(one shot) Vancouver

Mardi 10 août, 08h du matin, Boston

Coup de tête. Envie de prendre le large. Un message envoyé à Jared, un autre à Aaron, un dernier à Hayley. Besoin de trois jours loin de tout. La dernière fois que t'as dis ça, t'as disparu des semaines. Mais pas cette fois. Cette fois, tu vas te tenir à cette parole. Trois jours, pas un de plus. Prendre un sac, quelques fringues, ton passeport, ton billet d'avion acheté dans la nuit au cours d'une insomnie. Partir à l'aéroport, monter dans l'avion. Ne pas faire machine arrière. Huit heures d'avion avec des correspondances. Arrivée prévue de l'autre côté de la frontière, 16h00. Ne pas prévenir ta mère, faire une surprise. Prendre un taxi en sortant de l'avion, donner l'adresse. Te pointer devant la porte. La voir sortir et la sentir te prendre dans ses bras.

Mardi 10 août, 17h, Vancouver

Ton sac jeté sur le sol du salon, ton cul posé sur le fauteuil du salon, tu lui fais face pour la première fois depuis décembre. « T'as meilleure mine, Lana. C'est quoi ce bandage, à ton bras ? » Rire nerveusement. Si elle trouve que t'as meilleure mine maintenant, qu'est-ce que c'était la première fois qu'elle t'a revue ? « Pourtant ces derniers temps, ça a été compliqué. Papa a enlevé et séquestré ma copine pendant presque un mois, il  a consenti à la libérer pour mon anniversaire, sauf qu'il s'était bien gardé de m'dire qu'il l'avait poignardée dans le ventre. Avant ça, quand j'suis rentrée à Boston en décembre, j'ai reçu une lettre d'un gars qui disait être le fils de papa, et c'était vrai. C'est un peu mon ange gardien maintenant. En janvier, j'ai ouvert un établissement avec un gars qui avait été kidnappé avec moi. On fait carton plein tous les soirs, c'est cool. Et j'ai retrouvé Jared. Et le bandage découle de comment je l'ai retrouvé. » Rester évasive sur le côté criminel de tout le monde. Sur tes propres crimes. Lui parler d'Hayley, l'entendre dire qu'elle est heureuse de te savoir heureuse. Sourire quand elle dit qu'elle veut venir vivre sur Boston pour passer du temps avec vous tous et apprendre à la connaître. Être surprise quand elle te dit qu'elle a divorcé parce qu'elle est tombée amoureuse d'une femme et que tu allais sans doute la voir ce soir. Prendre conscience que tout ce qu'elle t'a dit en décembre, était vrai. Qu'elle n'avait rien à voir avec ton internement en thérapie de conversion. Apprendre qu'avant le père de Clary et Adriel, elle était avec une femme et qu'elle est bisexuelle, qu'elle l'a toujours été mais qu'elle était écrasée par ton « Connard de père. » Rire et ne pas la contredire. C'était un connard, et maintenant, plus personne ne subira sa folie.
Rencontrer la copine de ta mère. La trouver sympa, parler musique pendant des heures. Les voir heureuses et épanouies ensemble. Trouver la paix intérieure pour la nuit. Retrouver ta chambre d'adolescente comme tu l'as laissée en partant il y a sept ans.

Mercredi 11 août, 10h, Vancouver

L'enfant prodigue se lève. A du mal à retrouver ses repères depuis longtemps perdus. Ta mère embrasse ta crinière blonde et te dit que vous êtes attendues dans une heure chez tes grands-parents maternels, dans leur résidence secondaire. Ils ont quitté l'Italie pour la saison chaude. Selon ta mère, le timing de ta visite est parfait. Tu vas te préparer sans en faire des caisses. Tu es comme tu es, tu ne comptes pas changer pour un repas en foutant une robe dans laquelle tu seras pas à l'aise. Quitter la maison pour la villa des ancêtres. Entendre parler d'Ottis et Erica. Leur dire que t'es à l'université avec eux, à Harvard. Que t'es en septième année de journalisme à partir de septembre malgré tout ce qui s'est passé d'octobre à janvier. Forcer le respect par cette force d'esprit dont tu as fait preuve quand d'autres auraient abandonné. La Nonna est fière de ses petit-enfants, tous, même de Jared. Occulter ce passif qui vous colle à la peau silencieusement et secrètement.
Rentrer chez ta mère avec le ventre qui va exploser. Appeler Hayley avant le début service du Sun, lui dire que tout va bien, que tu l'aimes et que tu rentres bientôt, pas comme la première fois où t'es partie. Discuter encore des heures avec ta génitrice et sa compagne.

Jeudi 12 août, 18h, Vancouver

La question que tu redoutais le plus finit par se faire entendre. « T'as revu ton père, depuis que t'as récupéré Hayley ? » Déglutir. T'es pas bien. En proie aux doutes. Avouer et prendre le risque qu'elle balance ton crime. Dire qu'il a disparu de la circulation et laisser le doute planer au dessus de vos tête. « Promets moi que ça reste entre toi et moi. Parce que tu sais ce qu'il nous a fait subir à tous. » Décrire toute ces semaines de haine, ton état émotionnel, ton envie de te foutre en l'air, les menaces que t'as proférées contre ta soeur, la présence de tes complices, sans jamais évoquer qui ils étaient, dire qu'ils étaient juste là pour assurer tes arrières au cas où il allait s'en prendre à toi. Parler de l'étranglement. Parler du coup accidentel sans dire qu'il avait été mortel. Dire que t'as pris la fuite sans savoir s'il avait pu s'en sortir ou non. Laisser planer le doute. Lire dans son regard qu'elle sait que tu mens. Baisser les yeux. La sentir venir te prendre dans ses bras. « Il a eu ce qu'il méritait ce monstre. Je suis fière de toi, parce que t'as été forte. J'espère qu'il pourrit en enfer, parce qu'elle est là-bas, sa place. Tu sais, Lana. Je te vois pas comme une tueuse. Je te vois comme celle qui a libéré cette famille du mal qui la rongeait depuis vingt-sept ans. » Chialer silencieusement.

Vendredi 13 août, 17h, Boston

Retrouver tes repères, prendre le chemin du Sun Rock avec son sac dans le coffre. Repartir sur des bases saines. Retrouver le sourire. Embrasser ta petite amie amoureusement. Faire des cocktails. Monter sur scène. Chanter, jouer. Retrouver cette sérénité qui manquait. Finir le service. Leur raconter tes retrouvailles, sur le toit, à la belle étoile.