C'est au milieu du mois de mai que j'ai vu le jour, à New York. Mes parents y étaient installés depuis une bonne dizaine d'années. Je suis né dans une famille influente et cela je l'ai très vite compris. Mon père possède un grand journal new yorkais, le Washington Post. Quant à ma mère, elle est l'une des héritières de la maison de joaillerie Tiffany & Co. Mais elle a passé une bonne partie de sa vie à parcourir les podiums avec son métier de mannequin. Quand j'étais gosse, tout cela ne représentait rien pour moi. Mes parents étaient mes parents, avant d'être des personnages publics. Je vivais comme n'importe quel gamin de mon âge, mis à part que nous avions quelques employés de maison. Voilà où était la différence pour moi. Ce n'est qu'en grandissant, que j'ai compris à quel point mes parents avaient un impact dans la société dans laquelle je vivais, de l'importance de l'argent et des relations sociales. A vrai dire à cette époque, tout ce qui m'intéressait, c'était de grandir et de m'amuser comme n'importe quel enfant. J'étais curieux, je posais sans cesse des questions et j'adorais franchir les interdits. J'étais assez casse-cou en fait. Je m'étais d'ailleurs cassé plus d'un os et je me faisais plusieurs bleus qui parsemaient mon épiderme. J'étais un enfant turbulent. C'était me moins que l'on puisse dire. Ma mère a même cru pendant un moment que j'étais un enfant hyperactif. Je dois avouer que cela n'a pas trop changé à mesure des années qui passaient. Fils unique, je n'ai ressenti aucune solitude. Il y avait toujours des copains à la maison. Elle était accueillante et il y avait tout ce qu'on gosse pouvait espérer pour s'amuser, billard, bowling, piste de skate etc. Le sous-sol était un vaste terrain de jeux. Je ne me suis jamais senti seul malgré le fait que mes parents étaient souvent absents à cause de leurs boulots respectifs. Après, il y avait aussi le fait, que j'étais du genre à aller facilement vers les gens. J'étais loin d'être timide. A vrai dire, c'était même tout le contraire. J'adorais être entouré de potes, d'amis. Et j'aimais rencontrer de nouvelles personnes. Mais cela ne voulait pas dire que je ne faisais pas attention aux personnes que je fréquentais. Je sélectionnais mon entourage, parce que j'ai compris qu'au fil du temps que les gens avaient tendance à changer quand ils vivaient dans un univers doré où l'argent coule à flot. Alors j'ai fini par me constituer une bande d'amis sur lesquels je pouvais avoir confiance et vice-versa.
Les années qui ont suivi mon enfance a été marqué par le divorce de mes parents. J'avais douze ans quand mon père a fini par avouer qu'il voyait une autre femme. Pour ma mère, ça était un choc. Je crois qu'elle était encore amoureuse de lui malgré toutes ces années. Elle a eu du mal à accepter cela. Le divorce a été entériné et mon père s'est installé dans un autre appartement. Ma mère quant à elle, avait trop de souvenirs dans l'appartement où nous avions vécu tous les trois. Elle l'a mis en vente. Nous avons déménagé. A partir de ce moment là, j'ai fais des allées-retours entre mes deux parents. Heureusement, ils habitaient à quelques minutes l'un de l'autre. Pour moi, ils ont continué à entretenir des relations cordiales. Contrairement à d'autres, je n'avais pas à faire attention à chacun de mes mots quand j'étais avec l'un ou avec l'autre. Ils continuaient à fréquenter les réunions familiales tout comme je le faisais. J'ai fini par me faire à cette situation. Elle a même fini par être banale. Au niveau de mes études, je m'en sortais très bien mais j'avoue que j'avais tendance à sécher certains cours. Devoir rester assis à écouter un prof, ça allait cinq minutes. Ensuite je m'ennuyais. Et puis, à ce moment là, le psychologue de l'école privée où j'étais, s'était rendu compte d'un souci. Mon institutrice lui avait remis certaines de mes copies. A certains moments, mes écrits étaient carrément incompréhensibles. Et c'est à partir de ce moment là que j'ai appris que j'étais dyslexique. J'ai eu le droit à un prof particulier et à des séances régulières chez l'orthophoniste. Cela ne m'a pas empêchait de faire une excellente scolarité. Malgré mon côté dissipé, j'avais une très bonne mémoire et apprendre ne me demandait aucun effort. C'était juste naturel. On pouvait même parler de mémoire photographique ou eidétique. De ce fait, j'étais souvent dans les premiers de classe, même premier tout court sans vraiment fournir le moindre effort. Enfin j'étudiais mais sûrement moins souvent et moins longtemps que mes camarades de classes.
