ANGIE DECHAMPLAIN ► Luanna Pérez-Garreaud

Maman était une charmante demoiselle, diamant brillant au fond du Pérou, beauté trop réclamée qu'elle ne se décidait à offrir à personne. Convoitée, demandée par plusieurs, son âme n'avait pas encore été charmée et elle s'offrait le luxe de l'attente pour fleurir seule. ...jusqu'à ce que, par une nuit sombre, quelqu'un en décide autrement. Le choc et la disposition des forces ayant garanti l'issue de cette bataille, le ciel en a ensuite pleurer autant qu'elle.

Une nouvelle mer de chagrin avait inondée ses joues encore rondes lorsqu'elle avait sentie la vie tendre la peau de son ventre. Il ne lui avait cependant pas fallu énormément de temps avant de les assécher. Large coeur aimant, elle avait rapidement adopté l'idée qu'ils seraient désormais deux. Elle n'avait, de toute façon, aucun moyen de mettre un terme au cycle lancé et plus son ventre s'arrondissait, moins elle en éprouvait l'envie. Enfant d'un soir de violence, il serait bercé d'amour lorsqu'il viendrait à naître.

Certains soirs, elle se prenait à rêver : son petit escagot serait-il l'un des gamins qui chassaient les oiseaux et ramenaient des limaces à la maison? Ou recevrait-elle un jour une couronne de fleurs qu'une petite fille aurait appris à tresser avec fierté? Le destin avait d'autres plans, meilleurs ou pires, c'est à vous de choisir. Une chute provoca une faible douleur lanscinante qu'elle choisit d'ignorer, songeant que le tout, bénin sûrement, finirait par passer. Mais cela éclata finalement après plusieurs jours, blessure brûlante et déchirante, créant une vague d'inquiétude, de peur profonde même, pour l'enfant qu'elle portait. Son histoire s'éteindrait-elle avant de voir la lumière du jour?

Le Distrito Santa Maria De Alto Nanay n'étant pas muni d'un hôpital, Iquitos étant inaccessible puisque beaucoup trop loin à atteindre dans son état, quelques membres de la communauté l'aidèrent au mieux de leurs connaissances. Son salut vint sous la forme d'une équipe de médecins sans frontières de passage dans la région. Un homme apparut à sa vue, portant un sourire rassurant afin de s'approcher et de l'aider. Souffrante, paniquante, elle supplia d'aider le petit escargot qu'elle portait en elle. Son voeu fut exaucé. Après d'interminables minutes qui se transformèrent en heures, de petits cris se firent entendre, sortant de poumons qui goutaient l'air pour une première fois.

Une petite fille. Elle fut amenée dans les bras de sa mère qui la compara à un ange. La peur s'éloignant, le coeur de la demoiselle se calma progressivement lorsqu'elle put déposer un baiser sur le front de son enfant. Cadeau d'une mère aimante qui s'éteignit paisiblement.

On ne sait jamais d'où vient cette dédication, comment certains êtres n'avancent sur le parcours de la vie que pour tenter d'améliorer celles des autres. Papa est l'un de ses êtres exceptionnels. Rêve de gamin de vouloir travailler dans les zoos et les réserves fauniques pour pouvoir prendre soin des animaux exotiques, il s'était finalement tourné vers l'humain assez tôt en expérimentant les sciences, réalisant qu'il y avait encore beaucoup à faire chez sa propre espèce.

Étudiant brillant, la Ivy League n'avait pas grimacé à l'avoir dans ses rangs et il avait intégré la faculté de médecine de Harvard sans réelle difficulté. Actif et à la carrure sportive, il n'avait cependant fait partie d'aucune équipe, la musique habitant son âme plus que le désir de compétition. Entre deux révisions, il n'était donc pas rare de le voir fréquenter les pubs, les décibels chargeant surtout ses oreilles de musique rock. Ses préférences musicales se reflétaient d'ailleurs sur ses choix vestimentaires. Brisant l'image du premier de classe classique, il collectionnait les t-shirts des différents groupes dont il était appréciateur. Plusieurs tournées auxquelles il aurait aimé assister, plusieurs imageries pour le faire rêver. Mais bien que s'abandonnant à quelques plaisirs et rêveries, il n'en restait pas moins un étudiant grandement concentré sur son avenir, dans l'espoir de pouvoir en offrir un à tant d'autres.

