« Dis maman, pourquoi j'ai pas de papa ? » Ça a été un peu la question qui a tout démarré. Cette espèce de quête sur ton père, cette envie de savoir toujours comment ça ce fait qu'il ne soit plus là malgré les réponses automates de ta mère, le besoin qu'elle te re-confirme bien pourquoi il n'est plus avec vous comme si tu espérais qu'un jour elle te dise autre chose et qu'elle s'était trompée pendant toutes ses années. Mais non, c'est toujours pareil, le même refrain que tu n'arrives pas à avaler, les mêmes phrases que l'on t'a répété et répété, et pourtant, tu redemandes toujours, comme si tu étais une fille qui ne comprenait pas, qui n'avait pas les capacités nécessaires pour assimiler ce que ta mère te disait.
« Il nous a quitté ma puce, il est monté au ciel. » Répète ta mère, fuyant ton regard avant de reprendre la route vers le studio de danse. C'était comme impossible à y croire, c'était comme si quelque chose ne collait pas dans sa réponse, dans ses mots, comme s'ils ne s'accouplaient pas ensemble, comme si ces mots ne pouvaient créer une phrase correcte parvenu dans tes oreilles de petites filles. Et pourtant, tu te forçais à y croire. Et si c'était vraiment vrai ? Pourquoi ta mère dirait n'importe quoi ? Il ne fallait pas que tu te fasses de faux espoirs, espoirs qui rimeraient avec une peine sans fin. Alors tu l'écoutais, quoi que pas convaincu, et tu laissais tomber le sujet, pour ce soir du moins.
« Ton dessin est magnifique Bambi. Je vais l'accrocher sur le mur de la classe. » La maîtresse te regardait avec ses yeux pleins d'admirations pour ton talent pour avoir dessiné des lions de la savane alors que tu étais toute petite. Tu n'étais pas encore une immense dessinatrice ni rien du tout, rien qu'une simple élève dans une classe, et tu avais juste gribouillé comme tu le faisais d'habitude. Apparemment, tu prenais toujours le plus grand soin lorsque vous étiez en dessin, en tout cas par rapport aux autres camarades. Tu étais comme ça, perfectionniste depuis ton plus jeune âge. Mais ça te faisait plaisir de voir la maîtresse tellement heureuse de ton lion alors que les autres ne prenaient pas le temps de colorier sans dépasser ou de mélanger des couleurs qui n'allaient pas ensemble. Après tout, c'était leur problème. Ta mère était toujours hyper heureuse lorsqu'elle venait te chercher à l'école, tu lui racontais ta journée et lui avouais à quel point tes camarades et ta maîtresse étaient impressionnées par tes dessins. Tu avais de superbes notes dans toutes les matières, mais tu penses qu'elle préfère encore plus que tu sois bonne dans le dessin, surement car elle baigne elle aussi dans l'art, étant couturière et entourée de magnifique tenue tous les jours.
Tu as toujours été proche de l'univers artistique, et tu as toujours aimé ça depuis que tu étais toute petite. Tu penses que ta passion venait essentiellement de ta mère, artiste un peu perdue, mais peut-être pas en fait. Peut-être que ton père était un grand photographe, un grand peintre ou avait un immense talent pour la sculpture et que tu avais pris de ses gènes, qui sait ? Surement pas toi. Tu fais un peu de tout à vrai dire, artistiquement parlant. Tu aimes toucher à tout, et c'est également pour ça que tu prends hors activités scolaires des cours d'art. Ça te plait, alors tu t'en fous si c'est du travail en plus. Déjà petite, tu allais toujours voir ta mère avec tes questions
« Dis maman, je peux faire de la guitare ? »,
« Dis maman, on fait de la peinture ? »,
« Dis maman, dis maman ... » Tu pensais que cela allait finir par la saouler, mais pas du tout, tu penses qu'elle était contente qu'à ton âge, tu t'intéressais déjà à des millions de choses. Peinture, sculpture, gravure, dessin, bande-dessinée, guitare, batterie, piano, violon, harpe, stylisme, design, retouche, cosplay ... Tu n'étais vraiment pas difficile à satisfaire dans ces domaines. Puis, vers environ tes sept ans, on a découvert que tu étais une surdouée, que tu avais des facilités à retenir les choses, à faire attention aux détails, des facilités à l'école. Ils avaient d'ailleurs demandé à ta mère et toi si tu voulais sauter une classe, mais ta mère avait préféré te laisser là où tu étais. Tu étais très jeune, tu t'étais faite des amis, c'était l'âge où on commençait à réellement se socialiser, elle ne voulait pas t'enlever ça et tu l'en remercies. Tu as donc fait avec ton super cerveau, même si tu t'ennuyais souvent en classe car tu comprenais plus vite que les autres. Tu as toujours eu de bonnes notes, que ce soit à sept ans ou à dix-huit ans. Sauf que maintenant tu te fais beaucoup plus vanner par tes potes à cause de cela, mais tu t'en fous, c'est toi qui entrera à Harvard, pas eux. Tu vises surement haut, très haut. Mais tu dis, « pourquoi pas moi » quoi.
