Come on and dance (Louve)

L'alcool n'est pas un remède à la souffrance ni une solution aux problèmes. Ca ne lui permet même pas d'oublier la menace pesant sur ses épaules. Les shots vont seulement inhiber son corps, rendre les douleurs plus supportables. Ce sera déjà pas mal. Quelques médicaments ingérés au préalable, mélange explosif et dangereux que Shayn essaie encore une fois ce soir. Dilatation des pupilles, vision périphérique en constante régression, l'impression de planer.. Tout va pour le mieux. C'est pourtant pas faute d'être -enfin- amoureux. Mais l'amour ne règlera pas le problème avec son père; au contraire, cela ne fait qu'empirer les choses. Offrir son coeur à une autre, c'est mettre cette même personne en danger. Et ça, il en est conscient. Alors il choisit de faire l'idiot, plutôt que de réfléchir à un plan pour faire tomber le diable. Tellement plus facile de picoler que de trouver des idées pour faire chuter celui qui a toujours, semble-t-il, un coup d'avance. Jolie brune qu'il aperçoit, à quelques mètres de lui; laquelle n'a pas l'air de s'éclater. Ou peut-être qu'il est simplement trop défoncé. - Besoin d'aide pour finir ton verre ? qu'il demande en s'asseyant à son côté, lui offrant un large sourire au passage. Peut-être qu'il pourrait lui changer les idées, allez savoir.

Besoin de décompresser, de te déconnecter de cette réalité qui te force à constater que Nabil est parti, lui aussi. T’as foncé dans ce bar, toute seule, en repensant à combien Rose doit être heureuse d’être avec son père mais aussi combien elle te manque déjà. Un verre de Virgin Colada glissé entre tes doigts, le ventre légèrement arrondi par tes deux mois et demi de grossesse, t’es pourtant sortie de tes rêveries par cette voix trop familière qui titille ton ouïe. « Je suis pas contre un peu de compagnie. » que tu lances, esquissant un maigre sourire à la commissure de tes lèvres en tournant finalement ta tête pour découvrir le visage accueillant de Shayn. « T’as l’air d’en avoir besoin toi aussi à ce que je vois. » Pointe de malice qui vient aussitôt éclairer tes billes brunes, t’as l’impression que lui aussi est seul ce soir.

Ce n'est pas une soirée de folie. C'est limite l'inverse, l'un de ces moments où Shayn doute de sa vie telle qu'il la mène pour l'instant. Peut-être un peu fatigué d'être en danger, de mettre les autres en danger. Las de mener ce combat contre son père. Cette figure qui aurait dû lui fournir amour et protection, lui inspire peur et violence. Alors il boit. Seul, jusqu'à repérer une tête familière. Pas vue depuis longtemps. Peut-être quelques années. Ca remonte à ses années de football, lorsqu'il jouait à Clemson. - Bah alors, elle est passée où ta bonne humeur légendaire ? qu'il demande, esquissant à son tour un mince sourire à son intention. Il se souvient d'une Louve, véritable pilier de barre, séduisante à souhait. Alors c'est quoi, cette mine penchant vers le triste ? - Attends... Tu bois pas d'alcool ?! c'est presque un choc, quand il se rappelle de leur dernière soirée. A croire que le temps fait tranquillement son oeuvre et qu'elle est devenue plus raisonnable, la petite.

