entre nous…

{PAGE 45}

Depuis le décés de Thalya, je me suis souvent demandé comment les choses auraient fini si l’on avait diagnostiqué plus rapidement sa tumeur, si elle avait été placée entre les mains de chirurgiens plus habiles et plus talentueux. A quoi tient une vie ? Au sérieux qu’on accorde à vos symptômes ? A la rapidité avec laquelle on vous décroche un rendez vous pour un scanner, une IRM ? Aux doses de curare que l’on vous injecte lors d’une anesthésie générale ? Aux quelques millimètres que le bistouri parcoure contre votre chair pendant une opération ? C’est probablement toutes ses questions qui m’ont amené jusqu’ici : les études de médecines. A miami, j’avais commencé à étudier dans cette voie. Mais quand Valou a demandé son transfert pour Harvard, je ne pouvais pas continuer ici, pas sans lui. C’est ainsi que je me suis retrouvé à postuler aussi pour la prestigieuse faculté. J’étais vraiment enchanté quand j’ai reçu une réponse positive. J’allais pouvoir poursuivre mon rêve : devenir chirurgien et dans l’un des campus les plus réputés. Mes retrouvailles avec Emrys n’allaient probablement pas être des plus chaleureuses mais retrouver mon plus jeune frère, Denys, cela me réjouissait carrément.

{DERNIERE PAGE}

La vie à Harvard suit son cours. J’étudie, je sors, je profite. J’ai rencontré Nat, la petite sœur de Valou. Je l’ai très vite adoptée, elle est vraiment attachante. Je crois que quand je la regarde, j’imagine un peu la jeune fille qu’aurait pu devenir Thalya si elle avait eu la chance de vivre. Je suis sûr qu’elles se seraient merveilleusement entendues. Et puis il y a aussi toutes ces filles, ravissantes, envoutantes… Un décolleté scintillant attire mon regard. Un sourire enjôleur de ma part, un regard un peu appuyé puis quelques paroles et la jeune proie mord à l’hameçon. Pourtant, malgré les chaudes nuits passées dans les bras des plus jolies filles du campus, je n’arrive pas à l ‘oublier, Caly. On s’engueule sans cesse, je sens que notre complicité n’est plus la même, malgré les efforts de Valentin pour nous réconcilier…