(TW) I thought I was better at home - One Shot

Lundi 14 Juin. 09h00 Boston.

Face à Lukas, sac à la main, je mordillais nerveusement ma lèvre entendant l’annonce qui appelait les voyageurs de mon vol à se rendre jusqu’à l’appareil. Je m’approchais de mon plus que meilleur ami – de mon mari – et je déposais mes lèvres sur les siennes lui demandant une nouvelle fois la promesse. Ne rien dire à personne de mon départ. Ne rien dire sur moi pendant mon absence. Juste garder le silence. En échange, le jeune homme recevrait de mes nouvelles quotidiennes. C’était le deal. Un deal qu’il acceptait une nouvelle fois ne revenant pas sur sa parole. Après un ultime baiser et un je t’aime murmuré à son oreille, je partais en direction de l’embarquement sans me retourner. Si je me retournais, je risquais de craquer. Et si je craquais ce ne serait pas bon. J’enchaînais les conneries depuis que la rupture avec Nate avait été prononcée. Je ne pouvais plus rester ici. Je ne pouvais plus vivre à Boston. Pas pour le moment. Peut-être même plus jamais qui sait. J’allais grimper dans cet avion sans savoir quand j’allais revenir. J’allais grimper dans cet avion sans savoir si j’allais revenir. Décision prise avec l’accord du médecin qui avait compris que j'étais en train de devenir cinglé ici. Je pénétrais dans l’appareil qui allait me ramener chez moi. Dans huit heures, je serais enfin à la maison. À Naples. En Italie. Le seul endroit dont je me souvenais. La seule vie dont je me rappelais.

Lundi 14 Juin. 23h00 Naples (15h00 Boston).

Les mains tremblantes, la gorge sèche et le cœur battant à tout rompre, je quittais l’aéroport m’aventurant dans ces rues dont je me souvenais à la perfection. Des rues qui avaient tellement changé au cours des sept années oubliées. Des magasins fermés, d’autres qui avaient pris leur place, de nouveaux immeubles par endroit… Le paysage était différent de mes souvenirs. Pourtant, je parvenais à trouver mes repères sans avoir besoin de la dame du GPS pour me guider. En quelques heures de marche, je me retrouvais devant la maison où je vivais avec ma mère et mon père. Et le coup s’abattait. La maison avait été détruite laissant place à la végétation. Mon plan pour la nuit tombait à l’eau et le soupir glissait entre mes lèvres. Je restais de longues minutes à fixer la maison détruite. Peut-être même de longues heures. Et soudainement une voix « Petit soleil est de retour par ici… Qu’est-ce que tu fais là Tesoro ? » Je sursautais me retournant pour croiser le regard de Rob. Un Rob plus vieux que dans mes souvenirs. Un Rob plus imposant. Un Rob qui avait l’air plus cruel. Le frisson glissait sur ma peau et, laissant tomber le sac au sol, je me précipitais sur Rob pour retrouver la sensation de ses bras autour de moi. Ses bras qui se refermaient hésitants avant qu’il ne m’éloigne. Sac ramassé et balancé dans la voiture, Rob m’entraînait sur la banquette arrière pour me laisser parler à l’abri des regards. Je devais répondre à l’interrogation. Alors je déballais tout. Je parlais de l’accident du Lord Hobo, de cette balle dans ma tête, de cette perte de mémoire, de cette vie à Boston dont je ne me souvenais pas et qui me heurtait tellement, de cette rupture avec Nate qui faisait bien trop mal, de ce mari que je ne savais pas être pour Lukas, de cette balle perdue qui avait touché Eros, de mon envie de retrouver ma vie d’ici. La seule vie dont je me souvenais. Je vidais mon sac et il soupirait face à tous ces mots. Il soupirait, mais il me donnait le droit de rester. Il m’offrait la possibilité de demeurer avec lui pendant mon séjour aussi longtemps qu’il durerait. Et dès cet instant je savais. Je voulais rester ici. Je ne voulais plus repartir. Je désirais que ce séjour soit éternel parce que je me sentais bien là. Avec Rob. Avec la Mafia bientôt. C’était chez moi. C’était ma place. C’était mon rôle. Alors, après toutes ces heures de vol et cet échange douloureux, je finissais par m’endormir dans le lit de Rob. Apaisé d’avoir retrouvé ma place. Heureux d’être à nouveau vivant en ces lieux.

Mardi 15 Juin à Vendredi 18 Juin. Naples.

