Raise Your Glass •• Romy.

Trop de cartes d’invitations à mon nom. Estampillés Witter, petite chérie d’une certaine Amérique désirée, tout un panel de choix pour dire bonjour à deux mille vingt deux comme il se doit. Il y a la musique assourdissante, il y a ma robe griffée de la main de Balmain, faute d’être signé de la mienne. Et il y a mes doigts, qui s’accrochent à son cou, mes lèvres qui embrassent les siennes. Je profite de cette légèreté, d’agir sans le calculer. Sans penser à la rentrée. Au travail. Je mets de côté tous les détails. Jusqu’à ce que mes phalanges s’accrochent à sa paume, que j’aille souffler à son oreille un « Viens. » Parce que le décompte va bientôt commencer, dans quelques minutes, je le sais, et qu’égoïstement je n’ai pas envie d’être au milieu de la foule lorsque ça arrivera. Les doigts cramponnés aux siens, armée d’un rire cristallin, je nous force à traverser la salle et récupère à la volée, deux coupes de champagne, aime le provoquer d’un « Juste un verre. » Un leitmotiv qui nous connaît. Cette piqûre doucereuse à souhaits, de nos meilleures disputes et de nos façons de nous retrouver, je bois le champagne, goûte le sien en soulignant sa bouche. « La limo attend. » On est à New-York, et je ne sais pas faire autrement que faire les choses en grand.

De Londres à New-York, en passant par Boston, la transition fut courte. Trop, sans doute, pour me permettre de me préparer correctement aux examens de début d’année. Mais ce détail, ce soir - comme les cinq derniers -, je l’oublie afin de fêter comme il se doit le passage à l’an neuf, ses lèvres sur les miennes. Wendy a bien vite pardonné l’escapade sur le vieux continent, si vite que c’en est presque suspect. Tout autant que cette légèreté qui berce la soirée, mais malgré son étrangeté, je n’irai pas jusqu’à m’en plaindre.  « Viens. » Un coup d'œil à ma montre, ses doigts s’accrochent aux miens, je les observe, calcule où nos pas nous guident afin de ne bousculer personne dans la foule. « Juste un verre. » Hochement de tête, je souris et n'émets aucun commentaire pour rappeler que, si le compte tenait à moi, nous pourrions vider la bouteille.  « La limo attend. » Je me passe la langue sur la lèvre inférieure, sur laquelle je peux encore sentir sa présence, et m’accapare de ses lippes une nouvelle fois avant de prendre la sortie. Le cul dans la limo, elle balance ses instructions au chauffeur alors que ma main vient se poser sur sa cuisse, que je presse doucement, avant de lier nos doigts à nouveau. « Tu devrais rire plus souvent. » Ce qui pourrait sonner comme un reproche est, à l’inverse, un compliment. Le son ne franchit que trop rarement la barrière de ses lèvres et fait pourtant partie de mes mélodies préférées. « T’es consciente que, avec la circulation, c’est à l’arrière de la limo que nous allons commencer l’année ? » Simple constatation, me moquant bien d’où nous serons aux douze coups de minuit.

Sa langue qui humidifie ses lèvres, l’euphorie de l’instant qui nous guide, cette pause New-Yorkaise que j’apprécie peut-être à un niveau trop élevé, mais lorsqu’il vient réembrasser ma bouche, je ne peux pas le regretter. J’en suis raide dingue de l’ambiance de cet aparté. De cette légèreté que je me refuse à entacher. Demain, demain je reprendrais mes combats, mais ce soir, je ne suis qu’à lui, c’est aussi simple que ça.

Et une fois dans la voiture, les directives données, on retrouve notre proximité, « Tu devrais rire plus souvent. » je lui en décoche un regard, tout en souriant, mes doigts entrelacés aux siens qui effectuent une pression, pour mimer une approbation… « T’es consciente que, avec la circulation, c’est à l’arrière de la limo que nous allons commencer l’année ? » J’en relève vers lui l’index de ma main libre afin de lui signifier, « Je t’accorde ce point. » parce que bon, il ne faut pas être un génie afin de deviner que vouloir traverser New-York un trente et un décembre en direction de Time Square c’est mission carrément impossible, sauf que j’ai envie d’essayer. Qu’importe la finalité tant que le voyage se déroule à ses côtés. D’ailleurs, mon corps bascule sur le sien, à califourchon sur lui, « Ce serait si embêtant ? » qu’on ne parvienne pas à atteindre notre objectif dans les temps ?