Un été, il découvrit le chemin qu'il avait cherché. S'inscrivant pour un stage à l'étranger, voulant savoir les méthodologies d'ailleurs, apprendre sous d'autres horizons, il trouva véritablement sa vocation. À la fin de l'été, on dû presque le convaincre de reprendre l'avion pour Boston, mais il revint à ses études plus motivé que jamais par les visages des gens qu'ils avaient pu croiser dans les différents villages reculés. C'est pourquoi, son diplôme en poche,quelques stages et des années en tant qu'interne comme seuls bagages, il joignit l'équipe des médecins sans frontières. Les difficultés ne l'ayant jamais démotivés, il s'est passé bien des années avant qu'il ne réévalue ses choix. Jusqu'à croiser de grands yeux bruns, presque noirs dans la pénombre qui s'attaquait à la chambre, envellopant d'un drap celle qui avait donné sa vie pour celle d'une petite fille à naître. Il avait aidé, mais la vie avait glissé entre ses doigts sans qu'il ne voit l'issue arrivée, sans qu'il ne la prévoie. Lorsqu'on indiqua que le nouveau-né se retrouvait sans liens vivants, l'équipe proposa de l'embarquer jusqu'à la prochaine cité pouvant offrir toit à une orpheline. L'homme n'arriva cependant jamais à se convaincre de se départir du petit escargot qu'il apprit à connaître et la petite prit l'avion avec lui dès qu'ils le purent.

Grand-père avait affirmé qu'il était fou lorsque Papa le leur apprit qu'il ne revenait pas seul. Grand-mère avait pleuré en entendant l'histoire de Maman. Aucun des deux ne songea cependant à tenter de convaincre l'homme de laisser la petite au Pérou. Au contraire, ils firent des pieds et des mains pour aider la paperasse, transformer l'une des chambres d'amis en nursery et s'assurer que tous les essentiels soient comblés pour l'arrivée du petit escargot. Le périple fût difficile, mais le duo tant attendu mit enfin les pieds à Boston.

Épuisé, assuré qu'il pouvait enfin baisser sa garde, Papa s'assoupie et Grand-mère s'occupa du nourisson pendant de longues heures, retrouvant des instincts maternels qu'elle n'avait, au final, jamais perdu. Mère un jour, mère toujours, dit-on. Bien que son mari ne l'admit pas dès le début, il fût bien contraint de dire qu'il avait passé les premières nuits près du landau lorsqu'on le retrouva assoupi sur la chaise berçante posée tout près, un beau matin. Gros ours à la voix aussi impressionnante que la vague de sensations qui avait pris son coeur lorsque les petits doigts s'était refermés sur les siens. Elle fût baptisé Angelica, souvenir des paroles de sa douce mère à son attention.

De petit escargot, elle devint une sauterelle, surnom que lui donna son grand-père lorsqu'elle commença à devenir plus élancée. Encore aujourd'hui, cela reste une appellation affectueuse de sa part. Parfois fragile en apparence, elle démontra pourtant une certaine force de caractère en grandissant, semblant faire comme Maman, prenant plusieurs vagues en silence et se retroussant les manches pour continuer d'avancer.

Papa reprit le travail et s'absenta souvent, revenant tout de même plus fréquemment, tentant de rester le plus possible lorsqu'il le pouvait. Une part de lui cherchant tout de même à se mettre au service du prochain, aussi finissait-il toujours par repartir. Jamais il ne manqua un anniversaire cependant. Et dès la première année, la petite Angie reçut un bouquet de roses pour la Saint-Valentin, tradition qui se perpétua de sa part, encore une fois sans aucun manque. En vieillissant, la jeune fille prit l'habitude de tracer les itinéraires empruntés par son père, s'imaginant parfois le suivre, s'abreuvant de ses histoires à chaque coups de fils ou à chacun de ses retours.

Entre deux, elle découvrit la cuisine et la couture avec Grand-mère, mais s'intéressa surtout au baseball avec Grand-père, l'accompagnant à certains matchs qu'il commenta pour les Red Sox. La joie qui traversa les traits du vieil homme ne pût être niée lorsque la petite voix questionna innocemment quand elle pourra taper sur la balle, elle aussi. Bien qu'elle ne voulait se contraindre au micro comme Grand-père, on lui découvrit un certain talent pour le baseball et, comme tout parents ou grand-parents, la fierté les envahirent lorsque le premier uniforme fût enfilé, que le premier homerun fût frapper, lorsque la première inscription au championnat fût faite et lorsque le premier trophée ou ruban fût ramener à la maison... La sauterelle continua ainsi plusieurs saisons et ce n'est qu'à ses 16 ans qu'elle manqua, pour la première fois, les débuts de championnat, s'absentant pour porter le deuil de sa grand-mère. À son retour, elle inscrivit son plus haut pointage.