Right mood drew by your hands ft Jade (16.05)

Dean avait repris l’habitude de se raser durant ces quatre derniers mois passés au front, et avec cette habitude il avait retrouvé une repousse plus rapide de sa barbe et sa moustache. Ça aurait pu l’obliger à expérimenter un nouveau style plus masculin, à savoir laisser ses poils recouvrir son menton, le dessus de sa lèvre supérieure et ses joues et en prendre soin, mais c’était sans compter sur sa pilosité faciale récalcitrante. Malgré la patience et un mode de vie sain, sa barbe avait toujours été clairsemée, ce qui obligeait Dean à s'attarder sur une tâche quasi quotidienne qui devenait une tare plus qu’une partie de plaisir. S’il avait adoré donner ses premiers coups de rasoir à l’approche de la vingtaine, ceux-ci s’étaient peu à peu transformés en une corvée. Ainsi, il avait pris l’habitude de prendre rendez-vous dans un institut pour une épilation qui lui permettait d’être tranquille pour quelque temps.

Adepte d’un salon tenu par des hommes, ce dernier avait été récemment fermé, et le militaire s’était retrouvé devant une porte close. Il avait alors dû feuilleter d’autres adresses sur son téléphone, et lire les avis qui avaient été laissés pour faire un choix. Il avait donné un coup de fil le lendemain de son retour sur Boston et avait eu un rendez-vous pour le lundi suivant. Ce qui tombait à pic, puisqu’il avait réservé une place pour le match de baseball qui se tenait au Fenway Park le soir même. Une journée qui s’annonçait donc bien chargée ; et c’était ce qu’il aimait. Habitué à ne pas s’ennuyer, vivant au régiment un rythme soutenu d’activités sportives et intellectuelles, il aimait retrouver la même cadence lors de ses congés. Il quitta alors l’appartement de ses parents dans lequel il vivait ses permissions et se rendit à pieds au « Endless Beauty » qui se situait dans son quartier de résidence.

Il poussa la porte d’entrée du salon d’esthétique et se présenta à l’accueil. Bonjour, j'ai rendez-vous à quatorze heures, annonça-t-il avant de donner son nom : Dean, Hassani. La jeune femme vérifia l’exactitude des informations, et il hocha la tête sur la liste des soins à prodiguer : c’est bien ça. Épilation de la barbe, de la moustache, un soin du visage et des mains, parce qu’il s’était rendu compte que ses paumes et ses doigts avaient pris cher durant son déploiement, et que son épiderme avait été asséchée par l’environnement et par les armes qu’il avait tenues fermement. Il lui fut prié d’attendre sur l’un des fauteuils de la salle d’attente, puisque la personne terminait la séance d’un autre client. Il s’exécuta, profita de ce temps de repos pour consulter son téléphone, notamment les dernières actualités internationales.

le visage souvent acquiescé, le sourire qui semblait s'être figé sur tes lèvres desséchées. enchainant les rendez-vous à une vitesse effrénée. une conversation qui s'éternisait, forcée d'être une oreille attentive pour cette jeune habituée. problèmes conjugaux, un mari souvent absent. t'admettant presque qu'elle était prête à franchir la ligne. celle qui la cataloguerait dans cette même étiquette dans laquelle tu demeurais depuis que t'avais brisé le coeur de tes ex. t'étais pas la mieux placée pour la conseiller. alors tu maintenais tes lèvres closes et tu te concentrais sur le reste du massage prodigué. dernières minutes qui s'écoulent d'une lenteur insoutenable avant qu'elle ne finisse enfin par quitter la pièce. le corps qui se laisse spontanément tomber sur la table de soin, la main voilant ton front. fermant délibérément les paupières. te laissant quelques secondes de répit avant l'arrivée du prochain client. le dernier sur la liste il te semblait. la bouche s'ouvre pour laisser échapper un soupir résigné avant de t'élancer hors de la table pour te mettre sur tes deux pieds. les mains qui s'activent pour désinfecter la pièce, t'en profites également pour remettre en place ton chignon. sourire factice qui s'accroche à tes pulpeuses, les pas qui t'amènent directement vers celui en quête d'une renaissance. — monsieur hassani ? t'hasardes, venant poser doucement ta main sur son épaule pour éviter de l'effrayer. son attention visiblement concentré sur le contenu de son téléphone portable. — vous me suivez ? désolée pour l'attente t'ajoutes, l'invitant à se joindre à toi. espérant que cette dernière heure filerait à toute allure. le manque de sommeil qui commençait sérieusement à se faire ressentir. — je vous laisse vous installer.  vous êtes là pour une épilation et un soin du visage. c'est bien ça ? les doigts baignées dans le désinfectant qui s'entrecroisent, ne pouvant t'empêcher de l'observer de la tête aux pieds.

Le nez rivé sur son téléphone, toujours. L’habitude d’un militaire, à se tenir informé de ce qui se passait dans le monde. L’actualité pouvait lui permettre de deviner les contrées dans lesquelles il serait emmené à être déployé. Mais ce n’était pas pour tout de suite, il le savait. On lui avait accordé des congés de fin de mission, et ça faisait du bien. Autant que de prendre soin de soi après tant de dures labeurs loin de Boston. Un peu moins peut-être d’être surpris par une main féminine sur son épaule. Il sursauta, ses narines inspirant une grosse bouffée d’air quand la tête se releva pour découvrir l’identité d’une brune en tenue professionnelle ; les réflexes encore présents. Il hocha la tête vivement pour confirmer sa présence, et s’excusa de façon brève pour sa réaction : j’étais plongé dans ce que je faisais. Il lui adressa un sourire avant de se lever et de la suivre dans la salle.

Il s’installa, docile. Le corps reposa complètement contre la table de soins, et jaugea la meilleure hauteur à prendre, le meilleur emplacement pour sa nuque. Et des mains, vous constaterez par vous-même qu’elles sont horribles , fit-il, en levant ses bras pour pouvoir observer lui aussi les dégâts. Cornes sur les paumes, entailles récemment cicatrisées par-ci, zones sèches par-là, et des ongles abîmés, on ne pouvait pas dire qu’elles avaient été ménagées. Il venait de retrouver sa compagne, ne pouvait se résoudre à continuer de martyriser sa peau si douce de ses doigts rêches. Il porta son regard sur les gestes de son esthéticienne du jour, puis leva son regard ébène aux filaments marronnés dans ses eaux bleues. Un problème , remarqua-t-il qu’elle parcourait son corps de haut en bas, vous préférez que je m’installe autrement ?

Il se montra prêt à exaucer son souhait, si elle avait pour habitude de travailler d’une certaine façon. Vous semblez épuisée , commenta-t-il alors qu’elle continuait à se préparer. Elle avait une petite mine, de celles qui avaient besoin de vacances. Un peu comme lui. Dure journée , osa-t-il demander, habitué à se montrer avenant pour que les moments puissent être agréables pour l’une et l’autre des parties en interaction. Il n’était que quatorze heures un peu passées, et pourtant. Est-ce que certains clients s’étaient montrés désagréables ? Ou avait-elle connu une nuit agitée ?