« Je t’accorde ce point. » Appuyé sur l’appuie-tête, je laisse la mienne basculer sur le côté pour lui faire face. J’espère bien qu’elle me l’accorde, car nous savons tous les deux qu’atteindre Times Square dans les vingt-trois minutes qui suivent est tout bonnement impossible, quand bien même nous n’en sommes qu’à quelques pas. Ça me donne d’ailleurs idée, que je n’ai pas le temps de lui proposer. Mes mains accompagnent son mouvement et se positionnent sur ses cuisses, dès que Wendy se trouve à califourchon, venant remonter légèrement le tissu de sa robe. « Ce serait si embêtant ? » Si je ferme les yeux un instant, je peux presque nous y voir. Supprimer tous les éléments perturbateurs qui gravitent autour de notre duo, pour qu’il ne reste plus que son corps sur le mien et mes lèvres sur sa peau. Seulement je sais aussi que nous enfermer dans une bulle plus de quelques jours aurait pour seul résultat de la faire exploser. Nous ne sommes pas de ceux qui pensent à s’enfermer dans une relation, qui peuvent se contenter des courbes d’une seule personne. Il n’empêche que s’il ne devait y en avoir qu’une, ce serait elle.
« Non. » Pour seule réponse, une main remonte dans son dos jusqu’à ce que mes phalanges puissent s’accrocher à sa chevelure et tirer sur celle-ci afin libérer la voix. Dans un soupir, mes lèvres qui viennent embrasser sa nuque et sucer doucement sa peau, alors même que je me tords sous son poids, parce qu’il n’en faut pas plus à mon corps pour réagir. « On pourrait… » Je réfléchis, en profite pour embrasser à nouveau son épiderme. « …Aller beaucoup plus vite à pied. »  A condition de laisser à mon pouls une petite minute pour se calmer et au reste, le temps de redescendre.

Je me galvanise de cette sensation, de cette alchimie qui se distille entre nous, de ce désir qui ne s’amoindrit pas. Malgré toutes les années et tous nos combats. J’ai cette conviction étrange qu’au bout du compte, ce sera toujours lui et moi. Qu’importe ce qui arrivera. Il en clôt ses paupières quelques secondes, en une réflexion qui n’en est pas une, puisque sa main parle avant lui, en se faufilant le long de mon échine, engendre un frisson. « Non. » Il y a un sourire satisfait qui vient fendre mon expression. Et ses doigts s’imposent dans mes cheveux, qu’il se permet de tirer en un geste pernicieux, j’accuse un soupir, car en une seconde il est devenu maitre du moindre de mes désirs.

Ses lèvres viennent me trouver, mon corps électrisé, « On pourrait… » à la lisière de lui dire de se taire et de se contenter de continuer. De baiser ma peau en son entièreté, de me marquer comme lui seul sait. « …Aller beaucoup plus vite à pied. » Et encore, mes lèvres prennent la peine de s’arquer. Alors ma bouche amusée va à la conquête de la sienne, ma langue qui reconnaît instinctivement la sienne, avec une passion assumée. Mon corps cherchant à vérifier l’effet que je lui fais. Même ma paume va se poser dessus sa masculinité. Mais quand j’effectue sur cette dernière une pression, j’arrête de l’embrasser, plante mes yeux dans les siens, la pointe de ma langue entre mes dents, et prononce gaiement. « Deal. » et me retourner rapidement afin d’effectuer trois coups sur la vitre nous séparant du chauffeur, geste significatif de ma demande d’arrêt, et la porte que j’ouvre à la volée. Et je descends de moitié, stoppe mes mouvements afin de lui souffler. « C’est toi le chat. » Roman, attrape-moi.

Ses lèvres sur les miennes, je regrette instantanément la proposition de continuer à pieds. L’extérieur n’aura aucun moment plus précieux que celui-ci à nous offrir, pas même le feu d’artifice sur Times Square et la boule, bien trop médiatisée par rapport à sa juste valeur. Tout ça, c’est surfait. Peut-être trop américain pour réellement m’intéresser, contrairement à la rousse qui me chevauche. Cela fait des semaines, voir des mois, que nous n’avons pas connu une telle alcamie et partager un moment qui frôle la perfection. Je suis entièrement pour l’idée de marquer les douze coups de minuit à l’arrière de la limousine, son corps sur le mien.

