I'm gonna drive you through the night • LUCINDA

Seul, je marchais au milieu du grand parc. La lune diffusait ses rayons salvateurs sur mon monde, et je ne manquais pas d'apprécier la vue de cette blancheur qui se découpait dans cette obscurité angoissante. Un peu comme un affrontement entre le bien et le mal. J'ignore pourquoi, je me projetais dans cette confrontation. Car la noirceur, je le serrais au creux de ma main pâle. Une petite ampoule de verre, gorgée d'un liquide transparent. Je pris place dans l'herbe, appréciant sa fraîcheur. Dans quelques minutes, je ne la sentirais plus. J'ouvris mes doigts, comme pour libérer un oisillon, puis mon regard se baissa lentement vers l'ampoule. Je patientais un peu, pour mieux savourer le plaisir par la suite. Après tout, la véritable apogée réside dans l'attente, et non dans le plaisir lui-même. Même si ce n'était pas de l'avis de mes veines, que je sentais pulser, comme si elles me suppliaient d'enfin passer à l'acte. Avec une lenteur passionnante, je fis glisser mon veston ébène de mon buste, afin de le laisser retomber dans l'herbe d'un vert irréel. Ma main droite posa précieusement la petite ampoule au milieu du gazon, pendant que ma main gauche agrippa ma manche, qu'elle remonta lentement. Oui, que l'attente était délicieuse. Il me semblait que c'était la dernière chose qui était en mon contrôle. Le nombre de secondes avant le shoot. Enfin, tout mon bras fut visible. Sa blancheur rayonnait. Je sortais de ma veste une petite pochette en cuir, qui contenait tout ce dont j'avais besoin. Le garrot fut rapidement posé. Je détestais ce contact caoutchouteux. Et enfin, je la sortis. La seringue. J'ignore si ce fut une réaction de mon cerveau en manque, mais elle semblait rayonner, certainement comme les apparitions de la Vierge peuvent briller aux yeux des croyants. Mais chez moi, point de transcendance. Rien que l'immanence presque angoissante de la drogue. J'installais la petite ampoule dans la seringue, avant de l'approcher doucement de mon bras, déjà bleu tant de veines apparaissaient en même. J'avais l'embarras du choix. La pointe transperça ma peau. Mon doigt poussa le piston, comme un joueur de roulette russe presse sa gâchette. Enfin.

Un sursaut. Le souffle coupé dans un instant encore plein d'effroi, une seconde semblant éternité. Ses longs cheveux blonds étaient restés figés contre sa peau par la transpiration, vestige d'un cauchemar qui ne l'avait pas laissé indemne. Un de plus. Un de trop. Passant ses doigts sur son front, Lucinda tenta de retrouver sa lucidité, de penser à autre chose afin de laisser s'enfuir les brides du rêve ainsi que la terrible sensation que son corps en gardait. Elle ne voulait pas s'en souvenir. Elle ne voulait pas analyser sa provenance, tenter de comprendre le message de son inconscient. Trop fatiguée par tout ça, elle voulait simplement que ça s'arrête. Mais si la vie avait été aussi simple, parait-il qu'elle n'aurait pas été aussi intéressante. Phrase certainement prononcée par une bande de débile heureux. Soupirant, la jolie blonde se laissa glisser hors de son lit, posant ses pieds nus sur le sol froid de la chambre. Tournant la tête, elle jeta un regard au lit de sa colocataire qui semblait dormir à point fermé. Elle la réveillait bien assez souvent sans le vouloir avec ses crises nocturnes, la pauvre. Tentant de faire le moindre bruit pour ne pas écourter le sommeil de Chiara, elle enfila rapidement un jogging noir qui trainait sur une chaise ainsi qu'un long gilet en laine pour recouvrir le débardeur blanc qui lui servait de pyjama. Et enfin elle sortit, se retrouvant à l'air libre quelques secondes plus tard, appréciant la brise glacée qui vint glisser sur la peau de ses joues, lui redonnant un peu de gout de la réalité. Glissant d'une main ses cheveux derrière son oreille, elle resserrant les pans de son gilet en croisant les bras sous sa poitrine, laissant ses pieds la guider au travers des routes de l'université. Ces moments l’apaisaient, lui faisant oublier tout les parasites qui la rongeaient constamment, démons du passé ou ombre d'elle-même. La dunster se retrouva rapidement dans le parc bordant l'université. Autrefois si prestigieux, il ne restait de lui que quelques vestiges depuis l'attentat qui l'avait en partie détruit. Si elle voyait souvent des gens en venant ici la nuit, des couples le plus souvent, la silhouette qui sembla se dessiner devant elle et ce qu'elle faisait déjoua toutes les convictions de la blonde. Si elle avait un peu plus réfléchit, elle aurait fait demi-tour immédiatement et oublié ce qu'elle venait de voir. Fuit avant que tout cela ne dégénère. Éloignée avant que l'image ne s'imprime que trop devant ses beaux yeux bleus. Avant qu'elle ne se mette à y croire. Lucinda fronça ses sourcils, poussée par sa curiosité rationnelle qui lui laissait encore l'illusion qu'elle pouvait s'être trompé de personne. Oscar ? Finalement, elle était restée...

