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La sonnerie de son téléphone retentit alors qu'elle était en plein milieu des Liaisons Dangereuses. Aisling se leva directement, le rouge aux joues, évitant les regards meurtriers des quelques étudiants absorbés par leurs tâches. La jeune femme prit son sac et sortit en coup de vent de la bibliothèque, décrochant aussitôt qu'elle eut franchit le perron. Personne n'était censé l'appeler; dans sa précipitation (elle DÉTESTAIT déranger le silence religieux des bibliothèques), elle ignora le nom du correspondant qui s'affichait sur l'écran d'accueil.
Une seconde d'attention lui aurait évité une conversation dramatique.
[...]
« SÉRIEUSEMENT? AEDHAN, TU TE FOUS DE MOI? » Trois minutes plus tard et Aisling commençait déjà à hurler dans l'oreillette. « Tu m'appelles simplement pour me raconter que papa t'as acheté un yacht? Qu'eeeeest-ce que tu veux bien que ça me foute!? Aed, putain, je fais des trucs sérieux là! Je travaille! Je m'en fiche de tes histoires de fric! T'es vraiment trop nul! »
Aisling raccrocha, les larmes au bord des yeux. Elle allait tuer son frère. Encore une fois, il l'appelait depuis Dublin pour lui raconter ses futilités débiles et non-existentielles. C'est pour ça qu'elle dérangeait les autres? Pour entendre son pédant de frangin lui décrire son yacht de... de... Elle soupira, plus de frustration que d'autre chose. Inspirant un bon coup - la respiration, très important, la respiration - elle tourna le dos à l'imposante bibliothèque et se mit à déambuler dans le Yard, monologuant dans sa barbe. « Oui, moi, j'ai le mérite de faire des trucs sérieux, je ne me complais pas dans le luxe et la facilité sous prétexte que ma famille est - Outch ! » La douleur fut vive et éphémère. L'oeil un peu hagard, Aisling considéra son agresseur. Elle venait de se prendre une poubelle.
...
Désespérée, elle s'assit sur le premier banc des alentours, et leva la tête au ciel. Déjà, ce matin, elle était en retard pour son premier cours, ensuite, son frère l'appelait et maintenant elle se cognait contre les poubelles? Raaaaah. Saleté de journée.
Aisling était plutôt du genre spontanée, et ne put se retenir quand elle sentit une présence venir se loger à côté d'elle. Tant pis pour le quidam moyen qui avait décidé de se poser bien tranquillement sur ce banc, elle éprouvait le besoin viscéral de vider son sac, ou elle allait exploser.
« T'as pas l'impression de faire quelque chose de bien? » Son interlocutrice était une jeune femme, typée asiatique, qu'Ash avait peut être croisé une ou deux fois. Une Dunster, elle aussi, d'après ses souvenirs, mais elles ne devaient pas beaucoup fréquenter les mêmes cours, ou les mêmes personnes. Peu importe. « J'veux dire... Pourquoi les gens s'entêtent-ils à penser que le côté intelligence et érudition est complètement facultatif? C'est quand même le plus important dans la constitution d'un être humain, enfin, je dis ça parce-que je suis intelligente - je pense que si j'étais vraiment belle je dirai que c'est la beauté qui prime et dans ce cas je serai chez les Cabots -mais c'est quand même vrai, non? Mon frère vient de m'appeler en plein milieu de la bibliothèque - de Dublin en plus! - pour me décrire son nouveau yacht dont je me contrefiche. » Elle sortit de son sac à main une bouteille d'eau, s'hydrata. Lancée dans un monologue absurde, Ash avait toujours du mal à s'arrêter. Elle ne se posait même pas la question de savoir si ses propos avaient du sens. Mais il fallait qu'elle parle. Et faire semblant de s'adresser à quelqu'un, même si la fille en face avait plutôt l'air de la prendre pour une dégénérée, c'était quand même mieux que de se parler à soi-même. « Non, moi, je pense que ce qui est primordial, c'est l'intelligence. D'ailleurs, c'est pour ça que je suis Dunster. J'aurais largement eu ma place chez les Cabots ou les Eliots, mais, pff. Là au moins, je suis reconnue pour mon mérite, pas mon compte en banque ou ma plastique. C'est comme... c'est comme une gigantesque concentrations d'esprits supérieurs. Une solidarité fondée sur un goût de l'apprentissage, l'ambition et l'émulation. Les meilleurs des meilleurs. L'excellence, la perfection. Et je trouve ça très bien. Tu vois, on domine Harvard. Pas toujours socialement, mais notre supériorité est évidente. Si demain éclate la troisième guerre mondiale, ce sont les Dunster qui vont survivre. Tu vois où je veux en venir? Dieu soit loué. Heureusement que j'évolue dans cette confrérie. Je suis allergique à la bêtise. »
Elle ferma les yeux, les rouvrit, sourit. « Merci de m'avoir écoutée. Je me sens beaucoup mieux. Je m'appelle Aisling Murray. Dunster, de toute évidence. » Et, avec un joli sourire, elle tendit une main parfaitement manucurée à sa voisine.
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