L’impression que l’histoire se répète sans cesse, qu’importe que le contexte soit différent ; l’impression d’être abandonnée par Nabil aussi lâchement que par Basile quelques mois plus tôt. Maudite jusqu’à la moelle pour tous les mauvais choix que t’as pu faire, t’as l’impression que tu sortiras jamais de cet engrenage. T’aimerais boire pour oublier, boire pour te retourner la tête comme tu l’as toujours fait, consommer pour mieux te consumer. Mais tu peux pas. Tu peux pas le faire en sachant qu’un petit être grandit actuellement en toi et que t’as fait le choix de le garder quoi qu’il puisse t’en coûter. « J’ai mis un avis de recherche mais personne m’a encore appelée, j’imagine qu’elle a vraiment disparu. » Ta bonne humeur légendaire. Disparue sans même te dire adieu. T’as ce rire qui fait vibrer ta gorge, un rire presque douloureux par l’ironie de ta phrase, l’ironie de ta vie. Encore plus quand il remarque que tu bois pas d’alcool à cet instant. « Faut croire que je me suis assagie. » T’hausses les épaules, t’imaginais autre chose en apprenant la nouvelle. Mais tu t’es trompée, affreusement.

Le souvenir d'une soirée dans la tête, comme s'il s'agissait d'une autre vie. Tout était plus simple lorsqu'ils se sont croisés la première fois. Enfin, c'est comme ça qu'il voit les choses présentement. Louve était joyeuse, tout comme lui. Clemson lui manque un peu, c'est certain. L'ambiance qui régnait sur le campus de cette prestigieuse université, c'était autre chose. Les Crimsons font bien pâle figure face à son ancienne équipe. On parle d'une époque durant laquelle Shayn se sentait plus libre, presque à même de faire ses propres choix. Moins de pression de la part de son père, moins de coups reçus, aussi. Mais tout cela semble s'effacer, petit à petit. - Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Raconte tout à tonton Shayn.. plaisante-t-il en lui offrant un sourire, sans doute trop alcoolisé. Dire qu'il pensait pouvoir compter sur elle pour rire et profiter de la soirée.. On dirait que ce plan tombe à l'eau. - Merde alors.. Je préférais ton côté un peu fofolle. Ca t'allais plutôt bien. plutôt que ce rire qui sonne faux, même à ses oreilles. Louve représentait clairement la joie de vivre à ses yeux.. A croire que tout est devenu plus sombre depuis quelques temps.

Évidemment que t’as connu mieux ; t’as été en meilleure posture, en capacité de fêter sans réfléchir, l’esprit libre, libre de divaguer, libre de toute obligation. Mais à présent, tout est différent Louve. Nabil aussi t’a laissée, son enfant dans ton ventre comme le spectre d’une relation affreusement courte. La sensation que tout recommence, que la roue continue son tour infernal pour t’écraser une fois de plus sous son poids. Pourtant, t’as pas envie d’en parler ; plutôt l’envie de pouvoir enfin te vider l’esprit, de penser à autre chose le temps d’une soirée. Maigre rire qui fait vibrer ta gorge quand il s’autoproclame tonton Shayn, t’hausses finalement les épaules et tentes de mieux t’installer pour adopter une posture plus encline à oublier. « Et si on se contentait juste de boire ? » Et de parler de ce qu’il veut sauf de ta situation actuelle. Les yeux qui roulent quand il te dit finalement qu’il te préférait plus folle ; c’est drôle, parce que toi aussi tu la préférais cette Louve-là. Ton verre à moitié vide qui se lève vers le sien pour les entrechoquer, tu désignes finalement le sien d’un signe de tête. « C’est ton combientième ? Histoire de savoir si tu vas battre ton record ce soir. » Qu’est-ce que t’en sais, en vérité ? Rien. Rien mais ça pourrait t’amuser de le voir se dépasser.

C'te donzelle, elle lui rappelle.. Lui-même. On évite de parler et on se contente de picoler, ça lui ressemble tellement. Sauf qu'à l'évidence, ça fonctionne pas vraiment ce soir. Shayn pourrait être complètement raide, il n'en oublierait pas ses démons pour autant. Quant à elle.. C'est même pas de l'alcool qu'elle ingère, ça va être compliqué. - Ca va être fun pour quelqu'un qui consomme même plus.. soupire-t-il, comprenant qu'elle ne parlera pas. C'est donc ça que les gens ressentent, lorsqu'il se ferme à toute conversation. Pas très agréable, comme ile le constate. Mais soit, ils ont qu'à déprimer ensembles à ce compte. Elle prend quand même la peine de trinquer, comme s'il fallait fêter l'occasion. - J'ai déjà arrêté de compter. Et puis de toute façon, j'dois apprendre à me tenir. niveau alcool, c'est raté. C'est même le seul domaine sur lequel il peut se lâcher, alors il se fait plaisir. Mais niveau drague.. C'est terminé. Lui aussi, a bien changé depuis la dernière fois.

