Shakespeare, drive me mad • Lilo

D'un pas assez lent, je m'approchais du théâtre. Mes yeux se baladèrent dans mes orbites, observant les environs. A chaque fois que mes pas me conduisaient près du Mémorial, je ressentais un poids énorme sur mon cœur, avec encore une fois la tristesse de ne pas être arrivée à temps, la tristesse de n'avoir rien pu faire. Je secouais doucement ma figure en fermant les yeux. Il ne fallait plus y penser. Non, plus y penser. La journée était chaude, j'avais enfilé un short vert et un débardeur blanc avec des petites bottines. Attifée ainsi, je ressemble sans doute plus à une aventurière qu'à Lady Macbeth. Personne n'a jamais entendu parler d'Indiana Jones s'infiltrant dans le théâtre de Shakespeare. Mais qu'importe. De toute façon, personne ne me verra. Je n'ai pas besoin d'enfiler un costume d''époque, je ne suis pas là pour amuser la galerie. Ils se moqueraient sans doute de moi.
Ma main se posa délicatement sur la poignée de la porte qui menait vers la scène. Ma frimousse se glissa dans l'ouverture de la porte. Tel un jeune chat en quête d'une souris, j'observais chaque détail qui m'entourait, afin d'être sûre de ne pas être aperçue. Une fois rassurée, je me mis à gambader vers la scène. J'attrapais le livre enfoui dans mon sac tout mou aux milles couleurs avant de le projeter sur les sièges de devant. J'allais m'asseoir sur la scène, le cœur battant. J'ouvris le livre, humant le parfum ancien qui s'en dégageait. Je fis danser les pages jusqu'à arriver au monologue tant attendu. Je souris. Je me mis à genoux, tremblante et déclamai :

He has almost supped. Why have you left the chamber?
Was the hope drunk
Wherein you dressed yourself? Hath it slept since?
And wakes it now to look so green and pale
At what it did so freely? 

Le chemin du théâtre était très familier pour moi. A dire vrai, je devais m'y rendre toutes les semaines pour installer le matériel du club de théâtre. C'était une des missions du club audiovisuel et je me faisais toujours un plaisir d'avoir la scène et les coulisses pour moi toute seule. Je rentrais donc par les coulisses, posant au passage ma veste et mon sac sur une table à maquillage. J'aimais l'odeur des coulisses du Sanders Theatre, un lieu peu touché par les attentats. Tout était resté à sa place et je me sentais en sécurité. Même dans la solitude, j'étais loin d'être bruyante. Je considérais vraiment ce lieu comme un endroit sacré.
J'attrapais des projecteurs afin de réaliser un éclairage trois points basique pour une prochaine séance de monologue. Alors que je m'approchais de la scène, j'entendis une voix venant de celle-ci. Une voix basse, avec une amplitude loin de celle des acteurs professionnels. Elle semblait peu assurée. Je posais mon matériel et m'avançais, prenant toutes les mesures pour ne pas faire grincer le parquet. La salle seule était allumée et je ne faisais qu'apercevoir une ombre assise sur le bord de la scène. C'était une demoiselle à en être certaine, elle déclamait un texte qui m'était familier. Caché par un rideau, j’espionnais l'apprentie comédienne. Elle n'était pas mauvaise, même si il lui manquait un je-ne-sais-quoi.
J'avais envie d'allumer les projecteurs pour enfin voir le visage de l'actrice, mais je me doutais qu'elle serait partie en courant, ne voulant pas être découverte. C'était objectivement la seule raison pour venir dans le théâtre à cette heure-ci. Je continuai donc d'observer en silence la jeune fille.