La routine n’avait pas tardé à se mettre en place. C’était tellement aisé ici parce que je me souvenais des choses. Beaucoup avait changé bien sûr. Des personnes n’étaient plus là. D’autres avaient pris des places tellement importantes. De nouvelles têtes se dessinaient aussi. Cependant, j’étais dans la maison de Rob. Dans la maison d’Antonio. Et c’était si aisé pour moi d’agir comme dans les images qui se dessinaient dans mon crâne. C’était connu. C’était habituel. Ça faisait du bien. C’était normal. Me lever le matin et attendre les directives pour la journée. Ne jamais avoir à choisir. Juste me laisser guider. Simplement me laisser diriger. C’était si agréable. Les journées s’enchaînaient et elles se ressemblaient un peu. Dormir, manger, entraînement de tir, lecture et clients. Et ça recommençait. Encore et encore. Toujours. Et c’était bien comme ça. Ma vie de prostitué. Ma vie que je connaissais. Cette vie dont je me rappelais. Cette vie qui n’était plus la mienne depuis des années apparemment. Cette vie que j’aimais tant pourtant. Cette vie que je voulais vivre éternellement. Tout n’était pas rose bien sûr. Les coups pleuvaient parfois. La violence pulsait un peu trop. Les blessures s’accumulaient sur mon corps. Mon reflet n’était même plus acceptable dans le miroir tandis que le noir s’invitait un peu trop dans l’esprit. Mais, ça me convenait. Ici au moins je ne blessais personne. Ici au moins personne ne faisait de promesses. Ici au moins personne ne m’abandonnait. Et ça m’allait parfaitement. Ça m’allait tellement que j’avais plus d’une fois hésité à dire à Lukas que je restais là. Lukas le seul à savoir que j’étais ici. Lukas à qui j’écrivais quelques messages juste pour dire que j’allais bien. Demi-mensonge… J’allais bien mieux qu’à Boston. Mais, cette vie là n’était pas le genre de vie où on pouvait aller bien même si Rob prenait beaucoup plus soin de moi qu’Antonio à l’époque.

Vendredi 18 Juin. 22h30 Naples (16h30 Boston).

Ce soir était différent des autres soirs. C’était la première fois que j’allais passer une nuit en dehors de la maison de Rob. C’était la première fois que j’allais passer la nuit entière à l’hôtel avec un client à satisfaire. Rob m'avait conduit à l’hôtel soufflant qu’il reviendrait me chercher ici-même le lendemain matin. Il déposait un baiser sur le haut de ma tête et m’invitait à me dépêcher pour ne pas faire attendre le client. J’acquiesçais et j’obéissais. Je montais les marches qui me conduisaient à la chambre bien loin de me douter de ce qui m’attendait. Je toquais attendant l’autorisation d’entrer. Une autorisation qui tombait. Voix masculine qui semblait familière. Visage masculin que je ne voyais pas tout de suite. L’homme était dans la salle de bain et il m’invitait à prendre mes aises. Il m’invitait à boire le verre d’alcool mis à disposition sur la table en attendant. Mes iris sombres se posaient sur le verre et je mordillais ma lèvre. Ça sentait le mauvais plan. À tout les coups, le verre était plein de drogue. Déposant ma veste, je soupirais avant d’attraper le verre et de le vider cul sec. Un ordre était un ordre. Et… J’avais bien raison. La drogue était là dans ce verre. Cette drogue qui m’assommait trop vite. Cette drogue qui me faisait plonger dans l’inconscience. Cette drogue qui m’empêchait de me débattre contre le père de Laurys qui était là pour me kidnapper. Le père de Laurys qui avait appris mon retour et qui voulait en profiter. Qui voulait se venger.

Samedi 19 Juin à Mercredi 23 Juin. Naples.

