CEZAR "BILLY" STANESCU ► shiloh fernandez

14 y.o
« Bon sang Cezar, qu’est-ce que tu as encore fait ! » Je baisse les yeux sur mon avant-bras gonflé plongé dans la glace, haussant faiblement les épaules. Mais je ne me sens pas honteux pour autant, ça non, plutôt agacé d’avoir échoué. « J’y étais presque maman, mais ce foutu Veinard s’est emballé. » Je fais dévier mon regard vers elle, juste à temps pour voir ses orbites prêtes à s’expulser. «Tu … Viorel t’as fait faire ces galipettes sur un cheval ?! » Si elle ne se calme pas, elle va faire une crise cardiaque. Elle n’a même pas repris mon langage, c’est dire l’état d’énervement dans lequel elle se trouve actuellement, et je sens que cette fois elle ne va pas se contenter de me coller les corvées pendant deux semaines. Je soupire doucement, me repositionnant dans le fauteuil du médecin. Elle est bien la seule personne dans cette famille à ne pas comprendre ma passion, et à la respecter. Pourquoi cherche-t-elle toujours à m’éloigner de mon oncle, de mes cousins, des autres gitans ? J’en suis un moi aussi, tout comme elle, même si elle essaie désespérément de prétendre le contraire. Il n’y a pas de honte à en faire partie, elle devrait plutôt en être fière comme nous tous. Et elle gagnerait bien mieux sa vie en vendant des places de spectacle plutôt qu’en faisant des ménage pour ces ingrats d’hommes d’affaires blindés de pognon qui transpirent la suffisance et le mépris. Moi, je ne m’abaisserai jamais à ça. Je préfère encore crever de faim en tant qu’acrobate de rue, mais ça n’arrivera pas. Parce que je serai un putain d’artiste, un membre émérite d’un cirque mondialement reconnu. « Mais enfin, il faut bien que j’évolue. L’équilibre c’est … » Je m’interromps tandis qu’elle commence à me sermonner en roumain, levant les yeux au ciel. Et voilà, c’est reparti.

16 y.o
« Ça te plaît Cezar ? » Je grogne un son impossible à identifier, avachi contre la banquette de ce restaurant guindé. J’éprouverai presque de l’inconfort, glissé dans mon jean troué et mon t-shirt enfilé à l’envers, si je n’en avais pas rien à foutre. Je dévisage mon père biologique qui jette des regards gênés autour de lui, visiblement peu habitué à ce genre de confrontation. Pourtant je suis certain que je ne suis pas le seul bâtard qu’il a engendré, mais peut-être le seul qu’on lui a mis sous le nez. Je maudis encore ma mère pour avoir contacté cet imbécile, convaincu qu’il assumerait ses responsabilités. Je sais qu’elle pense bien faire, qu’elle ne cherche qu’à m’assurer le meilleur avenir. Une fois que le cancer l’aura vaincue, elle va me laisser sans rien, et je ne comprends pas pourquoi elle n’a pas fait chanter cette machine à pognon pour payer ses soins hospitaliers. Elle aurait pu avoir plus de temps avec un traitement, des mois supplémentaires qui m'auraient permis de profiter d'elle un peu plus. « Ça va, pas la peine de faire semblant de t’intéresser à mon bien être. Je sais bien que t’es là que pour cracher du fric. » C’est le marché, d’après ce que j’ai compris. Ma mère a beau essayé de me convaincre de développer une relation père/fils, qu’il la recherche, je suis persuadé que tout ce qui le préoccupe c’est que cette petite histoire ne vienne pas gâcher sa belle photo de famille et sa réputation. Sa coucherie avec une ancienne femme de ménage, ça ferait une grosse tâche sur le tableau. « Visiblement tu es un jeune homme intelligent. » Pas vraiment, mais assez pour comprendre comment ce genre de choses fonctionnent. « T'es incapable de garder ta queue dans ton pantalon et maintenant t'es prêt à tout pour te sortir de la merde, même si ça implique te frotter à un sale gitan que tu méprises. Pas besoin d'avoir le QI d'Enstein pour comprendre ça. » Il s'étouffe presque avec le vin qu'il avale, le rouge colorant ses pommettes. J'ignore si c'est à cause de sa fausse route ou de l'embarras dans lequel je viens de le mettre avec mes mots crus. « Une fois que j’aurais mon diplôme, c'est fini. Si c’était pas pour ma mère, j’accepterais jamais ton pognon. » Puisque c'est ça le deal qu'ils ont passé. Il paie mes études, et personne n'entend jamais parler de mon existence. J’enfourne la dernière bouchée de ce filet de bœuf trop cuit –et ils n’ont même pas honte d’en demander un prix si élevé- avant de lever mon cul de la chaise dorée pour quitter le restaurant, sans manquer de signaler à l’un des serveurs que sa viande était dégueulasse. Quoi, le client est roi, non ?