Ce ne serait qu'un euphémisme que de dire que c'était un très mauvais jour et moment pour t'énerver. Tu étais en colère contre tout, tu en voulais au monde entier, mais surtout tu étais en colère contre ta mère. Celle qui t'avais élevée depuis toujours, celle avec qui t'avais vécu, qui t'a vu naître, grandir, faire tes premiers pas, qui t'a accompagnée tout au long de ton enfance et adolescence. Tu ne savais même plus ce qu'elle représentait pour toi à présent. Tu en venais à même plus savoir qui tu étais. Elle t'avait menti, durant toute ta vie, et tu en avais eu la confirmation ces quelques dernières semaines. Il y a d'abord eu le moment déclencheur de cette nouvelle quête, de cette nouvelle envie de rechercher plus loin dans ton arbre généalogique, lorsque tu es tombée sur des photos qui se trouvaient dans un dossier de ta mère, bien caché, alors que tu cherchais de vieux papiers sans importances. Des photos de ta mère avec un homme, des photos usagées, vieilles, d'un temps où tu n'étais surement pas encore née ni dans le ventre de ta mère. Il y avait des noms au dos, et
son nom. C'était ton père, tu en étais sûre, rien qu'à voir le
Fever écrit au stylo bic noir, nom que tu portais, mais pas ta mère. Il n'en fallait pas plus pour ton côté curieuse et fouineuse pour retourner sur les traces de cet homme que tu avais attendu toute ta vie. Et comment en savoir plus que de demander à celle qui a partagé un bout de vie avec lui, à celle qui a gardé ces photos bien planquées et trop bien caché pour que ce ne soit qu'une coïncidence ? Et voilà, c'était le come back de Bambina, avec ses questions à n'en plus finir devant une figure maternelle qui persistait sur ses positions, affirmant que l'homme sur la photo était mort, mais dont la tête de celle-ci avait l'air trop coupable pour qu'elle ne cache pas quelque chose derrière tout cela. C'était toi tout craché ça, t'aimais pas être dans l'brouillard, t'aimais pas être laissé de côté sans qu'on t'explique les choses pour que tu puisses bien comprendre, t'étais peut-être surdouée mais ça n'empêchait pas que quelques fois, t'avais besoin d'un petit coup de pouce pour que les pièces du puzzle se complètent et que tout devienne clair comme cristal dans ton esprit. Il ne suffisait qu'un regard, qu'un sentiment que ta mère pouvait te mentir et te cacher quelque chose, pour que tu partes à la chasse aux infos, telle une véritable détective privé. T'as trouvé des noms, des adresses, t'as espionnée pendant des jours, des semaines, et t'as découvert que ton père était toujours en vie, et qu'en plus il avait un fils. Oui Bambi, t'avais un père vivant, bien vivant, en chair et en os, en pleine forme même, et t'avais même un demi-frère, plus grand que toi, très vivant lui aussi. Des personnes qui faisaient partie de ta famille, des personnes qui n'avaient surement aucune idée que tu existais. Alors t'avais pris une décision, et pour une fois, elle n'était pas totalement irréfléchie. Tu venais d'être admise à Harvard, alors au temps partir pour de bon, et t'avais surtout envie de connaître ton père, et ton demi-frère.
« Qu'est-ce que tu fais Bambi ? » Ta mère venait d'entrée dans ta chambre, alors que depuis quelques minutes t'avais posé l'un de tes grands sacs de sport sur ton lit et que tu avais déjà entassé quelques-uns de tes habits dedans, rageusement, en boule. Ta mère fronçait les sourcils, il t'arrivait souvent de piquer des colères, d'être énervée pour rien, comme tout être normal quoi. Déjà que tu pouvais être très franche et malpolie malgré ton air de petite fille fragile, il ne fallait pas te chercher et te saouler pour rien en fait. Voulant te calmer, elle toucha doucement ton bras.
