Elle est encore aux abonnées absentes. Elle n'est jamais là. Je ne sais pas ce qu'elle fait de ces journées et encore moins de ces soirées. De toute manière, je ne veux rien savoir. Je suis bien trop jeune pour comprendre, mais assez vieux pour me se sentir délaissé. Sortant du réfrigérateur des bâtonnets de poisson surgelés, je les prépare tranquillement. Je ne sais même pas s'ils sont encore bons, mais le frigo étant vide, je dois me débrouiller. Personne n'est présente pour s'occuper de moi, alors je dois le faire. Depuis que j'ai six ans, je sais cuire des pâtes, chauffer de la viande, mettre en route une machine, faire la vaisselle (...) le genre de truc qu'une mère est censée faire. Sauf que la mienne n'est jamais là. C'est à peine si je la connais. Lorsqu'on s'adresse la parole, c'est pour qu'elle m'engueule de nombreux coups de fil qu'elle reçoit de mon directeur. Pour me traiter de petit con, d'insolent, de merde, d'abruti, d'ahuri, d'andouille, d'âne, de corniaud, cornichon, couillon, crétin, ignorant, imbécile, patate, sot, stupide, taré. Elle a du vocabulaire dans ce domaine, c'est impressionnant. J'ai vécu quatre ans à Londres et depuis je vis à Paris, mais ma vie est toujours aussi merdique. Je n'ai pas connu mon père, un avocat qui a pris ses jambes à son cou pour se barrer loin de ma tarée de mère et de l'avorton que je suis. Dégustant mes bâtonnets de poisson semi-cuits, semi-congelés, j'entends un grincement de porte, des bruits de pas et ma mère débouler dans la cuisine à moitié vêtue, le maquillage dégoulinant sur son visage et une cigarette à la main. « T'fous quoi là ? Dégage de chez moi ! J'ai besoin d'me reposer bordel ... ». Elle s'avance vers moi en titubant et je l'évite de justesse. Celle-ci, ivre, s'étale sur la table de la cuisine. Qui est cette femme ? Je préfère m'éclipser et rejoindre mes «amis ». Plantés en bas de l'immeuble, ils m'attendaient. Ils font trois fois ma taille, mais cela ne les empêche pas de traîner avec moi. « 'lut le mioche ! ». Petite accolade amicale et on quitte les lieux. J'ai à peine onze ans, mais j'ai déjà fumé, bu et dealé pour des terminales. Sans aucune autorité parentale, je file un mauvais coton. Mais à cet âge, comment en avoir conscience ?
« Cette fois-ci tu t'en sors gamin, mais je garde un oeil sur toi ... ». Encore et toujours le même discours. À force, je suis habitué. Mes séjours en maison de redressement se sont multipliés, comme mes gardes à vue. Sauf que j'en ai rien à foutre. Cela ne m'empêchera pas de continuer mes magouilles et de sortir de ce milieu. Dès qu'on y est plongé, impossible de s'en sortir, du moins seul. Il y a peut-être une personne pour laquelle je cesserais de jouer au con. Une fille. Avant de la rencontrer, j'accumulais les amourettes, mais je ne m'attachais jamais. Je m'en moquais. Je profitais simplement de mon charme et en jouais pour satisfaire mes besoins. Mais depuis qu'elle a intégré mon quotidien, je me pose un tas de questions. Elle a le don de m'embrouiller l'esprit. Elle sait ce que je suis et m'accepte pourtant moi et mes problèmes. Elle voit au delà de l'image que je promulgue. Elle est tout simplement unique. Sauf que je ne pense pas, qu'elle pourra supporter encore longtemps mes multiples aller/retour au commissariat. Je sais que la prochaine case, ça sera la case prison. Dans quelques mois je suis majeur et à la prochaine connerie, je n'aurais aucune chance d'y échapper. J'en ai conscience et pourtant je continue. Ce n'est pas facile de changer du jour au lendemain, surtout lorsque rien dans ma vie n'a évolué. Ma mère n'est plus la soûlarde qu'elle était, elle a cessé de se prostituer et travaille dorénavant comme serveuse. Il n'empêche qu'elle ne s'occupe toujours pas de moi. Elle est là juste quand il faut me remettre en place et me crier dessus. Je ne peux pas lui en vouloir, elle n'a pas eu une vie facile et je n'ai pas rendu celle-ci plus facile. Je suis plus un boulet qu'autre chose. Je vais toujours en cours, mes notes sont plutôt bonnes, mais je n'ai aucun avenir. Pessimiste ? Sans aucun doute. Je sais qu'il n'y a pas de place dans la société pour un type comme moi. Sauf que pour le moment, je préfère ne pas y penser, ne pas me prendre la tête et me concentrer sur elle. Toujours aussi magnifique, gracieuse, un sourire enjôleur et un regard envoûtant. Bêtement, je souris lorsque je l'aperçois. Elle n'a pas l'air si contente de me voir, normal, cela fait deux mois que je suis dans cet établissement spécialisé après avoir été chopé en train de revendre de la drogue. Sur paris, je suis devenu une référence pour les gosses de riche. Je m’incruste aux soirées et vends ma marchandise. Sauf que je me fais parfois prendre. Son air contrarié me dit qu'elle va sans doute me faire un sermon ou un truc du genre. Je m'approche donc d'elle, toujours aussi souriant et sûr de moi. « Salut ma belle ! ». Elle évite le baiser que je tente de lui offrir. Je sors alors l'arme des yeux de chiens battus. « Promis, c'était la dernière fois ... ». Je tente de la prendre dans mes bras et elle succombe, comme toujours. Elle n'arrive jamais à me faire la tête bien longtemps. C'est ainsi entre nous, l’alchimie est trop forte. Je l'enlace donc un moment avant de réitérer ma tentative de l'embrasser. Cette fois-ci, elle se laisse faire. Elle est parfaite. Trop, pour la personne que je suis. Je dirais même que je ne la mérite pas.