J’essaye de m’accrocher à ses lèvres mais Wendy parvient à mettre de la distance entre nous, le regard malicieux, alors que le mien la défie de ne pas aller à bout de sa pensée. Qu’on oublie, illico, l’idée de se rendre sur Times Square, je la veux ici et maintenant. « Oublie. » Je souffle d’un ton autoritaire avant de pousser un grognement de frustration lorsque son poids se soulève et me rends toute la liberté que je n’ai pas demandé à avoir. La voiture à l’arrêt, je suis encore occupé à reprendre mon souffle que déjà ses jambes se trouvent à l’extérieur. « C’est toi le chat. » J’en ai un sourire en coin mais prends le temps de replacer correctement mon pantalon avant d’ouvrir la portière pour sortir dans les rues glaciales de New-York, qui contraste totalement avec ma peau en ébullition. Il ne me faut que quelques enjambées pour la retrouver, malgré la foule dans la rue, et l’attraper par la taille pour la serrer contre moi. « T’oublies que je ne suis pas perché sur douze centimètres. »  Et ce peu importe son talent et la qualité des escarpins. « Je te maudis. » De me laisser pantelan, même si je sais que la nuit nous appartient. Je souffle ces mots, mes lèvres sous le lobbe de son oreille et souris contre sa peau avant de lui rendre sa liberté, glissant une main dans la sienne. « C’est le moment de m’avouer que tu connais tous les raccourcis de New-York. » Dis-je en levant les yeux vers les grattes-ciel à perdre de vue, ne connaissant rien - ou pas grand chose - de la grosse pomme.

Il y a quelques secondes qui s’égrènent, un compte à rebours délicieux qui me file des papillons dans le ventre. Je le répète, je me complais dans cette légèreté. Dans cette sensation d’avoir réellement vingt-deux ans. De ne pas avoir grandi trop vite, et que le monde est géant. Et puis… Mes songes s’étiolent, les sensations aussi à la faveur de celles que provoquent ses mains qui viennent m’encercler. Le chat a déjà attrapé sa proie. Il me plaît tellement lorsqu’il souffle contre moi. « T’oublies que je ne suis pas perché sur douze centimètres. » Oui mais, on s’en fiche dans le fond, parce que s’il ne m’avait pas rattrapé, ça aurait été foutrement bête. « Je te maudis. » J’en ai une faiblesse qui se traduit en un simple mouvement. Mon épaule qui se hausse, mon visage qui cherche le contact du sien, mes lèvres qui s’entrouvrent dans le but de rectifier. « Non, tu m’adores. » Et ça, envers et contre tout, je n’en démords.

Sa main qui vient prendre la mienne, en un geste naturel, tandis qu’on poursuit notre quête de Time Square. « C’est le moment de m’avouer que tu connais tous les raccourcis de New-York. » J’en ai un sourire carnassier, lui lance une œillade de biais. Cette ville, je n’irais pas jusqu’à dire que c’est par cœur que je la connais, mais oui, je me dois d’avouer, que Manhattan fait partie de mes endroits préférés. « Habituellement, je l’arpente avec mon chauffeur. » dis-je d’un ton railleur, « Mais tu es un homme très chanceux. » je continue sur ma lancée, « mon sens de l’orientation est particulièrement aiguisé. » Je me sers de ce cliché qui laisse penser que les femmes ne savent pas se débrouiller. « Par contre… » Avec ou sans mes talons, « Il nous faut accélérer. » Même si, je pourrais accepter de l’embrasser n’importe où, une fois que minuit commencera à sonner.

L’avoir dans ma vie est accepter cet ascenseur émotionnel continu, qui me fait passer de l’envie de l’étrangler à celle de la faire mienne pour la nuit, parfois pour plus que ça. C’est un peu le cas ce soir, lorsque dans la rue mes bras se referment autour d’elle avec une légèreté que nous ne nous accordons que trop rarement. Dans ces rares instants, je serais prêt à tout lui accorder, y compris mon coeur si Wendy venait soudainement à vouloir le faire sien. Seulement les années d’expérience à ses côtés me permettent de savoir, avec certitude, que l'accalmie laissera trop vite place aux nuages, voire à la tempête, ce qui ne nous empêche pas de savourer pleinement l’instant T, tant qu’il dure. « Un peu des deux. » Je lui concède, avant de me placer à ses côtés, mes phalanges fermement accrochées aux siennes.
« Il peut nous accompagner, si tu y tiens. » Dis-je lorsqu’elle mentionne son chauffeur, laissé pour compte dans la circulation. Le pauvre homme risque de sonner les douze coups de minuit d’un énième coup de klaxon mais en toute franchise, cela m’est bien égal. Aucun doute que le chèque qu’il recevra en dédommagement vaut bien plus que notre compagnie. « Seulement à New-York ? » Je demande, moqueur, lorsque Wendy mentionne son sens de l’orientation. « C’est toi qui mène la danse. » Moi, je ne fais que suivre. Wendy peut me traîner où elle veut, si c’est la direction opposée de Times Square qu’elle choisit de nous faire prendre, ainsi soit-il. Ma seule condition est d’être à ses côtés à minuit et à moins que l’un de nous soit kidnappé, nous ne devrions pas avoir de souci. « Trois minutes. » J’annonce pour lui mettre la pression, alors que nous continuons de nous faufiler à travers la foule sans aperçu de notre destination finale. Pour ce que j’en sais, nous pouvons être à une heure comme à une minute des lieux.

