I will lose you
@Alizée WertheimerVous connaissez cette impression ? Si, vous savez, l’impression qu’on vous coupe le souffle pendant une seconde ? L’impression que votre cœur s’arrête, écrasé par le poids des mots ? L’impression que, en plus du souffle, on vous coupe du monde d’un seul coup ? L’impression que vos jambes chancèlent parce qu’il y a cette vague d’émotions qui vous frappe de plein fouet ? Une vague d’émotions que vous ne comprenez pas. C’est ce qui est en train de se passer. Je n’arrive même pas à savoir ce que je ressens. De la colère ? De l’incompréhension ? De l’inquiétude ? De la tristesse ? De la déception ? Un mélange de tout ? Un véritable tourbillon émotionnel qui prend de plus en plus de place.
« Excuse-moi de te l’annoncer mais si Alizée, bien sûr que si, tu m’as fait prendre des risques ! Déjà, tu as pris des risques toi toute seule… Et ça me rend folle. Qu’est-ce que tu cherches ? Jouer encore plus avec ta vie ? Pour après venir me dire que c’est inévitable, que tu vas mourir un jour, emportée par ta maladie ? Si tu fais n’importe quoi aussi ! Je serre les dents, passe une main dans mes cheveux. Tant pis si ça casse mes boucles.
Mais à partir du moment où tu as eu un rapport non protégé et que tu as ensuite couché avec moi, oui, tu m’as fait prendre des risques. Comme à Paris… et probablement même après notre mariage. Tu sais, quand on est rentrées à l’hôtel ? » Quand nous l’avons consumé, notre mariage ; quand nous l’avons fête juste toutes les deux sous la douche, puis dans le lit. Tu t’en souviens, au moins ? Ou n’était-ce qu’une énième coucherie à tes yeux ?
« Si tu avais déjà eu ce putain de rapport, alors oui, tu m’as fait courir des risques cette nuit-là aussi. Alors que je sortais du coma… » La voix qui craque, qui peut s’effondrer à n’importe quel moment maintenant. L’incompréhension et la douleur qui doivent sans doute se lire sur mon visage, dans mes yeux – la douleur surtout. Tu la vois, la blessure que tu viens de m’infliger en l’espace de quelques secondes ? Tu l’entends, quand elle déchire je-ne-sais-quoi à l’intérieur ?
« Peu importe quand ça s’est passé, si c’était il y a trois mois ou plus ou moins, je… Enfin, la moindre des choses, c’était de me prévenir ou de faire en sorte qu’on recommence à se protéger le temps de savoir si toi, tu avais attrapé un truc, non ? Mais tu n’as même pas eu la décence de le faire alors que… » Mes mots se perdent, meurent dans un dernier souffle qui s’apparente à un soupir fatigué. Je regarde ailleurs, mes mains resserrant la lanière de mon sac que je n’ai toujours pas posé et que je ne poserai pas. J’ai envie de partir. Loin, très loin d’ici. Je n’aurais jamais cru dire, penser ça un jour, mais ça me fait mal de croiser ton regard alors que je l’ai toujours cherché. Tes beaux yeux bleus remplis d’affection ; depuis toute petite je les cherche, je les trouve, j’y plonge mes propres prunelles claires volontiers, sans même hésiter – parce que c’est une évidence, ça l’a toujours été. Mais aujourd’hui, c’est en train de changer ; je fuis ton regard parce qu’il me fait plus de mal que de bien. Parce que non, je n’aurais jamais voulu te croire capable de ça. Et pourtant, la vérité est telle que tu nous as mises toutes les deux en danger. Le soir de notre mariage à Las Vegas et… oh non. Le mariage. Notre mariage… Même pas le temps de te le rappeler et de te demander ce qu’on en fait – bien que la décision soit déjà claire dans ma tête – que tu reviens sur ce lien qui nous unit. Pff.
« J’en sais rien, Alizée. Je n’en sais rien. Et tu sais quoi ? On arrête tout, au moins c’est réglé. Je suis tellement en colère et j’ai tant envie de me protéger de cette fichue douleur que les prochains mots fusent sans même que je réalise ce qu’ils signifient pour toi et moi,
plus de sexe. On redevient de simples amies, comme avant. Je ne veux plus de sexe entre nous, c’est terminé. » De toute façon, ce n’est pas comme si ça allait te manquer, hein ? Tu as de quoi faire à côté ; la preuve avec celui qui t’a fait ça, avec ta petite copine niaise du bal, avec ce plan cul qui t’a emmenée en voyages "d’affaires". Sans parler de toutes celles et tous ceux dont j’ignore l’existence (et tant mieux !). Tu ne tardes pas à te justifier par rapport à cette qui, ma foi, a dû bien te faire plaisir. T’étais soûle. Décidément, l’alcool ne te réussit pas. Tu tombes enceinte à cause de ça, tu nous as fait sauter le pas à cause de ça aussi. Que des regrets, mh ?
« Ah ouais, je te le confirme, ce n’est en rien une excuse ! Et je continue tout en me pointant du doigt,
même moi, et on sait que je ne suis pas une sainte, même moi je me protège ! Même quand je suis ivre morte, surtout quand je suis ivre morte ! Je me protège à. chaque. putain. de. fois ! La protection, c’est la base ! Enfin juste… par acquis de conscience quoi. Pour toi ET pour les autres. Ce n’est pas à moi de t’apprendre ça et de te faire la morale, mince ! Puis clairement, tu n’as aucune excuse cette fois. » Ouais, tu as fait de la merde. C’est bien que tu t’en rendes compte. Et, une fois de plus, tu me forces à regarder autre part ; ça me tord beaucoup trop le ventre de te voir dans une telle détresse. Je déteste te voir pleurer, je déteste même savoir que je réagis comme ça aujourd’hui, mais… ah. Tu ne peux pas comprendre de toute façon.
« T’avais qu’à faire les choses bien et être plus responsable ! Je sens mes propres larmes monter, les sanglots prêts à me secouer, mais non, je prends sur moi du mieux que je peux.
Tu n’as pas le choix, cet enfant est là et il va rester ! Assume les conséquences de ce que tu as fait, Alizée ! Plus de "Ali", plus de "bébé", je ne peux pas. Et puis, tu sais que j’ai raison. Il sera bien plus heureux si sa maman assume, ce petit bout. J’inspire profondément, essuie une première larme qui commençait à dévaler ma joue, sens mes poumons trembler sous ce poids qui veut les étouffer.
Mais tu te débrouilles… Avec le père, qu’il prenne ses- ses putains de responsabilités lui aussi, mais… ça sera sans moi. Ce n’est pas mon enfant, je ne veux pas être mêlée à ça, je… j'peux pas… » que j’ajoute dans un murmure brisé. Tu es ma meilleure amie et je dois être là pour toi, je le sais, c’est mon rôle merde ! Mais là, tout de suite, je ne peux pas. Incapable de le comprendre, ça me dépasse tout autant que ça va te dépasser. Je ne comprends pas ma réaction, je te l’assure, mais je ne peux juste pas…