Visiting hours

Haley ne sait pas combien de temps il lui a fallu avant de trouver le courage d’aller parler avec Sofia. Ce n’est pas que la jeune femme l’intimide d’une quelconque façon mais c’est difficile de trouver le courage d’aligner des mots quand tout ce dont elle a envie, c’est de se mettre à pleurer.  Elle essaie de ne pas le faire parce qu’elle craint de ne pas pouvoir s’arrêter si elle commence. Haley ne s’est jamais sentie aussi démunie dans sa vie. Un rictus compatissant se dessine sur les lèvres de la femme enceinte quand elle lui dit qu’elle était dans ses pensées. “J’ai mis dix minutes avant de réussir à me lever pour venir te parler, ne t’inquiète pas.” Elle la suit en dehors de la chambre et se présente, souriant lorsque la jeune femme lui explique comment elle connaît Aleksei. “Je suis au courant.” souffle-t-elle, mais seulement après l’avoir laissé terminé son histoire. Il n’est pas question de la brusquer d’une quelconque manière. “Je sais, il m’a tout raconté. Je suis sa meilleure amie.” se présente-t-elle. Elle tâche de ne pas se vexer que la jeune femme ne se soit pas doutée qu’elle ne sache pas qui elle est. Les circonstances sont particulières et cela ne signifie pas nécessairement que Aleksei ne lui a jamais parlé d’elle. Et puis, au fond, quand bien même… cela ne fait pas si longtemps que ça qu’il connaît Sofia et ils doivent avoir eu d’autres choses à se dire. “Il m’a beaucoup parlé de toi.” dit-elle, posant une main sur son ventre. Le regard un peu perdu dans le vide, elle soupire et finit par dire, plus pour elle que Sofia : “Il va s’en sortir. C’est certain.” Rien n’est moins certain surtout quand un individu est plongé dans le coma mais Haley a besoin d’y croire. Aleksei a pris trop de place dans sa vie en peu de temps pour qu’il en soit autrement. Lorsqu’enfin elles arrivent à la cafeteria, elle se tourne vers la jeune femme : “Tu veux boire quoi ?”

“J’ai mis dix minutes avant de réussir à me lever pour venir te parler, ne t’inquiète pas.” Je lui fais un petit signe de tête, c’est difficile, ces moments. Encore plus quand on connait pas les autres qui sont dans la même pièce. C’est presque comme si tout le monde comprenait, mais qu’on avait pas de soutien représenté. “Je suis au courant. Je sais, il m’a tout raconté. Je suis sa meilleure amie.” Il m’a déjà parlé d’elle. C’est une sorte de rôle qui me met mal à l’aise, notamment parce que mon ex avait une meilleure amie, qui était amoureuse de lui. J’ai pas envie de voir cette jeune femme comme une menace dans mon histoire, mais dans ma tête ça ne fait qu’un tour et je sais qu’elle peut en être une. Je me pince la lèvre, accuse le coup. Elle est jolie, bien plus jolie que moi. Toutes les insécurités qui remontent d’un coup et qui frappent. Ses traits sont fins, son visage est doux, un petit nez, elle a les yeux clairs. “Il m’a beaucoup parlé de toi.” Mon esprit s’égare et je reviens sur elle. Ailleurs, encore une fois, Sofia. Elle caresse son ventre et mes yeux tombent dessus. Ventre rond, elle est enceinte. “Il va s’en sortir. C’est certain.” beaucoup trop d'informations d’un coup, beaucoup beaucoup trop Haley. Haley, même son prénom est incroyablement joli. Qu’est-ce que je fais là ? “Tu veux boire quoi ?” Ah. Oui. Une boisson. “Hmmmm” j’en sais rien, j’essaie de me relever de tous les coups de masse que mon esprit vient de me mettre dans la tête ; “Je vais prendre de l’eau, je pense.” de l’eau, c’est bien. “Et oui il va s’en sortir, sans aucun doute.” jamais aucun doute là-dessus. "Félicitations, pour le bébé. T'es à combien de mois ?" parlons d'autre chose, occupons nos esprits.