« Ne me touche pas ! » cris-tu en dégageant ton bras immédiatement, te retournant vers ton armoire pour prendre d'autres habits. Elle regarda sur ton lit et vu les images de ton père que ta mère avait gardé, et également quelques autres photos que tu avais pris de ton père et de ton frère les semaines où tu les avais un peu espionné. Elle n'était pas débile et compris assez vite que ton énervement devait être causé par ce sujet-là.
« Bambi écoute ... » Repris-t-elle doucement.
« NON, Non ! Ne me demande pas d'écouter. J'en ai plus que marre d'écouter tes mensonges depuis toujours, je ne veux plus t'écouter ! » explosa-tu, de colère trop longtemps restée enfouie en toi. Tu ne voulais pas qu'elle continue de te regarder comme elle l'avait toujours fait et qu'elle continue à déblatérer des mensonges sans scrupules, et tu ne voulais plus continuer à la croire, comme la petite fille naïve que tu avais pu être auparavant. C'était fini tout ça, les espèces de secrets de familles qu'on peut retrouver dans toutes les séries pour adolescents et qu'on pense que jamais ça ne pourrait arriver dans la vraie vie. Ces mêmes secrets qui peuvent bousiller des familles en un quart de seconde, ce qui était justement en train de se passer avec toi et ta mère. Tu la vois ouvrir la bouche, comme pour te répondre, et tu la coupes de suite, ne souhaitant plus entendre sa voix, ne voulant même pas entendre d'excuses qu'elle ne penserait jamais.
« Pourquoi t'as fait ça ? Comment t'as pu me regarder dans les yeux pendant toutes ses années en me balançant tes conneries au visage ?! » Des larmes de rage ruisselaient sur tes joues rougies, comme des perles en cascades, alors que tu avais juste envie de comprendre pourquoi elle t'avait privé de ton père, te faisant croire qu'il était mort. Évidement, même si elle t'aurait dit la vérité, ce n'était pas pour ça qu'il serait revenu, qu'il aurait vécu avec vous deux, tu le savais. Mais tu aurais pu comprendre la vérité, tu aurais voulu avoir l'image d'un père quand tu en avais besoin, savoir que tu avais un, connaître son visage et le genre de personne qu'il était, même sans vraiment le rencontrer.
« Et tu voulais que je te dises quoi ? Qu'il n'a pas hésité à me quitter dès qu'il a su que j'étais enceinte car je n'étais qu'une aventure pour lui et qu'il ne comptait pas quitter sa femme ? » Elle n'arrivait pas à comprendre que oui, c'était ce que tu aurais voulu. Savoir la vérité, aussi moche et atroce soit-elle, plutôt que d'avaler des mensonges sur tes origines et sur ton père.
« Euh, OUI ! Tout aurait été mieux que le fait que tu me mentes en me disant qu'il est mort de je ne sais quelle maladie qui changeait tous les mois car c'était faux ! » Comment allais-tu ne serais-ce qu'avoir confiance en elle ou croire la moindre de ses paroles maintenant ? C'était fini, tout était brisé, ce lien mère/fille qui vous liait étroitement, encore plus fort du fait que vous avez toujours vécue toutes les deux, venait d'éclater en mille morceau impossible à recoller. Plus de confiance en l'autre, si elle avait menti pour ton père, sur combien d'autres choses a-t-elle pu te mentir depuis que tu es née ? C'était horrible, tu avais l'impression de ne plus savoir d'où tu venais, de ne plus savoir qui tu étais réellement, de n'être qu'une étrangère dans ton propre corps. Comme si toutes les informations dont tu avais toujours été certaines, comme ton prénom, ton âge, ta couleur de cheveux ... Comme si tout ça ne pouvait plus être des informations sur lesquelles tu pouvais suffisamment compter. Peut-être t'appelais-tu Ashley ou Nina ? Qu'en sais-tu ? Ce ne t'étonnerais même pas maintenant.
« C'était pour te protéger ! Tu crois quoi ? Ton père n'est pas un héros, loin de là. » Oh, parce que maintenant c'est parti pour les reproches ? Elle ne t'avait pas assez menti et il fallait maintenant qu'elle dénigre ton père ? Tu savais très bien qu'il devait être loin de l'homme idéal, étant donné qu'il avait quitté ta mère pendant qu'elle était enceinte. Mais cela n'empêche pas que c'est tout de même ton père et que ce n'est pas parce que tu ne le connais pas, que c'est la fiesta et qu'on peut commencer à sortir tous ses défauts pour te dégoûter de lui.