Doucement, la drogue se projetait dans mes veines. L'habitude était si grande que j'imaginais pouvoir sentir son parcours à travers tous mes vaisseaux, avant d'enfin exploser dans mon cerveau, comme un gigantesque feu d'artifices. Ma sensation était merveilleuse. Je n'avais pas vidé l'ampoule entièrement, je voulais la garder pour plus tard. S'endormir seul dans un parc me semblait être une très mauvaise idée, c'est pourquoi je voulais garder mon esprit libre de tous nuages. Je ne gardais que le plaisir. Un peu comme ces alcooliques qui ne prennent que cinq verres de whisky au lieu de dix, un soir où ils veulent se dire que tout va bien. Ce soir, tout allait bien.« Oscar ?» Je sursautais, manquant de me transpercer le bras avec mon aiguille. Par réflexe, je l'enlevais avec la dextérité que procure l'habitude. La paranoïa de se faire surprendre. Je décontractais mes muscles afin de soulever mon visage vers la voix. Et là, je le reconnus. La lune la berçait de ses doux rayons et ses cheveux semblaient plus brillants que n'importe quel lingot d'or. Sa présence irradiait, mais son ton me fit redescendre sur terre. Avec la lenteur d'un vieil homme, je soulevais ma carcasse de drogué afin de me tenir droit devant elle. Elle faisait partie de ceux que je ne voulais pas décevoir. Mais je ne suis plus un enfant, non. Elle a su pour mon accident, mais jamais pour mon addiction. Aucun son ne sortait de ma bouche, tant l'angoisse prenait possession de moi, et que diverses idées contraires se livraient bataille dans mon crâne lourd. Je m'approchais doucement d'elle, d'un pas de mort-vivant, pour venir me poster à quelques centimètres. Il fallait que je vérifie si c'était bien elle. Mon regard la transperça. J'inspectais chaque recoin de son visage. Mais son odeur et ses expressions ne mentaient pas. Mes pieds firent quelques pas en arrière. « Tu sais... C'est étrange, on aurait pu avoir l'impression que je me droguais mais... » Je soupirais. Non. Je ne l'embobinerais pas. Pas elle. Je déglutis. « Tu... tu as fait un cauchemar c'est ça ? C'est pour ça que tu es venue ? » Je savais que changer de sujet l'énerverait. Je ne savais que faire. Au final, je me laissais tomber au sol, comme un monument que l'on détruit. « ... C'est la morphine. Tu sais, depuis mon accident... » Je ne pus rien dire de plus. Je me contentais de me redresser. Je recroquevillais mes jambes afin de prendre appui sur mes genoux à l'aide de mes coudes. Je voulais au moins pouvoir la regarder, même si je savais que l'expression de son visage me ferait affreusement mal.