Invité
est en ligne
Invité
TW : condition médicale sévère
La nuit commençait à tomber. Cloué dans son fauteuil roulant ce soir, Tabby était de mauvais poil. Le lapin de compagnie de son colocataire, professeur à Harvard, lui tenait compagnie en dormant profondément sur ses genoux. Il n'y avait rien à la télé. Tabby n'avait pas envie de toucher à son repas ; son regard s'égara en direction des collections de jeux vidéo que Tex avait entassées de part et d'autres de la télé. Il n'était pas censé y toucher, mais...
Quand le professeur Douglas revint à la maison, une demi-heure plus tard, en ouvrant la porte il eut la surprise de voir le lapin posté juste devant lui, assis sur son derrière et les pattes de devant repliées, comme un chien qui apporte le journal. D'habitude, à ce moment de la journée, cette grosse marmotte dormait profondément dans un endroit chaud. Il fronça les sourcils. Il s'était passé quelque chose. Sans prendre le temps d'enlever son manteau, il courut au salon. Il avait vu depuis l'extérieur que la lumière était allumée là-bas.
En arrivant, il vit son colocataire étendu sur le sol. Tabby était figé, une sorte de rictus aux lèvres, comme s'il avait été touché par une fléchette au curare. Tex sut immédiatement ce qui s'était passé, en voyant l'écran de veille du jeu vidéo qui tournait en projetant une lumière vive et palpitante. Un milliards de papillons dorés. Et le repas intact sur la tablette, où l'infirmière l'avait laissé en partant après les soins de cet après-midi. Tabby avait poussé son faible organisme au-delà de ses limites.
Pourquoi faisait-il ça ? Pourquoi n'avait-il pas pu attendre une demi-heure, que Tex rentre pour lui tenir compagnie et veiller sur lui ? Ce seraient des questions qu'il lui poserait quand ils pourraient à nouveau parler. Si ça leur était donné. Il se concentra pour rester calme, et au lieu de s'approcher de l'homme amaigri et tordu sur le sol, qui le regardait d'un regard vide, il sortit son téléphone et commença à passer un appel aux secours. Ce n'était pas la première fois qu'il avait à faire ça, et il espérait tomber sur quelqu'un qui se rappelerait de la situation. Mais il n'eut pas cette chance. Il s'appliqua donc à expliquer de son mieux. Son mode de pensée et de langage académique lui soufflait mécaniquement les mots exacts, mais sa voix désincarnée laissait deviner dans quel état de choc il se trouvait.
"Mon colocataire fait une crise de dyspnée. Il est atteint de la forme juvénile de la maladie de Huntington," dit très vite Tex, avant de respirer un grand coup et de répéter lentement : il voyait bien que la personne au bout du fil avait du mal à le suivre. "Ses muscles se bloquent, ils ne lui répondent plus. Il peut à peine respirer. J'ai besoin que vous veniez tout de suite, avec le matériel pour une oxygénothérapie."
Ses yeux se fermèrent, tandis que l'opératrice lui donnait les conseils d'usage pour les premiers secours en attendant l'arrivée d'une ambulance. Il s'agenouilla à côté de Tabby et prit sa main raidie, en assurant qu'il avait laissé la porte d'entrée ouverte. Pas physiquement bien sûr, le lapin aurait pu s'échapper. Mais le lapin était toujours assis à le regarder, l'air pensif et curieux, tout à fait conscient que quelque chose de terrible était en train d'arriver dans sa petite vie placide et protégée. Tex lui jeta un regard, inspira profondément, et commença à faire le bouche-à-bouche, en comptant lentement dans sa tête. Il n'avait pas adressé un mot à Tabby. Il craignait de s'exprimer un peu trop sévèrement, si il le faisait.
Et puis, rien ne lui disait que Tabby pouvait l'entendre.
(Invité)