Loin des hameaux, des ponts submergés et des cabines bondées, cette fois elle a voulu gouter à la simplicité et ce que Joey veut, elle l’obtient parce qu’elle aura toujours la priorité, passant avant mêmes mes besoins bien qu’ils soient en règle générale conjugués aux siens. Nous avons donc laissé s’effacer la silhouette imposante du ferry en restant ici quelques jours de plus que ce qui était prévu. Pas difficile à trouver, cette cahute suffit grandement pour nos desseins, ne souhaitant que profiter sans se soucier du reste en laissant au temps le soin de nous faire oublier les soucis de la vie quotidienne. Installé depuis une bonne demi-heure entre deux troncs où a été solidement attaché un filet de mailles serrées, bercé par le son du rivage et la vision de cette étendue de sable doré, j’attends que le jour s’achève patiemment, un jour tout aussi ordinaire pour moi que ne l’a été le précédent.

 « T’es vieux, Cooper. » Quelques mots qui ont le pouvoir de faire renaitre la course du temps, me sortant de ma torpeur pour braquer la nuque dans sa direction, me retournant. Elle a cette fichue manie de me faire apprécier chaque instant même si c’est pour me rappeler que la fin nous attend tous inexorablement. J’ai volontairement omis ce détail pour en revenir à ce rivage où les vagues lèchent perpétuellement les pieds des berges érodées, mort lente et douce à laquelle elles sont destinées. Tout n’est qu’une question de temps. Trente et un ans aujourd’hui que la mienne se poursuit et inconsciemment mes doigts sont venus ranimer cette cicatrice qui sous ce tatouage ne s’est jamais refermée, leur tentative désespérée, ma dernière chance, pour me voir grandir et subsister. En me voyant maintenant, pas sûr qu’ils apprécieraient. « Sur tes papiers, c’est la vraie ?»  Elle a déposé les yeux sur la seule chose qui soit restée de mon passé, le seul détail que je me suis permis de conserver. « T’as fouillé.» C’est dit sans méchanceté, le sourire pointant à l’orée de mes lèvres lorsque de nouveau j’ai détourné le visage vers elle. Mais le plus surprenant, c’est qu’elle l’ait retenu parce que ces papiers, faute d'un retour d'expérience, je ne les laisse pas souvent trainer. «  Possible… » que ce soit la vraie mais je n’ai pas la réelle intention de le lui dire tout de suite, enclin aux jeux de piste lorsque mon bras sort de ce carcan tissé pour l’inviter à me rejoindre.