Je m’étais réveillé dans ce qui semblait être une cave. Étais-je toujours à Naples ? Je n’en savais rien. Je m’étais réveillé une main menottée au lit sur lequel je me trouvais. Je m’étais réveillé avec une atroce douleur à la tête. Je m’étais réveillé et j’avais vomis du sang. Vomis ce liquide carmin qui réveillait l’inquiétude en moi. Je m’étais réveillé et l’Enfer s’était lancé. Le père de Laurys s’était pointé sourire mauvais aux lèvres. Il voulait se faire de l’argent et j’étais le meilleur prostitué pour ça. Il voulait se venger après tout ce que j’avais foutu en l’air. Je n’y comprenais rien. Cerveau embrumé. Gamin qui peinait à se dégager du flou. Je replongeais dans l’inconscience et les feux brûlants de l’Enfer ne tardaient pas à m’éveiller. Les jours s’écoulaient dans cette cave sans que je n’en ai conscience. J’avais perdu le décompte bien trop rapidement. Il n’y avait pas de lumière ici. Il n’y avait pas de pendule dans les parages. Ici, dans cette cave si froide, il n’y avait que des clients qui s’enchaînaient les uns après les autres. Des clients bien trop violents. Pris sans aucune préparation. Si souvent frappé. Coups de poings. Coups de pieds. Coups de ceinture. Parfois même brûlé de ces flammes qui venaient éclairer brièvement l’endroit. Dans cette cave, la douceur n’existait plus. Ce n’était que de la douleur constante. Une douleur à laquelle la fièvre s’était mêlée. Gamin qui grelottait. Gamin qui crevait de chaud. Gamin qui vomissait. Gamin qui périssait. Le père de Laurys m’amenait de l’eau. Rarement. Il n’apportait pas à manger. Jamais. Je me sentais faiblir de plus en plus. Je me sentais crever si vivement. Les rares moments de solitude étaient là pour pleurer. Incapable de plonger dans le sommeil fait de cauchemars d'horreurs. Je n’avais pas la force de tenter quoi que ce soit. Esprit trop dérangé. Corps si affaibli. Je ne pouvais que prier. Prier pour que la fin arrive. Prier pour que la mort vienne me quérir et soulager mon être qui avait trop supporté depuis des années. Horreur incessante qui se prolongeait encore.

Mercredi 23 Juin. 21h50 Naples (15h50 Boston)

Mes yeux papillonnaient en entendant la porte de la cave s’ouvrir. Encore un client ? Je ne sentais déjà plus mon corps. Je n’étais même pas foutu de bouger pour tenter d’apercevoir quelque chose. Je restais là étendu sur ce lit et je refermais les yeux. Prêt à subir la nouvelle torture. « Tesoro ? » Je me redressais soudainement dans le lit gémissant aussitôt sous la douleur qui cognait partout en moi. Le bruit suffisait à attirer Rob à mes côtés. Rob ? Est-ce que j’étais en train d’halluciner ? Est-ce qu’il était un des clients ? Est-ce qu’il avait prévu tout ça avec le père de Laurys ? Est-ce que lui aussi était indigne de confiance ? Les questions cognaient dans un coin et je ne m’y arrêtais même pas. Gosse trop épuisé pour faire l’effort de se concentrer. Rob jurait un peu trop fort et je gémissais sous le son de sa voix qui faisait mal. Rien ne venait. Pas de coups. Pas de contact. Rien. Il détachait les menottes et me soulevait du lit ne cessant de répéter que je ne risquais plus rien à présent. Mots rassurants qui avaient du mal à pénétrer ma tête. Symphonie réelle qui venait me bercer. Je sombrais dans le sommeil qui me faisait défaut depuis des jours.

Vendredi 25 Juin. 16h30. Naples.