18 y.o
« Eh mec, il est où ton tutu ? » Je me retourne suite à la claque que ce bipède m’a filée sur l’arrière du crâne, me confrontant à un géant de plus de deux mètres, pesant probablement une centaine de kilos et portant les couleurs de l’équipe de basket de l’Université. « Original. » Je laisse échapper en levant les yeux au ciel, lui tournant le dos pour finir de ranger mes bouquins. Je n’ai pas l’intention de poursuivre davantage cet échange sans intérêt –d’autant plus que si je moufte je crains pour ma vie-, mais malheureusement ce ne semble pas être le cas de ce gorille sans cervelle. « Regarde-moi pédale. » Oh ouais, j'ai intégré le club de danse alors je suis forcément pédé hein. Quelle association pertinente ... Je ne peux pas lui coller mon poing dans la gueule, parce que premièrement je risque de le regretter, et deuxièmement ce n’est pas mon style. Je décide alors d’adopter le même comportement que dans mes précédentes écoles et qui a plutôt bien fonctionné jusqu’à maintenant : me faire passer pour le petit con flippant de service. Alors, sans prévenir, je tends le bras pour attraper un cheveu sur lequel je tire jusqu’à ce qu’il s’arrache entre mes doigts. L’effet de surprise de mon geste le laisse sans réaction pendant une seconde, peut-être deux. « Putain, mais tu fais quoi là ? » J’adopte alors le regard du psychopathe que je n’ai jamais eu besoin de travailler dans le miroir, esquissant un sourire énigmatique. « Oh rien, je te prends juste un cheveu pour l’épingler sur la poupée vaudoo que je vais faire à ton effigie. » Ce n’est pas vraiment le genre de trucs qu’on fait dans la famille, mais je suis prêt à parier que ce crétin décérébré n’en a pas la moindre idée. Et j’ouvre en grand la porte de mon casier sur laquelle sont scotchées des images satanistes angoissantes, surtout pour décourager les petits malins qui s’y introduiraient sans permission. Ça fait généralement son petit effet dans cette Amérique aux croyances religieuses affirmées. Je le vois qui hésite un instant, se remémorant sans doute les racontars qu’il a entendu à mon sujet lors de mon arrivée, parce que je ne doute pas que ma réputation m’a précédé. Au lycée, j’étais le type qui avait pendu Miles Bringeton dans sa chambre. Le pauvre n’avait pas eu besoin de moi pour se suicider, m’enfin, je l'avais menacé d'invoquer l'esprit de Charles Manson pour venger le paquet d'herbe qui avait mystérieusement disparu de mon casier un beau matin. Deux jours plus tard, il était mort, et ça avait suffi à répandre le bruit que j'étais un sorcier. Et je ne crache pas sur une telle aubaine quand elle peut me servir. « Bouh. » Je laisse échapper en le fixant avec de gros yeux flippants pour le décider à me foutre la paix, et éventuellement le convaincre que je suis un patient récemment libéré de l'asile. « T’es gravement atteint mec. » Et le joueur de basket s’éloigne sans demander son reste. Moi qui avais voulu éviter que l’étiquette de dangereux mage noir me colle à la peau, c’était raté. Après tout, s'il y avait des gens assez cons pour y croire ... Ça me permettait, à défaut d'être respecté, d'être craint et d'éviter les emmerdes.