« Mais au moins j'en ai un ! Ainsi qu'un demi-frère, qui habitent à quelques minutes d'ici et que j'aurai pu connaître toute ma vie ! » t'exclamais-tu. Les larmes avaient finie de couler pour le moment, la rage ayant remplacé la trahison que tu pouvais ressentir au tout début de la confrontation. Tu ouvrais tes mains doucement, qui s'étaient fermées en poing sans que tu y fasses attention, essayant de te calmer, puis tu repris ta première activité, qui étais de rentrer le plus possible de fringues dans ton sac.
« Tu fais quoi avec cette valise ? » Ça servait à quoi de mentir d'abord ? Tu voulais juste partir, te casser de là, t'avais juste plus envie de la voir.
« Je pars. J'ai été prise pour Harvard, ce qui me pousse encore plus à aller là-bas et en profiter pour retrouver mon frère et mon père ! » Maintenant, outre Harvard, ton but principal est de rencontrer ta nouvelle famille. Tu en avais tellement rêvé ces dernières semaines, encore plus en voyant au loin les deux hommes vivre et leur relation, tu voulais juste avoir une petite place dans leur monde, toi aussi.
« Je t'interdis d'aller les retrouver ! Si tu sors de cette maison sache que tu seras livré à toi-même et que je ne serais plus là pour combler tes dépenses quotidiennes ! » Tu roules des yeux en continuant d'entasser les derniers habits dont tu allais avoir besoin histoire d'être un minimum habillé à Harvard. T'avais du mal à y croire, elle te menaçait vraiment de te couper les vivres ? C'était ça sa super idée, te faire rester avec elle et rester en dehors de la vie de ton autre famille en t'appâtant avec de l'argent ? C'était toujours ça avec les gens hyper riches et aisée, c'était trop facile pour eux dès qu'ils voulaient arriver à leurs fins : il suffisait seulement qu'ils te fassent envie avec leur richesses et leurs comptes à dix zéros et ils vous avaient dans leur poche. Mais pas cette fois. Tu ne comptais pas te laisser avoir, tu ne voulais pas la laisser t'acheter alors qu'elle t'avait déjà volée une enfance que tu aurais pu passer beaucoup moins en solitaire que celle que tu avais eu. Tu avais un frère, bon-sang !
« J'vais m'gêner tiens. » Grognas-tu, passant ton grand sac remplit d'habits et de carnets à dessins sur ton épaule, attrapant la sacoche de ton ordinateur portable et un autre grand sac avec tous les costumes et tenues que tu avais confectionnées dans l'autre. Sans plus un regard pour ta mère, tu sorti et claqua la porte, disant adieu à cette maison, à cette vie, espérant prendre un nouveau départ à Harvard qui te sois plus bénéfique.
Dans ma tête, je ressasse en boucle les scénarios de notre rencontre, de ma révélation, du moment où il saura que je suis sa demi-soeur et où il me serrera dans ses bras. Que des moments qui ne sont toujours pas réalité, tout cela car une fois près de lui, je ne sais plus quoi dire, et je reste plantée, ma bouche ouverte, cherchant désespérément mes mots, priant que je puisse tout déballer d'un coup et qu'enfin j'en ai enfin fini avec cette annonce. Je sais pas, j'ai peur. Je veux tellement que ça se passe bien, apprendre à le connaître, à voir mon père aussi, que je n'ose jamais franchir le pas et tout dévoilé. Je me fais des films, inlassablement dans ma tête, chaque soir avant de dormir, chaque jour en espérant le croiser, chaque seconde lorsqu'il est devant moi, mais je suis trop effrayée du rejet que je pourrais subir que rien ne sort. S'il ne me croit pas ? S'il n'a aucunement besoin ou envie d'une soeur ? S'il s'en fout complètement et continue son chemin sans rien de plus ? S'il m'ignore ? Tout ne se passe pas toujours comme on le souhaite, et c'est bien pour ça que j'ai cette boule au fond de ma gorge à chaque fois que je parviens trop prêt à devoir lui parler ou à tout avouer. J'en suis déjà à ma seconde année à Harvard, deux ans où j'étudie le stylisme et la danse, deux ans où je travaille dans un magasin de fringues pour vivre et me payer à bouffer, de nouveaux habits, du nouveau matériel, tout ça sans aucune aide de ma mère, et je suis plutôt fière. Me manque plus que ce petit élan de courage, rien qu'un minuscule micro élan, pour qu'enfin je puisse dire la vérité à mon frère, et peut-être me rapprocher de lui comme je l'ai toujours espéré.