« Un peu des deux. » Mais l’adoration et la haine fait partie intégrale de notre jeu. C’est, je le crois, ce qu’on fait de mieux. Nous amuser avec le feu. Jusqu’à nous brûler les ailes. Jusqu’au jour où on ne pourra plus s’en sortir. Qu’il ne restera qu’une impasse et que nous serons coincés dans cette histoire qu’on vend au monde comme une amitié améliorée.

Et je précise que nous ne sommes pas perdus, bien qu’habituellement on me conduise. « Il peut nous accompagner, si tu y tiens. » Je lève les yeux au ciel, l’idée est totalement irrationnelle. Un plan à trois, peut-être, mais pas avec un homme qui travaille pour moi. Alors je souligne qu’on n’en a pas besoin, parce que je suis – de façon générale – plus douée que la plupart de mes larbins. « Seulement à New-York ? » Tentée de lui répondre que c’est dans tous les pays du monde que je me sens chez moi, mais ce serait un peu trop présomptueux, même pour moi. Alors je préfère garder le silence et me concentrer sur l’objectif de retrouver Time Square, malgré la folie par laquelle on est entouré. « C’est toi qui mène la danse. » Une des choses que j’affectionne le plus dans mon existence. « Trois minutes. » Il se permet de souffler à mon oreille, et comme une idiote, j’en frissonne. Roman a cet effet sur moi, celui de me transformer en une gamine qui aurait pu devenir une groupie, dans une autre vie.

Ces trois minutes citées, elles renforcent mon emprise sur ses phalanges, le rythme de notre marche s’accélère, on court ou presque, et les secondes défilent, je suis persuadée que des mètres il ne nous en reste plus énormément à avaler pour arriver à notre but partiellement déterminé. Mais l’excitation ambiante, le monde autour à s’agiter, jusqu’à ce que le décompte du millier de personne ne commence à gronder. Au loin, je la vois à peine la boule en train de traverser le ciel. Le temps s’arrête, la course aussi, lorsque je me retourne vers lui. Préférant ne pas lui souhaiter directement une bonne année, mais me contenter de l’embrasser, passionnée, quand le tout Manhattan se met à hurler.

Si elle ne prononce pas un mot, l’expression de son visage répond pour elle à chacune de mes répliques. Avec les années, j’ai appris à les déchiffrer. Dans le silence, il m’est facile de savoir si mes mots la touchent, l’énervent ou encore l’indiffèrent complètement. On a beau crier, trop fort parfois, la base de notre relation repose aussi sur les non-dits. Par peur, peut-être, mais aussi parce qu’il n’est pas toujours utile d’avoir de la voix lorsque notre corps parle pour nous.
Les doigts serrés autour des siens, notre rythme de croisière accélère considérablement à l’approche de l’heure fatidique, zigzaguant à travers des passants du mieux que nous le pouvons. Nous allons finir par renverser quelqu’un, à ne pas prêter attention au monde qui nous entoure. Mes yeux sont rivés sur Wendy, qui me traîne plus qu’elle ne marche à mes côtés, puisqu’elle seule sait où nous allons. Et lorsque le décompte résonne dans tout New-York, on pousse une dernière accélération avant de s’avouer vaincus. Je crois que nous sommes proches du but mais je ne pourrais honnêtement pas le jurer. Il n’est pas question de vérifier, car ses lèvres s’accrochent aux miennes et mes bras viennent machinalement se nouer autour de sa taille. Je ne voudrais commencer l’année d’aucune autre façon. Son corps collé au mien et nos langues qui s’offrent une millième danse. Je ne me détache de ses lèvres que lorsque deux inconnus, sans doute ivres, nous sautent dessus pour nous souhaiter une bonne année. « Ouai, bonne année. » Je réponds, un sourire au coin des lèvres car il m’est impossible d’être de mauvaise humeur à cet instant, puis reporte mon attention sur Wendy. Ma paume sur sa joue, je me perds dans son regard et entrouvre les lèvres sans qu’aucun son n’en sorte pour autant. Les non-dits. J’ignore s’ils le resteront éternellement mais il n’est pas question de ruiner l’équilibre fragile de ces dernières semaines, moins encore de me jeter dans la gueule du loup. Le moment m’emporte mais je parviens à garder un pied sur terre, et à sauver ma peau au passage. « Bonne année. » Je murmure et viens éteindre mon sourire sur ses lèvres, avant de l’embrasser plus passionnément jusqu’à étouffer les mots toujours coincés au fond de ma gorge.