En grandissant, je passais de plus en plus de temps, hors de chez moi. L'adolescence était synonyme pour moi, de découvertes, de challenges, de conneries, de monumentales erreurs et d'excès en tout genre. J'avais une bande d'amis avec laquelle je faisais les quatre-cent coups. J'étais même doué aussi sur ce point. Je n'étais jamais le dernier pour tenter les frissons et frôler l'illégalité. Cela m'amusait. Et puis, je compensais la « rigueur » de mon milieu en m'éclatant à côté. Avec ma famille, j'avais l'étiquette du fils unique, de l'héritier, ce qui était dévoué à reprendre les entreprises familiales. Et cela représentait un certain poids sur mes épaules alors que j'avais quoi? Quatorze, quinze ans. Alors je cherchais un moyen d'échapper certains jours à cette étiquette qu'on m'avait collé. Dans la rue, avec mes amis, j'étais tout simplement moi, Calhen. J'appréciais l'anonymat et le fait qu'on ne me compare pas sans arrêt à mon paternel, ni qu'on ne voit en moi, qu'un nom de famille. Alors je devais admettre que parfois j'y allais fort. Je me suis fais arrêté plusieurs fois avant mes dix-huit ans. Mon père pensait que c'était « de mon âge » et il tolérait mes excès, du moment que j'assumais mes responsabilités au sein de la famille, le reste lui importait peu. Je crois que c'était à ce moment là, que j'ai remarqué le fossé qui s'était creusé entre nous. Petit, j'étais un peu son petit trophée. Il m'exhibait à ses amis et m'emmenait souvent avec lui, au polo, aux courses hippiques, au country-club. Mais en grandissant, il ne voyait en moi que l'héritier, celui qui devait le seconder. C'était alors un tout autre intérêt, bien différent de celui que pouvait ressentir un père pour son fils. Et je pense que c'était ça qui était le plus cruel à accepter. Oh, je savais qu'il m'aimait, que j'étais son fils, mais parfois j'avais l'impression de ne pas avoir plus de valeur qu'un simple employé. Et pour attirer son attention, quoi de moi que de passer par la case poste de police? Enfin en tout cas, à ce moment là, je pensais que ce n'était pas trop con comme idée. Mais cela n'a rien changé, au pire ça a agacé mon père, mais surtout, cela a déçu ma mère. Je me sentais comme dans une impasse. Puis, je l'ai rencontré « elle ». Ma mère avait réussi à m'attirer dans une de ses soirées mondaines et je l'ai remarqué, dans le parc, une verre à la main. Je suis resté de longues minutes à l'observer. Elle me semblait si irréelle. Ce n'est que trois mois plus tard, que j'ai rassemblé mon courage pour aller lui parler. Et croyez moi, j'étais loin d'être timide. Mais elle me déstabilisait. J'avais peur de dire ou de faire une connerie et de passer pour le pire des crétins. Elle avait le même âge que moi, ayant fêté ses dix-neuf ans quelques jours plus tôt et ses parents étaient issus du même milieu que les miens. Et pourtant, elle était un électron libre. Sa fraicheur, sa façon de voir le monde, m'ont permis de me réconcilier avec moi même. A accepter l'homme en devenir et le fils que j'étais. Je n'étais ni le meilleur, ni le plus parfait, mais j'étais moi avec mes qualités et mes défauts.
Tessa et moi étions ensemble depuis quatre ans. Elle était mon univers, ma stabilité. Nous avions emménagé dans un appartement, dans Brooklyn. J'étais entré à Columbia en droit et relations internationales. J'appréciais mon cursus et à nouveau, je me plongeais à fond dans mes études. A côté de tout cela, j'exerçais deux autres passions: la photographie et Tessa. Malgré le fait que ma voie était toute tracée et que j'aurais à reprendre les affaires familiales, cela ne m'empêchait pas de devenir photographe en freelance. J'ai envoyé quelques unes de mes photographies et j'ai rapidement eu des contacts. On appréciait mon travail et cela, sans même me connaître. J'ai commencé à gagner mon argent de cette façon. Tout allait pour le mieux. Enfin c'était ce que je pensais à ce moment là. Je voulais épouser Tessa. Cela faisait plusieurs jours que j'y réfléchissais. Je ne voyais aucune autre femme dans ma vie. Et un soir, j'ai préparé un dîner au chandelles. Vous voyez, le genre de truc dont raffole les filles, les bougies, les roses rouges, les couverts en argent, une musique en fond sonore. Je n'étais pas romantique mais j'avais appris à l'être avec elle. Je lui ramenais des fleurs, je lui offrais des petites attentions, des week-end, loin de New York, des petits moments rien qu'à nous. Comme ce soir là. Sauf que Tessa n'est jamais rentrée. Après la fac, elle était passée faire quelques courses à la supérette près de la fac. Et deux types avaient braqué le gérant. Tessa était la seule cliente de la boutique. Elle n'a pas vu l'individu avec le flingue avant que ce dernier lui tire dessus. Elle est morte sur le coup. Ces deux mecs ont été arrêté mais Tessa ne me sera jamais rendue. Je l'ai perdu et j'ai eu du mal à réapprendre à vivre sans elle.
J'ai quitté New York et cette vie qui me rappelait trop de mauvais souvenirs. J'avais besoin de souffler, de m'aérer l'esprit. Alors je suis allé à l'autre bout du monde, en Australie. Je suis resté quelques mois là bas avant de reprendre la photographie. J'ai voyagé pour le National Geographic. J'ai pris des centaines et des centaines de photographies. Un bon nombre d'entre elles ont fait les pages de la revue. Je crois que ces voyages m'ont fait du bien. J'ai retrouvé un certain équilibre. J'ai reconstruis ma vie et j'ai même repris mes études. Mais j'ai opté pour un transfert à Harvard. Cela fait donc quelques semaines que je suis ici. C'est tout nouveau mais je me suis rapidement adapté à ce nouvel environnement et à ma nouvelle maison.