Haley parle beaucoup, trop à son goût mais Sofia semble être perdue dans ses pensées. Est-ce qu’elle ne réagit pas à ce que la jeune femme lui dit parce que ça ne l’intéresse pas ? Parce qu’elle considère tout cela comme une perte de temps ? Haley soupire, essaie de se rappeler qu’à la place de la jeune femme, elle ne serait pas non plus en état de parler. Mais ce n’est pas facile quand on a pas confiance en soi et encore moins, parce qu’on ne peut pas lire dans les pensées des autres. Au fond, Sofia et Haley se ressemblent plus qu’il n’y paraît. Leur manque de confiance flagrant est sans doute leur point commun le plus important et peut-être que chacune devrait dire à l’autre ce qu’elle pense d’elle pour lui insuffler un peu de confiance à l’autre. Haley finit par poser une question qui appelle forcément une réponse et Sofia semble enfin réagir. Elle acquiesce et prend de l’eau et un jus pour elle - elle a besoin de force et elle est incapable d’avaler quoi que ce soit qui ne soit pas liquide. Elle lui tend alors son verre, et force un sourire quand elle reprend sa phrase sur l’état de santé d’Aleksei. Il y a autant de certitude dans sa voix que dans celle de la jeune femme mais au moins, elles essaient d’y croire. Les sourcils d’Haley se froncent légèrement quand elle se fait féliciter pour le bébé mais elle adoucit rapidement son visage et acquiesce : “Sept”. La jeune femme comprend que tout le monde ait le réflèxe de la féliciter parce que c’est ce qu’elle avait tendance à faire auparavant, mais maintenant qu’elle s’est retrouvée dans cette situation, elle s’est promise de ne plus tirer des conclusions aussi hâtives; “Alek ne t’a pas dit ?” demande-t-elle, étonnée, même si elle se doute bien qu’elle n’est pas le sujet de conversation principal des amoureux. “Je ne vais pas le garder. Mais merci, en tout cas. C’est toujours une jolie chose, une naissance.” Pas toujours, en réalité, mais il n’est peut-être pas nécessaire de plomber encore plus l’ambiance… “Tu veux des enfants plus tard ?”

Il y a quelque chose de mystérieux par rapport à la grossesse. Il y a quelque chose d'incroyable, dans l'idée de porter un bébé pendant neuf mois, de le faire grandir en soi avant de le relâcher. Il doit y avoir tout un sentiment qui naît avec. Il grandit en dedans. Une partie de moi ne peut s'empêcher de se rendre compte que c'est bizarre. Un petit humain qui pousse et qui prends forme en son interne. “Sept” Déjà sept mois. On dirait pas. Sept mois de vie au dedans, enfin presque sept, si on oublie les mois où c'est un amas de cellule avant que ce soit un cœur battant. “Alek ne t’a pas dit ?” je la regarde, sans comprendre. "De quoi ?" je crains le pire. Est-ce que c'est Alek le père ? Non, c'est quelque chose qu'il m'aurait dit, ça. J'espère. “Je ne vais pas le garder. Mais merci, en tout cas. C’est toujours une jolie chose, une naissance.” Je ne sais pas comment réagir, alors j'acquiesce seulement. Elle ne va pas le garder ? Soudain, mes yeux détaillent son visage. Peut-être que c'est à ça, que ça ressemblait, quand je suis née. Elle n'a pas l'air mal en point, Haley. Elle a ses raisons, je n'en doute pas, mais ça me heurte de savoir qu'elle va l'abandonner. “Tu veux des enfants plus tard ?” Je secoue la tête, en ayant à peine entendu la question. J'ai pas fais attention à la question, en vérité, je suis encore concentrée sur l'information d'avant qui n'est toujours pas digérée. "Je.. Pourquoi tu ne va pas le garder ?" J'entre dans son intimité et je le sais, mais une partie de moi a besoin de savoir. Peut-être parce que ça me frappe, au dedans.

Haley hésite toujours à être honnête quand on lui parle de sa grossesse et la réaction de Sofia, aussi dérangeante soit-elle, n’est pas une surprise. Ce n’est pas particulièrement plaisant de se faire dévisager de la sorte mais c’est le jeu de choisir l’honnêteté. Ce n’est pas une décision commune, ni à laquelle on s’attend généralement de quelqu’un qui n’a, en apparence, aucune raison de le faire. Ne souhaitant pas particulièrement pas s’attarder sur le sujet, encore moins quand elle s’inquiète plus de l’avenir de son meilleur ami que du sien, la jeune femme essaie de retourner le sujet d’attention vers Sofia. C’est loupé, elle ne parvient apparemment pas à faire abstraction de ce qu’elle vient de lui dire et lui pose une question on-ne-peut-plus personnelle alors que cela ne la regarde absolument pas. Haley soupire doucement et au lieu de répondre directement, propose : “On va s’asseoir ? Mes pieds gonflent si je reste debout trop longtemps.” Après tout, si elles en sont au stade de se poser des questions aussi personnelles, Haley peut bien partager ce genre d’informations. “Parce que je ne suis pas prête à être mère et que je ne l’ai pas gardé pour les bonnes raisons.” souffle-t-elle, comme pour que le foetus grandissant en elle ne puisse pas l’entendre. Haley vient porter sa main à son ventre et le caresse doucement, lui demandant pardon silencieusement chaque fois qu’elle le fait. “Un enfant, ça mérite qu’on lui donne toute l’attention et tout l’amour du monde, et j’en suis tout bonnement incapable.” Aussi difficile que cela soit à admettre, la jeune femme ne sera pas une bonne mère si elle décide de le garder. Et si c’est sans doute compliqué à entendre pour certains, Haley l’aime assez pour lui offrir la vie qu’il mérite, plutôt que celle qu’elle est en mesure de lui offrir. Elle déglutit doucement, soupire. “Tu n’as pas répondu à ma question.” Nouvelle tentative de ne plus être le sujet de conversation. C’est probablement vain et en réalité, ça ne la gêne pas tant que Sofia lui pose des questions. Haley n’aime simplement pas être au cœur de l’attention.