Se plaire à un endroit. Être bien quelque part. Cela semblait être un acte totalement en dehors de mes capacités. Cela semblait toujours me demander beaucoup trop d’efforts. Ange qui rêvait simplement d’une vie avec son bien-aimé. Ange qui priait si souvent pour simplement rejoindre six pieds sous terre le mari décédé. Alors quand l’interrogation tombait, j’étais foutrement perdu sur la réponse que j’étais censé offrir. Est-ce que je me plaisais à Boston ? Honnêtement je n’en savais rien. Je n’étais même pas certain de réellement comprendre le sens profond de cette question. Depuis la mort de Sacha, je ne savais plus grand-chose du plaisir dès lors qu’il n’était pas sexuel. Je vivais un jour après l’autre parce que je n’avais pas le choix. Je sombrais une pilule après l’autre parce que l’Enfer enflammait ma tête. Je survivais un corps après l’autre parce que ça me faisait du bien. Mais, hormis ce plaisir sexuel, est-ce que je prenais du plaisir dans ma vie ? Est-ce que je me plaisais réellement dans cet endroit qu’était Boston ? Bordel, je n’en savais fichtrement rien. L’interrogation me prenait trop de court. Je n’aurai jamais pensé que Kassim allait me questionner aujourd’hui. Je n’aurai jamais pensé qu’on s’attarderait sur des questions qui me semblaient aussi profondes. Je ne m’étais pas dit que j’allais réellement l’intéresser. Ange habitué à se détacher du monde. Ange habitué à ne pas s’ouvrir face aux autres. Merde, je n’aurai jamais pensé entendre cette question aujourd’hui. Les iris bleues fixant le bâtonnet de nicotine qui brûlait tout comme ma vie cramait depuis trop longtemps, je soufflais quelques mots afin de faire entendre ma voix et mes pensées. Des mots qui me correspondaient. Instables. Incertains. Des mots qui collaient parfaitement à la réalité actuelle. Ange qui ne savait pas sur quel pied danser. Ange qui ignorer quelle réponse apporter. Ma vie était cool ici bien sûr. C’était une vie comme une autre où je pouvais faire la fête, conduire, baiser, m’amuser. C’était une vie comme les autres où Sacha n’était toujours pas à mes côtés. Alors, ouais c’était cool et c’était tout ce que je pouvais dire. J’étais incapable de dire si je me plaisais vraiment. Tout comme j’étais incapable de dire si j’allais rester longtemps sur place. Haussant les épaules, je me mettais à fixer l’horizon tirant nerveusement sur ma cigarette avec l’espoir que cette discussion s’arrête là. Cependant, cela n’arrivait pas. La voix du demi-frère s’élevait alors et je ne pouvais m’empêcher de marmonner un « Désolé » aux mots qu’il soufflait. Je marmonnais cette excuse comme si je ne savais pas quoi dire d’autre. Je soufflais cette excuse comme si les propos lancés étaient un quelconque reproche. En était-ce un ? Je n’en savais rien.
Mes dents venaient doucement charcuter ma lèvre tandis que les mots se rejouaient de nouveau à l’intérieur de ma tête. Était-ce mal d’être dans un endroit et de déjà songer à être ailleurs ? D’ailleurs, ce n’était même pas ce qui m’arrivait. Je ne songeais pas à une autre ville ni même à un autre pays. Si je quittais Boston, je ne savais même pas encore où je risquais de finir. Le destin en déciderait. Moi, je songeais plutôt à rejoindre mon mari dans un autre monde. Je ne pensais qu’à ça. Tous les putains de jours. Est-ce qu’on pouvait me le reprocher ? Ouais, peut-être. Je me perdais lentement dans le dédale de mes pensées jusqu’à ce que la voix de Kassim résonne de nouveau à mes côtés. L’interrogation tombait me poussant à rire légèrement et à sourire un peu trop réellement. J’haussais doucement les épaules pour lui offrir une réponse. J’haussais les épaules comme pour lui signaler que je n’avais pas cette réponse. Et c’était vrai. Je ne l’avais pas. Je ne savais pas quand j’allais repartir. Je n’en avais pas la moindre idée. Lorsque la deuxième question tombait, j’hochais doucement la tête. Le mouvement était presque imperceptible, mais il était vraiment là. Oui, il y avait une chance que je change d’avis. Il y avait toujours une chance pour que cela arrive. Il y avait toujours la possibilité que les choses se renversent. Le destin était le seul à décider dans cette histoire. Le hasard était le seul à entrer en compte dans la décision. Alors tout était possible. Rien n’était fermé. Glissant ma cigarette entre mes lèvres, je plongeais ma main dans ma poche pour en sortir ma paire de dés. Les laissant à plat dans ma main, je les montrais à Kassim échangeant un bref regard avec lui avant de fixer ces dés du destin et de souffler « C’est eux qui décideront pour moi ! » C’était toujours eux qui décidaient pour moi depuis le décès de mon mari. C’était toujours ces dés qui prenaient toutes les décisions importantes de mon existence. Quitter Boston ou rester… Embrasser quelqu’un ou refuser le baiser… Avouer des sentiments ou me taire… Ouais, dès que la décision me semblait trop difficile ou qu’elle avait le pouvoir de changer trop de choses, je remettais mon destin entre les mains du hasard d’un lancé de dés. Parfois même je les utilisais pour des broutilles simplement pour pimenter mon existence. La réponse aux questions de Kassim était là. Je ne savais pas quand j’allais partir parce qu’il fallait que je relance les dés à la date présumé de mon départ dans quelques mois pour savoir la suite. Et oui il y avait encore la possibilité que ça change s’ils décidaient de me faire rester. Fixant les décisionnaires de mon destin, j’écrasais ma cigarette avec ma main libre avant de reprendre « Je prends toujours mes décisions de cette manière. Je pose les possibilités et en fonction du chiffre, pair ou impair, la décision est prise. Le hasard semble moins meurtrier que moi. » Secouant la tête, je faisais doucement rouler les dés dans ma paume. Ma vie fonctionnait ainsi pour mes choix. Quand je prenais les décisions seul, les morts arrivaient. Quand les dès le prenaient, ça semblait mieux. Relevant mon regard sur Kassim, je reprenais « Je reste au moins un an… Douze mois… C’est le chiffre qu’ils ont donnés… Et après il faudra les relancer pour savoir si je reste ou si je pars… Si le départ est annoncé, je viendrai te dire au revoir. » Promesse difficile lancée pour l’Ange qui avait l’habitude de fuir sans se retourner. Promesse douloureuse pour l’Ange qui n’aimait pas les attaches et haïssais encore plus les au revoir. Promesse réelle qui tombait entre les lèvres pourtant comme si quelque part Kassim avait déjà su se faire une place au sein de ma vie.