ELINOR BRIDGERTON ► Sadie Sink

Chaleur âpre d’une nuit étoilée. On choisit le moment de sa venue et c’est dans la noirceur étouffante d’un sommeil d’août que je fus arrivée. Cinquième d’une fratrie déjà emplie de rires, de larmes et de cris. Deuxième fille. Si la première est sage, disciplinée et digne des meilleurs modèles, il en fût autrement pour moi. Enfant rebelle. Effrontée. Agitée toujours. J’ai privé ma pauvre mère de nombre d’heures de sommeil.

Enfant libre, répugnant son rang, préférant les flaques de boue aux belles soieries. Chahuter sous la pluie plutôt que d’apprendre ses leçons. Enfant farceuse à la langue bien trop déliée pour nos mondanités. Rouquine qui aimait passer ses heures libres, perdue dans un recoin de verdure à l’abri des regards, se gorgeant de romans de cape et d’épées plutôt que de romances fleur bleue. Gamine mystérieuse qui communiquait avec ses esprits, parsemant des fées dans les brins d’herbe, des lutins à l’abri des troncs, et des loirs pour destriers. Imaginaire déjà débordant de vie, de fantaisie, de lignes bien plus colorées que nos rangs plus classiques. Je n’ai pas grand-chose en commun avec ma sœur aînée mais je ne la déteste pas. On ne se comprend pas mais je l’admire. Me sentant proche seulement de Chandler qui partage les mêmes démons que moi. Les mêmes envies, les mêmes folies. Diable qui a su faire profil d’Ange lorsque pour moi encore le rôle est trop factice, trop exagéré. J’ai abandonné l’idée d’être une autre.

Je passais une enfance paisible et sans histoires, rythmée de mes bêtises et farces, de mes escapades improvisées et des cris de ma mère qui hurlait pour me chercher. Mais enfant dépourvue de mal, on vint bien vite me pardonner. Les choses changèrent lorsque mon père nous quitta brutalement. Neuf années c’est jeune pour perdre un pilier. Naturellement, le silence s’est imposé, mes frasques explosèrent avec plus de retenue, à l’abri du regard maternelle pour ne pas la charger davantage. Trois autres étaient nés après moi. Elève appliquée, brillante, quoiqu’un peu trop frontale lorsqu’il s’agissait de débats. Les professeurs m’adoraient ou me détestaient. Les choses n’ont pas vraiment changé depuis et se sont mêmes extrapolés à l’ensemble de mes fréquentations. Je ne laisse pas de marbre, mais je n’inspire guère la nuance. Chaud ou froid. Bon ou mauvais. Noir ou blanc. Mais aucune place entre les deux pôles.

Adolescente, je m’éveillais de nouveau. Entraînée par mon aîné, je découvre un monde, des révoltes et toujours plus de questions. L’envie d’apprendre encore et toujours. La spontanéité en épée, la riposte en bouclier. La cause des femmes est épousée. Je veux évoluer libre dans ce monde. Je veux bénéficier des mêmes droits que les hommes. Je veux que toutes nous devenions leurs égales. Je m’implique de plus en plus dans cette cause, n’hésitant pas à crier ma colère, à faire valoir mon avis. Je suis peut-être extrême mais j’ai le courage de me battre pour faire valoir ce que j’estime juste. Passionnée. Ma sensualité se réveille d’ailleurs davantage au contact des femmes. Douces et âpres, combattantes et solides, je m’éprends de mes similaires. La gente masculine m’attire autant qu’elle me débecte. Et il faut être honnête, les hommes sont souvent terriblement décevants.

Notre père était médecin et pour cette raison, chaque membre de la famille se destine à cet accomplissement, cette voie. Il a fréquenté Harvard et chacun de nous souhaite poursuivre son sillage. C’est ce rêve commun, celui qui nous réunit tous, l’idéal à atteindre. Je ne manque pas d’efforts pour y parvenir. Entamant désormais ma deuxième année de Bachelor, je me destine moi aussi à la médecine, mais une partie de moi souhaite peut-être poursuivre une autre carrière. Une qui puisse porter la voix de mes causes, le journalisme peut-être. J’ai encore le temps d’y penser, et je m’efforce d’être digne de lui, tout en profitant de ces années si particulières. Je ne compte pas en perdre une miette. Ma sœur et mes frères sont également au campus, ce qui pour moi est plus que parfait. Tremblez parce que l’épine Bridgerton saura vous montrer de quoi elle est capable.