Y a un mois de ça, tu te permettais encore de te mettre la tête à l’envers au Spring Break. Et quand tu repenses à tout l’alcool que t’as pu ingérer sans même savoir que t’étais déjà enceinte, ça te donne la gerbe. T’imagines que c’est ce qui t’a sauvée : de toujours tout régurgiter le soir-même sans donner trop le temps aux degrés de passer dans ton sang. « Si je pouvais, crois-moi que je le ferais. » Boire de l’alcool. Si seulement t’en avais le droit, tu compterais pas les verres déjà bus. Mais si tu pouvais, ça voudrait aussi dire que Nabil serait toujours là et que t’aurais pas de souci à l’heure qu’il est. « Apprendre à te tenir ? Y a une bonne raison à ça au moins ? » T’imagines qu’il est pas enceinte de son côté alors t’as du mal à voir quelle vraie bonne raison l’empêche de boire jusqu’à tout oublier.

Il y a un énorme non-dit dans sa phrase; un truc qu'elle cache ou qu'elle ne dit pas comme ça. Malade peut-être ? Merde alors, dire qu'il s'attendait à relever le niveau de sa soirée avec elle... C'est mal barré si elle consomme pas. Mais soit, Shayn ne va pas forcer. Connaissant un minimum le phénomène, il sait d'avance qu'elle lui aurait piqué son verre si elle pouvait. - Bon, il t'arrives quoi ? Tu me racontes ou je devine ? et vu son état, il risque d'y passer la nuit. Quoique, il va devoir arrêter de boire, lui aussi. La connerie a des limites, maintenant qu'il est "posé". C'est une première pour lui et c'est loin d'être évident. - Le coeur a ses raisons que la raison pige pas.. qu'il répond avant de froncer les sourcils. C'est pas ça l'expression. - Que la raison comprend pas. non plus. Yeux levés vers le plafond, comme si la réponse était gravée dessus. Ca donne une idée à Louve du nombre de verres qu'il a déjà descendus. - Bon t'as compris quoi.. J'peux plus pécho. Ni toi, ni personne. c'est trop bizarre d'être confronté à cette restriction. Il a promis l'exclusivité à Lyra, il doit s'y tenir.

T’es pas sûre que ce soit une bonne idée de parler tes problèmes, t’es plus encline à les oublier qu’à y repenser en les crachant. Sauf que t’es aussi sûre que Shayn te lâchera pas de la soirée si tu lui dis pas tout tout de suite alors… vas-y. « Je suis enceinte et mon mec s’est barré, ça te va ? » Tu ris jaune. Parce que dans le fond, c’est toujours aussi douloureux et honteux ; et tu sais même pas ce qui est le pire entre les deux. En tout cas, le premier point est la seule raison qui fait que tu le suivras pas ce soir, ni aucun autre dans les mois à venir d’ailleurs. Sauf que quand tu l’entends peiner à trouver la fin de l’expression, tu peux pas t’empêcher de lui offrir un rire un tantinet moqueur. « Que la raison ignore, abruti. » Soit il est sacrément atteint par l’alcool, soit il est sacrément atteint tout court. Mais les deux solutions se valent. « T’es en couple ? T’as fait de l’amnésie et t’as oublié que c’est pas la vie que tu veux mener ? » Au fond, t’en sais rien, mais c’est comme ça que tu le vois : à papillonner sans jamais se poser.