20 y.o
« Alors, qu’est-ce que tu vois Madame Irma ? » La blonde me sourit de toutes ses dents, un air aguicheur plaqué sur le visage. Pas de doute, l’affaire est dans le sac. C’est fou comme un peu d’alcool et un baratin sur les origines de la pratique de la chiromancie ont le don d’exciter les gonzesses. Pour les mecs il faut tabler sur une approche différente, moins superstitieux en général. Mais les nanas, elles succombent toujours, effrayées ou intriguées. Et même lorsqu’elles sont hermétiques, elles sont assez curieuses pour me tendre leur main. « Hm, une ligne d’amour surchargée. Personne sensuelle et sensible. » Le pire, c’est que je n’invente rien. J’ai peut-être adapté ma réplique, c’est vrai, parce que sa ligne est tout sauf surchargée, mais elle n’est pas vraiment en position de me contredire sur le sujet. Et puis ça la fait glousser de plaisir, un mensonge qui ravit les deux parties en présence. « C’est tout à fait moi. » Elle ose m’affirmer alors qu’elle a insulté un SDF sous mon nez quelques minutes plus tôt. Je ne suis pas certain que la sensibilité soit l’une de ses principales qualités, mais ce n’est pas vraiment ce qui m’intéresse chez elle. Aucune intention de l’épouser, je ne suis pas fou. La corde au cou, très peu pour moi. Si ça devait arriver je finirai probablement par baiser le jardinier, question d’héritage. Aussi je préfère éviter ce genre de situations gênantes en préférant les aventures brèves, ce qui me permet de rester concentré sur mes objectifs. « Avec des amours nombreux, difficiles mais toujours passionnés. » Je poursuis mon blabla, relevant mon visage pour plonger mon regard dans le sien en esquissant un sourire enjôleur. « Intéressant. » Je sais ce que vous vous dites : mon dieu, quel baratineur à un dollar. Certes, mais ça fonctionne plutôt bien. Et pour preuve elle se laisse approcher sans le moindre mouvement de recul, et mes lèvres viennent chercher les siennes lentement, juste pour faire durer le plaisir. J’ai presque un insigne lumineux ‘‘victoire’’ qui s’allume dans ma tête quand une voix nasillarde nous interrompt désagréablement. « Britt’, qu’est-ce que tu fous avec ce mec bordel ? Il est complètement barge, allez viens. » J’appelle le connard de frère à la barre. La blonde rit en posant son index sur mon nez comme on le fait aux gamins et me laisse sur ma faim en rejoignant le joueur de basket qui m’a toujours en grippe depuis notre première année. Il va falloir qu’il se remette de ses émotions un jour Gulliver … Parce que s'il y a bien un mec qui n'est pas contrariant à Harvard, c'est moi. Le pote de tout le monde, le confident des désespérés, l'épaule qui réconforte à sa manière. Mais lui, il reste bloqué sur cette vieille histoire de vaudoo. Et en attendant qu'il change d'avis, j’avale mon verre de Rhum pour me consoler de cet échec cuisant.

