TW [[ Thursday night live

L’esprit parasité par ce qui, dans mon ventre, s’est installé, je ne parviens pas à réfléchir, à assimiler, à gérer les réunions comme je le devrais. D’une main de maitre, d’une impératrice dont l’empire a été récemment touché. J’ai trop voulu jouer, la stratégie était mauvaise, et sur l’échiquier, du haut de mes Louboutins, j’ai trébuché. A la lisière d’un fond que je me refuse à toucher.

Alors dans cette salle où habituellement ce sont les mannequins qui se préparent, j’ai mandaté Jieun pour qu’elle vienne s’occuper de moi. Puisqu’elle est la meilleure, et qu’elle ne se hasardera pas à juger mon futile malheur. Durant de longues minutes, elle n’a rien prononcé de trop personnel à mon sujet, préférant s’affairer. Professionnelle à souhait. Tout ce que je voulais. Mais c’était trop demandé. Car… « Tu as l’air fatiguée… » Elle a osé souligner lorsque son pinceau a redessiné mes traits. J’en ai exulté un soupir, juste avant de déglutir. « Tu devrais peut-être penser à lever le pied. » Bienveillante, elle m’a donné envie de dégobiller. Ce que depuis quelques jours, faute de la vermine en moi, je fais. Et du regard noir que je lui ai lancé, elle a compris, comme une grande, qu’aujourd’hui, je me passerais volontiers de son avis. Que même si je l’apprécie, il ne faut pas pousser, je reste la patronne, elle l’employée. Et ce qu’elle doit faire sur le moment c’est me rendre présentable afin que je puisse assumer la conférence de presse à laquelle je suis conviée. Dans l’idée de défendre mes intérêts, de pallier les rumeurs sur ma sexualité, et redevenir l’ange préféré de cette Amérique qui ne me connait.

La conférence passée, je me retrouve derrière mon bureau à devoir négocier avec mes bourreaux. L’échec, il faut dire qu’il était beau. La perfection de mon schéma, le millimètre près. Un fiasco, le résultat. Et comme je préfère – toujours – blâmer le monde plutôt que moi. Mes erreurs de calcul, je ne les assume pas. De ce fait lorsque je l’ai vu traverser les couloirs de la WW, je m’en suis rendue dingue, c’est vrai. A vouloir lui faire porter le chapeau des commentaires négatifs sur mon état affluents sur les réseaux sociaux. Deux ordres balancés à mon assistante afin de le convier, désireuse d’écorcher l’entente qui peut les lier. L’échec, les faiblesses, elles ne sont pas tolérées dans ma compagnie, et j’ai décidé de jouer avec lui. Une occupation impulsive pour mon esprit perverti.
Seule dans le building, j’en délaisse mon téléphone, les paroles incisives, lorsque je le devine. Je me redresse sur mes talons, et marche dans sa direction. C’est étrange, comme les choses changent. J’ai beau l’avoir vu des dizaines de fois venir la chercher, je n’aurais jamais pensé que le doigt de ma maquilleuse, de son anneau, se trouve dépossédé. Comme quoi, l’amour ne se conjugue pas à jamais. J’en arque un sourire lorsqu’il se perd à l’appeler. « Jieun ? » Il est un brin pitoyable, mais ça me plaît. Alors quand j’entre dans son champ de vision, je lui offre une mine désolée, une légère manipulation. « Mauvaise pioche. » Et mon regard le détaille dans son intégralité. Quelle drôle d’idée que de l’avoir laissé s’échapper. « Je dirais même qu’elle est partie, il y a quelques minutes, déjà. » Aigrie de constater que ce qu’il fait pour elle, aucune de mes connaissances ne le ferait pour moi. Au sommet, les dirigeants sont éternellement solitaires, n’est-ce pas ?  

Directement sur son facies je parviens à lire la nervosité, c’est presque mignon à remarquer. Désolant aussi, si je me devais de dealer avec l’honnêteté. Même pathétique, j’en regrette presque de l’avoir envisagé de façon lubrique. « Elle m’a demandé de passer. » Les jérémiades, ce ne sont pas vraiment mes préliminaires préférés, tu sais. Cependant, j’accepte de me taire, pour qu’il puisse comprendre de son propre chef, ce que j’attends et espère. « Elle savait que j’allais venir. Elle ne serait pas partie. » Oh, je t'en prie. Spontanément, j’en lève les yeux au ciel, soupirant d’une humeur agacée, massant de deux doigts, le côté de mon visage, aspirant à délasser mon image fatiguée, lorsque je traverse le studio photo, et que ma voix s’élève, éteint le silence d’un simple mot. « Elle ? » J’en ai un sourire crispé autant qu’amusé. J’ai envie de jouer à chat, et je t’ai choisi comme nouvelle proie. C’est aussi simple que ça. Bien que j’aie conscience que cela risque d’être compliqué, un oxymore parfait. Mais quoi de mieux qu’un challenge de taille afin d’oublier ? Omettre le début d’année, le mois de janvier, la conférence foirée, l’argent perdu, et celle qui a voulu me rassurer, cette ancienne fiancée alors que je sais pertinemment mon état risible à souhait. Je me suis foirée, voilà la vérité, en vingt-deux ans, ce n’était jamais arrivé. Je ne suis pas capable de le digérer. A penser correctement à la chose que je me dois de flinguer. Qui me répugne, rien qu’à l’évoquer. Et n’ose pas envisager ce que ma foutue famille penserait s’ils savaient. Répudiée du piédestal que j’ai moi-même crée. Déjà devenu bancal à cause de la photo propagée. La peste dans le Royaume des Witter. Une épidémie qu'a dispersé, ce connard de Xian, traitre à son monde, à son rang.
Alors, oui, mon passe-temps, ma lubie, mon caprice, mon défi. J’ai décidé que c’était lui. Un homme d’un âge plus mur encore accroché à l’ex qu’il croyait devoir raccompagner. « Je plaide coupable. » Et parce que la faute est avouée, que mon visage et mon corps sont remarquables, il me semble que l’on peut acter que c’est pardonné ? Je pose mes paumes sur l’un des bureaux, me retourne vers lui, finalement appuyée contre la table, pour ma plaidoirie, en un sens, je m’installe, « Je me suis dit que c’était dommage, » complétement grotesque, absurde, « que tu sois seul, toi aussi, cette nuit. » puisqu’elle est partie. Et moi, j’ai toujours été plus douée, pour passer lesdites nuits, accompagnée. Je veux bien reconnaitre, cela-dit, que mon choix final s’est porté sur lui comme il aurait pu s’arrêter sur n’importe qui, un simple détail suffit, même s’il porte encore sur sa silhouette, ce goût qui me plaît, celui d’un homme pris, cette saveur d’interdit.