Un gémissement glissait entre mes lèvres. Je m’éveillais. Je reprenais conscience sursautant trop vite. Mes yeux se plissaient sous la lumière de la chambre. Lumière trop vive. Chaleur trop agréable. Je n’étais plus dans la cave. Le cœur se calmait tandis que Rob se précipitait dans la chambre. Sourcils froncés, je voyais ses lèvres bouger sans parvenir à comprendre un traître mot de ce qu’il était en train de me souffler. Je me reconnectais à la réalité lorsqu’il me poussait à me lever pour quitter le lit « Je sais que t’es pas totalement en état, mais tu ne peux pas rester ici Tesoro. Ce n’est plus ta place. Ce n’est plus ta vie. Il peut revenir te prendre alors tu DOIS partir et ne plus jamais remettre les pieds ici. JAMAIS Neal. On peut s’arranger pour que je te trouve un boulot pour moi à Boston. Mais, tu ne peux pas rester ici Tesoro. Retournes chez toi en sécurité. » Les ordres tombaient secs. Je voulais répliquer que c’était ici chez moi. Je voulais marmonner que je me souvenais juste d’ici moi. Cependant, je n’avais même pas le temps d’ouvrir la bouche que j’étais poussé à l’intérieur d’une voiture avec un chauffeur. Une voiture qui se mettait en route sans perdre de temps. Une voiture dans laquelle je somnolais jusqu’à ce qu’on me réveille. Le chauffeur me soufflait qu’on était au cimetière et il me tendait un bouquet de tournesols avant de me dire de me dépêcher. J’hochais la tête marchant difficilement jusqu’à la tombe de ma mère. Cette tombe devant laquelle je m’échouais en larmes « Hé Mamma… Je… J’sais pas combien de temps ça fait que je ne suis pas venu là… J’ai l’impression que ça ne fait que quelques mois alors que ça doit faire tellement d’années… J’sais pas… Tout s’embrouille tu sais… Tout se casse la gueule Mamma et je voudrais juste être avec toi… Je crois même que j’aurai préféré que ce soit moi plutôt que toi là-haut… Je n’aurai pas eu à vivre tout ça… Je n’aurai pas à supporter tout ça Mamma… Je pourrais rester là à te parler pendant des heures je crois… Il y a tant de choses à conter… Il y a tellement de choses à dire… Mais je dois faire vite… Je dois rentrer à Boston là où est ma vie apparemment même si je l’ai oubliée… Je n'ai plus le droit de reprendre ma vie ici. J’ai plus le droit de vivre ici et je déteste ça parce que c’est la Maison ici… Boston ce… C’juste l’Enfer… Il y a Lukas qui attend un mari que je ne sais pas être… Il y a Nate qui m’a juste abandonné une seconde fois alors qu’il avait promis qu’il ne partirait pas… Il m’a brisé le cœur si fort Mamma… Je… J’commençais à me sentir mieux moi et il… Ce… C’est comme s’il m’avait lâché du haut du toit sans parachute… Ça fait tellement mal Mamma… Et je… C’est pas tout… Il y a tant de gens qui attendent des choses de moi que je ne peux pas donner… Que je ne sais pas donner… Ce… C’juste tout effacé dans ma tête… J’veux pas retourner à Boston… J’veux pas vivre cette vie qui fait mal tous les jours… J’veux pas… Mais je… J’pas le choix… Rob a dit que j’devais rentrer là-bas alors je… J’dois y aller… Tu me manques tellement Mamma… Je voudrais juste être avec toi là-haut… Je voudrais seulement être dans tes bras éternellement… Je t’aime si fort et je… Je t’écrirai encore… Toujours… Mamma… Pitié… Aide-moi à survivre ou laisse-moi crever pour que je vienne à tes côtés… Pitié… J’veux plus continuer comme ça… » Je restais quelques longues minutes à sangloter sur la tombe de ma mère. Gamin perdu qui était bousculé aujourd’hui. Gosse qui avait du mal à tout comprendre. Les choses s’éclaireraient dans quelques heures lorsque j’aurai lu la lettre de Rob. Cette lettre expliquant les derniers jours et ce que je devais faire maintenant. Cette lettre que j’avais brûlée en arrivant à l’aéroport.

Samedi 26 Juin. 03h45. Boston.

L’avion en provenance de Naples venait d’atterrir à Boston me tirant hors du sommeil agité dont j’étais victime. Je laissais les autres passagers s’échapper de l’avion prenant le  temps de me réveiller. Sac sur l’épaule, capuche rabattue sur la tête, je traversais l’aéroport un peu trop perdu. La sensation de ne pas être à la maison cognait de nouveau. Le mal-être pulsait bien trop fort. Boston… Ville de trop d’horreurs depuis mon réveil. Ville de trop de noirceurs alors que je tentais de vivre. Ville que je commençais juste à détester. Mais, ville où je n’avais pas le choix d’être. Soupirant, je me laissais tomber dans un coin de l’aéroport. Je m’allongeais sur plusieurs sièges déserts parce que je ne savais pas quoi faire d’autre. Personne ne savait que j’étais de retour. Personne hormis Lukas n’avait été au courant de mon départ. Est-ce que certaines personnes s’étaient inquiétées pour moi ? Allez savoir. Je n’étais rien ici. Je n’avais pas d’importance. Installant mon sac sous ma tête, je fermais les yeux pour me rendormir dans l'aéroport parce que je n’étais pas foutu d’aller plus loin. Je revenais à Boston après deux semaines qui avaient su me guérir et me meurtrir. Je revenais et j’étais différent. Encore plus désireux de corps à corps. Encore plus maigre qu’à mon départ. Tellement plus pâle qu’avant. Le corps couverts de blessures et d’ecchymoses. Le cœur encore plus détruit. La tête tellement en vrac. La fièvre encore présente. J’étais différent en ce Samedi 26 Juin. Je n’étais plus que ce gamin qui ne savait pas comment vivre. Ce gosse qui avait décidé de ne plus faire confiance et d’avancer un peu trop seul. Cet être humain ravagé qui attendait désespérément le signe d'une mère décédée.

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