take a deep breath. — (( cleo ))

lundi 10 janvier, 4h du matin. — inhabituelle mais peu surprenante insomnie venue te happer cette nuit, l’esprit sans cesse éveillé par cet affront sur la place publique que représente veritas, t’as quitté l’appartement de ton meilleur ami et de sa fiancée au milieu de la nuit. trois heure pétante ce lundi matin, les airpods glissés dans les oreilles alors que tes pieds foulent le sol suffisamment vite pour titiller ton cardio le long de la rivière. courir pour te sentir vivre, courir aussi pour oublier l’espace d’un instant que t’as débuté l’année du mauvais pied. une heure à tenter de t’essouffler déjà quand tu décides de marquer un arrêt pour tenter de chasser tes démons en inspirant profondément face à cette vue incroyable sur la ville. dans la noirceur de la nuit, le chemin difficilement éclairé par les quelques lampadaires allumés à cette heure-ci, tu tentes en vain de libérer ton esprit.

lundi 10 janvier, 4h du matin. — Il y a des nuits avec et des nuits sans. Et celle-ci semble faire partie de celles avec. Avec ces images qui jaillissent dans mon esprit, pour me quitter qu'au petit matin, lorsqu'il est déjà bien trop tard pour se reposer. Généralement, comme un serpent qui se mord la queue, la fatigue en amène d'autres les nuits suivantes, jusqu'à ce que je tombe dans un sommeil profond, ou que je frôle l'évanouissement parce que mon corps ne peut plus suivre. Mais depuis que je suis rentrée à Boston, depuis que je me suis rapprochée de Misa, cette femme si douce, mes nuits étaient restées calmes, me laissant profiter d'un sommeil réparateur. Mais pas cette nuit, où j'avais arpenté de longues minutes le salon de la colocation dans laquelle je résidais, jusqu'à décider d'aller prendre l'air, pour ne déranger personne, malgré le froid mordant de l'hiver.
Assise sur un banc au bord d'un chemin peu éclairé, les étoiles sous les yeux, pour tenter de m'apaiser, je fermais un instant les yeux, me coupant de tout, du moindre bruit de la ville, pour tenter de vider mon esprit, pour calmer mon corps. Et quand je redressais la tête, jusque-là basculée en arrière, des bruits de pas me firent sursauter, me retournant vivement, prête à me défendre. Je baissais ma garde à la vue d'un joggeur, sûrement aussi insomniaque que moi. "Vous m'avez fait peur", avouais-je à mi-mot, dans le silence noir de cette nuit d'hiver.

les billes sombres braquées sur les lumières de la ville au loin, tu te tiens là, à deux pas d’un banc, sans même prêter attention à ce qui pourrait se passer autour de toi. tu te dis que ça pourrait certainement pas être pire, après tout, alors à quoi bon faire attention ? c’est seulement au moment où l’un de tes écouteurs glisse hors de son habitacle – ton oreille – que tu te rends compte qu’elle est là, cette silhouette féminine, installée sur ce même banc, le visage soudainement tourné vers toi. et la surprise en vient à te faire inhabituellement sursauter, relâchant ta prise sur ton airpod, alors qu’elle t’avoue que tu lui as fait peur. loin de toi la volonté de faire un tel effet mais, pour autant, elle aura eu le soin de te rendre la pareille. « je vous retourne le compliment. » que tu rétorques comme si c’en était un, bien que digne d’une prouesse pour réussir à te prendre par surprise. attrapant une bonne fois pour toutes ton écouteur au sol, tu te redresses pour l’observer un instant, ton regard balayant les alentours pour constater la réalité : « vous êtes seule ? » mais est-ce qu’elle a réellement une bonne raison de répondre à cette question ? au vu de l’heure et des circonstances, elle pourrait tout bonnement t’esquiver avec une bombe au poivre bien placée. « tout va bien, rassurez-moi ? » l’accent londonien chantant qui s’accentue à force de la fatigue.

Dans le silence de la nuit, le bruit lointain des véhicules était presque une berceuse, un bruit de fond apaisant après le vacarme de mes sombres rêves. Quelque temps que je ne les avais pas vu, et je m’étais même laissé penser qu’ils m’avaient définitivement abandonnée, laissant mes nuits paisibles. Mais je me trompais visiblement, vu la netteté des images qui m’occupaient. Et j’avais eu besoin de m’aérer malgré le froid mordant de cette nuit de janvier, bien emmitouflée dans mon manteau et mon écharpe, assise sur ce petit banc éclairé par la seule lueur de la lune et de la multitude.
Visiblement, l’homme a été aussi effrayé que moi et je souris. “J’ignorais que je possédais un tel talent pourtant…” Le dernier mot se perd un peu dans l’air glacial de la nuit. Je ne m’attendais pas vraiment à tomber sur quelqu’un à une heure pareille, et encore moins sur un joggeur. Il pose une question, par gentillesse ou par réel intérêt, peu importe, que je laisse flotter quelques minutes, fixant le scintillant de la galaxie. “Parfois, certaines images viennent vous hanter, et cette nuit semble être propice à de tels souvenirs…” Peu de personnes savaient que je faisais des cauchemars, parce que je me refusais d’en parler, tentant de garder pied face aux autres. Je ne pouvais, je ne devais montrer mes faiblesses et paraître toujours souriante et sûre de moi, une vérité inavouable que je murmurais qu’à quelques proches. Mon attention se repose sur lui, mon regard aussi. “Et vous ? Il faut être assez inconscient pour courir en pleine nuit…” C’était un coup à se casser une cheville en trébuchant sur une souche.