notes pour trop tard (libre)

La journée a été rude pour toi. Mauvaise nouvelle dans la nuit, esprit secoué. Vieux démons qui frappent à ta porte, ignorés. Tu passes le reste de la nuit, la tête enfouie dans les souvenirs sur papier glacé. Tu souris des moments heureux, tu pleures la perte. Emotions contradictoires qui bousculent. Tu ne réveilles pas ton frère ni ta fille. Tu gardes ces émotions pour toi, jusqu'à l'implosion, jusqu'à l'après-midi qui vient, jusqu'au moment où tu sens que tes démons commencent à prendre le dessus. Tu proposes à Naya d'aller chez sa grand-mère pour la nuit, prétextant que tu dois te rendre dans un autre ville pour du boulot. Elle ne sait pas ce que tu fais. Elle ne sait pas ce qui se passe réellement dans ta tête. Tu l'emmènes chez ta mère et tu rentres de nouveau à la villa, où tu envoies un message à DeSean, parce que tu te sens prête à flancher, ce n'est qu'une question de temps.

Au coeur de la nuit, tu quittes la villa au volant de ta voiture. Seule, avec une boîte de souvenirs sur le siège passager. Des souvenirs d'Anna et toi, de ce que vous étiez et de ce que vous n'étiez pas vraiment. Des photos, des lettres de l'époque où elle était en prison et toi en Norvège, des lettres de quand elle a quitté Boston et surtout, la dernière qu'elle t'a envoyée, te disant qu'elle allait bien, qu'elle reviendrait bientôt sur Boston pour te voir. Foutu mensonge. Elle allait mal. Foutu espoir qui est mort avec elle. T'as une bouteille de tequila entre les jambes. Tu l'entâmes sur la route. Tu files vers la côte, vers l'océan. Là où tes larmes se perdront dans le sable où dans l'étendue d'eau salée. Le ciel est dégagé. La lune se reflète sur les vaguelettes. Les étoiles sont nombreuses et tu essuies les larmes qui coulent du revers de la main. Tu sors de la bagnole et tu t'installes dans le sable, bouteille à la main.

Six mois. Six mois que tu avais un contrôle total de toi-même, que tu avais su foutre tes vieilles habitudes au placard, enfouies loin de toi, éloignée de toutes les tentations. Six mois que tu apprenais à être une mère exemplaire, une sœur présente, une fille digne. Tu avais tant travaillé sur toi-même pour en arriver là, et puis tout s'est cassé la gueule. Ton ambition, ton contrôle, tes espoirs, ça s'est envolé comme un château de cartes. Il ne reste que ce que tu as toujours connu, l'ivresse. Seule arme contre laquelle tu ne sais pas totalement lutter. Le cherches-tu vraiment, à lutter contre ? N'as-tu pas plus d'ambition que ça, habituellement ? Pas ce soir. Pas cette nuit. Ta sobriété s'est échappée. T'as pas envie de vivre cette épreuve en étant claire. Tu veux annihiler la souffrance, anesthésier la douleur que t'as dans la poitrine, ne plus sentir ton cœur qui se serre quand tu repenses à ce coup de téléphone de la petite sœur d'Anna. Tu veux te libérer du poids accablant de la tristesse.

Tu noies ta tristesse dans l'alcool qui brûle ton œsophage, qui réchauffe le corps et qui abrutit l'esprit un peu plus à chaque gorgée. Tu sens une présence près de toi, silhouette inconnue, silencieuse, trop parfaite pour faire partie du même univers que toi. Tu l'observes de biais. Corps féminin et frêle. Aucun danger qui s'amorce en somme. Ta main cherche tes cigarettes dans la poche de ta veste, tige cancérigène qui se coince entre tes lèvres. La flamme danse sous tes yeux avant que la fumée ne s'échappe dans l'espace. « T'as besoin de quelque chose ou tu observes simplement le côté atypique de ma crinière ? » Tu ne lèves même pas ton regard vers l'inconnue. Trop fatiguée de l'observer vraiment.