AIDEN AMSTRONG ► IAN HARDING

Je ne vais pas vous parler des heures de mon enfance, parce qu’elle a été parfaitement normale. J’ai vu le jour à Derrry, dans le New Hampshire, pas loin de la frontière canadienne. J’ai été élevé, tout comme mon frère aîné Andrew par une mère institutrice en école primaire et un père employé de banque, qui se sont rencontré pendant leurs années lycées et qui ne sont pas quittés depuis. Enfin, c’est plus compliqué que ça. Uniquement pour la partie concernant les parents. Parce moi, personnellement, je pense plutôt être quelqu’un de simple. Enfin, quand vous me connaîtrez mieux, vous me direz ce que vous en pensez … Mon enfance et mon adolescence n’ont été qu’un long fleuve tranquille. J’étais un petit garçon adorable, épargnant ses parents des caprices habituels des enfants en bas âge, curieux et intéressé par tout : par les escargots qui rampaient dans l’herbe, par les étoiles qu’on ne pouvait voir que la nuit, par la télévision qui montrait des images de l’autre bout du monde, … Ce qui avait le don d'énerver mon père, mais qui rendait ma mère très enthousiaste à mon sujet : elle m'emmena à des tas d'expositions, me fit visiter tous les musées que je voulais voir, me procurait tous les livres que j'avais envie de lire, et faisait des tas de recherche pour pouvoir répondre à toutes mes questions. Ma soif de connaissance me fit d'ailleurs remporter un concours de sciences à 8 ans, et un d'orthographe l'année d'après. Au lycée, j'ai mis mon côté "je sais tout" en sourdine pour pouvoir mieux m'intégrer et me fondre dans la masse. Non que je voulais être très populaire, je cherchais juste à ne pas être montré du doigt.

Mes parents ont divorcé peu après mon entrée à l’université, et je les soupçonne d’avoir attendu que je sois parti de la maison pour le faire. Il se disputaient énormément depuis quelques années de toute façon. J’ai appris que mon père, que j’avais toujours vu comme un modèle à suivre, avait trompé ma mère avec une de ses collègues. Il n’était qu’un homme infidèle, un menteur, incapable d’être satisfait de sa vie de famille. Je ne lui ai plus parlé depuis que j’ai appris cette nouvelle d’alors : j’ai ignoré ses appels et ait même changé de numéro pour ne plus avoir affaire à lui. Cette histoire m’a aussi énormément rapproché de ma mère, qui d’un coup est devenue une femme forte à mes yeux. Mon frère étant parti à l’autre bout du pays, je me sentais l’homme de la maison (même si techniquement, je ne rentrais que tous les quinze jours), celui avec les responsabilités domestiques, je coupais le bois en hiver, faisait quelques réparations diverses dans la maison, tondait la pelouse. Tout ce que mon père aurait du faire. Quand elle s’est mise en couple avec quelqu’un il y a un peu plus d’un an, j’étais content qu’elle ait retrouvé quelqu’un pour s’occuper d’elle.

Pour ma part, je n’ai jamais eu de très longue période de célibat, et ce depuis le lycée. Quelques mois par-ci, par-là, rarement plus. Et pourtant, je ne sais pas ce qui attire les filles chez moi, peut-être ma réputation de garçon stable et fidèle. Pourtant, je ne cherche pas la femme de ma vie, et depuis l’expérience de mes parents, je ne pense pas grand’chose de mariage, vu qu’il n’empêche pas la tromperie d’arriver au sein d’un couple. Il vaut mieux rester en concubinage, moins de paperasse en cas de rupture. Enfin, je disais ça jusqu’à ce que je rencontre Samara, un visage d’ange, une bonne humeur à toute épreuve et un sourire qui en ferait fondre plus d’un. Parfois, je me demande si ce n’était pas un coup de foudre, comme dans les films, chose auquelle on ne croit pas à moins de l’avoir vécue. De rendez-vous en rendez-vous, on a appris à se connaître, à s’apprécier, avant de s’embrasser et d’officialiser notre petit couple, juste avant les fêtes de fin d’année. Mais quand je l’ai annoncé à ma mère, soit un peu avant la Saint-Valentin, je m’attendais à tout sauf à sa réaction :

- Comment ça tu ne veux plus que je sorte avec elle ?
- En effet. Je préfèrerai que tu rompes.
- Comme ça ? sans raison ?
- Aidan …
- Je t’apprécie beaucoup maman, j’écoute toujours tes conseils, mais là, sans explications, ce que tu me demandes est un peu gros tu ne trouves pas ?
- Je ne peux pas …
- Attends toi à ce que je l’invite à venir manger à la maison un dimanche alors …
- C’est ta demi-sœur.
- Pardon ?

Elle m’expliqua que mon père ne l’avait pas trompée pour la première fois il y a quatre, qu’elle savait qu’il allait voir d’autres femmes dans son dos depuis des années. Mais qu’elle n’avait découvert l’existence de cette fille en fouillant dans ses papiers à la recherche de preuves qui pourraient justifier un divorce. Elle était tombée sur des lettres et de virement bancaire, cachés dans un dossier au fond d’un tiroir. La lettre avait plus de vingt ans, une femme lui annonçait qu’elle était enceinte de lui et qu’elle lui demandait de reconnaître l’enfant si il ne voulait pas qu’elle dévoile le tout à sa vraie femme. Il avait réussi à contourner le problème en lui envoyant une sorte de rente chaque mois, pour assurer l’éducation de la petite fille, à condition qu’elle ne parle de lui à personne. Différents sentiments se mêlèrent en moi : la colère de n’avoir su que maintenant qui elle était réellement pour moi, le dégout de savoir que mon père était encore plus horrible que je ne le pensais, puis la tristesse de devoir annoncer à ma petite amie la vérité, et enfin la peur qu’elle ne veuille plus jamais me revoir si elle venait à penser que je lui avais menti. J’espérais sincèrement qu’on allait pouvoir continuer à être proches, puisque finalement, je ne pouvais tourner le dos à ma sœur.