C'était la connerie de trop. Je suis allé trop loin cette fois-ci et j'en paie les frais. Au-delà de mon petit commerce habituel, j'ai aidé un vieil ami dans un braquage de distributeur automatique. Je n'ai rien fais, je l'ai simplement assisté. Mais cela a suffit pour m'inculper et me valoir deux années de prison. Je pensais que le temps défilerait assez rapidement et je m'aidais en pensant qu'elle m'attendrait à la sortie. Sauf qu'il y a quelques jours, j'ai reçu ce mot de sa part. « Je ne peux pas passer le reste de ma vie avec un homme qui passe le plus clair de son temps entre la prison et les gardes à vue. Je suis vraiment désolé, mais toi et moi, c'est fini. Ocyllie. » . Dévasté, voilà mon actuel état d'esprit. Je l'ai poussé à bout, j'ai franchi les limites et elle n'a pas pu supporter la pression. Je ne lui en veux pas, quoi que sur le coup, j'ai un peu de haine et de colère. Mais je m'en veux à moi-même. C'est de ma faute, j'ai provoqué ceci et je l'ai perdu. J'ai une nouvelle fois joué au con. Ce morceau de papier avec ces quelques mots gravés dessus, me font réalisés les choses que je manque et qui me passe sous le nez. Je vaux mieux que ça, je ne peux pas continuer ainsi et passer ma vie en taule. Je ne suis pas fait pour supporter ce genre de quotidien. Je l'ai fait pendant des années, mais il est peut-être temps de prendre ma vie en main et de cesser de jouer les bandits. Tête entre les mains, un tas de questions se bousculent dans ma tête. Elle est partie, elle ne m'attendra pas et qui sait, peut-être ne la reverrais-je jamais. Je suis rempli de remords, de doute sur la personne que je suis. Je viens de perdre la seule fille que j'ai aimé et j'en suis totalement détruit. Peut-on être aussi bas ? Est-ce donc ça vivre un véritable enfer ? Si c'est le cas, je veux en sortir le plus rapidement possible.
« Compris les mômes ? Ne touchez pas à cette merde ! ». Ma dernière prestation en tant qu'intervenant dans les lycées. C'est ma manière de gérer mes troubles, mes problèmes. Les exposer ainsi à des jeunes, m'a permis de me remettre sur pied et d'échapper à ce monde où je ne faisais que m'enfoncer. Je ne pouvais plus vivre en tant que dealer ou simple petit con. Il fallait que je change et d'une manière ou une autre, elle m'a aidé à m'en sortir. Malgré que je commence à l'oublier, j'ai toujours sur moi son mot et une photo de nous. Elle fera partie intégrante de ma personne et ça, jusqu'à ma mort. Elle a été jusqu'à ce jour, mon unique amour. La fille que je fréquente actuellement n'est qu'une fille comme une autre. Une histoire passagère. Je préfère me concentrer sur mes interventions et mon avenir. En parlant de celui-ci, j'ai repassé mes examens et j'ai effectué une demande de bourse pour intégrer Harvard. J'ai les moyens intellectuels d'être accepté, car j'ai toujours été un élève brillant. Pour réaliser ce rêve un peu dingue, il me manque les moyens financiers. Cela fait des mois que j'ai envoyé cette demande pour être boursier et je suis toujours dans l'attente d'une réponse. Jamais je n'aurais imaginé que je pourrais intégrer une telle école, mais depuis ma sortie de prison, je me prends à réaliser des rêves un peu fous. Alors, pourquoi pas celui-là. Poussant la porte de l'appartement dans lequel je vis avec ma mère, celle-ci est effondrée sur la table de la cuisine. Immédiatement je la rejoins et lui demande sous un air affolé ce qui lui arrive. Elle se retourne vers moi, affiche un large sourire ému et finit par prendre la parole. « Tu vas aller à Harvard mon petit ! »