22 y.o
« Pourquoi tu ne réponds pas à ce recruteur ? Tu as vraiment du talent tu sais. » Je regrette presque d’avoir accepté de faire des réunions hebdomadaires avec mon père, parce qu’il commence à devenir de plus en plus intrusif. Ah il peut être fier de son bâtard, lorgné par un entraîneur de golf très réputé. Si on m’avait dit que je serais un excellent joueur dans ce sport quand j’avais quatorze ans, j’aurais sans doute eu le plus gros fou rire de ma vie. Ce n’est pas le genre d’activités qu’on pratique, nous les fils de gitans. Mais grâce à mon nouveau papa tout neuf et plein aux as, c’est ce que je suis devenu. Ça a commencé comme une contrainte, pour avoir nos discussions mensuelles –à l’époque-, puis il a insisté pour me faire prendre des cours en décelant mon potentiel. Et maintenant, voilà qu’on me dit que je pourrais songer à en faire ma carrière. J’aurais préféré que le recruteur d’un cirque de renom me repère à la fête foraine … « J’en ai plus pour mes acrobaties, et c’est ça que je veux faire papounet. » J’insiste sur ce surnom ridicule dont je l’affuble chaque fois qu’il m’agace, et qui le fait toujours soupirer. Cette fois encore, ça fonctionne parfaitement. « De toute manière qu’est-ce que t’en as à foutre, dans deux ans tu seras débarrassé de moi. » Je lui fais remarquer d’un haussement d’épaule en fixant l’horizon. Et il garde le silence, cet angoissant silence alors que j’aurais préféré tout au fond de moi qu’il démente cette affirmation. Mais voilà, j’ai accepté les conditions et je ne peux pas les changer maintenant. J’aimerais me convaincre que je m’en fiche complètement, mais c’est trop tard désormais, ce type fait partie de ma vie et je suis bien trop sentimental pour vouloir le laisser partir. Ça a toujours été mon gros défaut malgré ce que je prétend et mon petit air de branleur je m'en foutiste : je m'attache beaucoup trop vite aux gens.

23 y.o
« Tu veux que je sautes de là ? Cezar, t’es encore plus malade que ce que je pensais. » L’étudiant désigne les quelques 35 mètres qui séparent le haut de la falaise où nous nous trouvons et l’Atlantique. « Fais pas ta mauviette. » Il scrute le vide en pliant les genoux, le regard porté sur les vagues en contrebas. J’en profite alors pour pousser de toutes mes forces sur ses omoplates sans succès, ses pieds ne bougeant pas d’un centimètre. Je sais que ce geste ne présente pas le moindre risque. Le rebord s’étend plus loin que le reste de la structure rocheuse, aussi s’il venait à chuter de façon inopportune, il n’aurait aucune chance de rebondir sur les cailloux. Je ne suis pas fou non plus –bon d’accord, peut-être un peu-. Il fait volte-face, essayant de m’éloigner avec une claque amicale que j’évite de justesse. « Si tu crois que tu vas réussir à me pousser avec ta force de mouche, tu rêves. » Je l’observe malicieusement, un sourire mutin le défiant ouvertement, ce qui n’est jamais bon signe avec moi. J’attrape alors sa nuque pour coller mes lèvres contre les siennes, juste une seconde pour le déstabiliser. Effet garanti. C'est le genre de trucs que je fais tout le temps, des choses totalement imprévisibles qui me donnent l'avantage sur l'autre. Il devrait être habitué, et pourtant, au vue de sa tête de mec hautement perturbé ce n'est visiblement pas le cas. « Et comme ça ? » Je hausse un sourcil et profite de l’effet de surprise pour faire descendre mes mains sur son torse et exercer une pression qui lui fait perdre l’équilibre. Il disparaît et j’avance d’un pas pour suivre sa progression en ricanant comme un idiot, son cri se répercutant sur les rochers avant qu’il ne s’écrase dans l’océan dans un grand ‘‘splash’’. Je plaque alors vivement ma main droite devant ma bouche lorsque je constate qu’il s’est mangé un plat tout pourri par ma faute, et qu’il va probablement finir paralysé dans chaise roulante. « Oups. » Finalement, ça présentait un certain danger. Aussi je suis quand même soulagé lorsqu’un « je vais te buter sale con » parvient à mes oreilles tandis que je distingue sa silhouette qui se débat dans l’eau. Je recule de quelques pas avant de m’élancer à mon tour et de retrouver cette putain de décharge d’adrénaline. Le bonheur à l’état pur, encore plus excitant que toutes les figures que je peux tenter sous le chapiteau. Pas de filet de sécurité pour ce genre de saut, juste toi et le vide.