La vie de Lilly-Ann n’a pas toujours été malheureuse et triste. Elle n’a pas toujours vécu dans une prison. Bien au contraire, avant cela, elle était heureuse. Heureuse de vivre dans cette famille, au sein de ses trois sœurs, et avec ses deux parents. Elle aimait toutes ses sœurs. Ainsi que sa mère et son père. Elle se voyait déjà avec un mari et des enfants à des repas de familles. Elle était heureuse de faire partie d’une grande famille. Malheureusement, tout cela a été détruit après quelques années en compagnie de son compagnon. Elle n’avait rien vu venir, elle qui était si forte, courageuse, têtue. L’amour lui avait joué des tours. L’amour l’avait piégé et cela depuis dix ans maintenant. Sans même qu’elle ne s’en rende compte. Elle n’était pas forcément heureuse, avec les coups, les différents viols subis, mais la manipulation psychologique dont elle était victime faisait qu’elle pensait que tout cela était normal... ou du moins, elle en était la fautive. S’il la battait c’est parce qu’elle faisait quelque chose de mal, elle le méritait. S’il la violait. Ah non, il ne s’agissait pas de viol car elle a toujours plus ou moins consentante. Enfin, c’est ce qu’elle pensait, encore une fois. Tout était normal. Le sexe ne rimait qu’à lui faire un enfant, peu importe la façon dont il s’y prenait. Peu importe si elle avait mal. Leur seul objectif étant d’avoir un enfant. Mais sans succès. Ils encaissaient les fausses couches de Lilly, à répétition. Et à chaque fois ça lui valait des coups. Des coups pour ne pas réussir à lui donner un enfant. Même pas foutue de garder un enfant. Ou alors, inconsciemment, elle était assez forte pour ne pas mettre au monde un enfant. Pas dans cette ambiance familiale. Elle ne pouvait pas se résigner à donner un enfant à cet homme. Bien qu’elle en soit amoureuse. Elle préférait être la seule à recevoir des coups et vivre cette vie. Quelque chose clochait, oui. Ce n’est pas normal d’aider son mari à kidnapper des femmes pour qu’il les torture. Ce n’est pas normal qu’il la fasse regarder. La première fois elle avait tenté de fermer les yeux. Il l’avait battu. La deuxième fois, elle en avait pleuré. Il l’avait frappé. La troisième, elle en avait vomi. Encore des coups. Maintenant, elle appréciait ces moments. Ces moments de répits, où il ne la battait pas elle, mais les autres. Tout cela depuis neuf ans. Elle en a 24 maintenant.
Elle avait quinze ans lorsqu’elle rencontra ce bel homme. Il en avait alors dix-huit. Elle était sous le charme. Il était adorable. Il était affectueux. Il lui offrait plein de cadeaux, il lui faisait miroiter énormément de choses. Elle était tombée raide dingue amoureuse au bout de quelques jours. Il ne l’avait pas pressée pour qu’elle se donne à lui. Il avait été patient. Il avait su la rassurer. Rien n’avait présagé un tel monstre à son égard. D’ailleurs, il n’avait pas montré son vrai visage tout de suite. Il y était allé par paliers. Comme s’il savait exactement comment faire pour qu’elle ne se doute de rien. Il l’avait manipulé dès le premier jour. Il avait fait exprès de la mettre enceinte dès la première fois. De lui avoir conseillé d’avorter pour ensuite le dire à ses parents. Il savait déjà que son père ne le lui pardonnerait pas. Il savait alors qu’il allait devoir la garder chez lui, avec lui. Passer pour le héros, le gentil. Alors que le père, lui, passait pour le méchant. Dès lors, il avait réussi à lui faire quitter son cocon familial. Cela ne faisait dix mois qu’ils étaient ensemble. Toute la famille avait coupé les ponts, sur l’ordre du père. Pour la plus grande joie de Clint. Excepté pour la grande sœur de Lilly-Ann, Grace-Ann. Elle continuait à lui envoyer des messages, à prendre de ses nouvelles. Il avait laissé faire. Quelques temps. Puis, il était intervenu : Lilly-Ann pensait ne plus recevoir de messages de sa sœur. Elle pensait qu’elle l’avait abandonné, comme tout le reste de sa famille. Il ne lui restait plus son cher et tendre. Du côté de sa sœur, elle ne se doutait de rien. Elle pensait continuer à interagir avec sa sœur, alors qu’il s’agissait de son “beau-frère”.
Elle termina le lycée avec grand succès. Elle n’était pas bête. Juste un peu naïve et très amoureuse, surtout. Il lui fit croire qu’elle avait réussi grâce à lui. Grâce à son aide. Elle y croyait. Après tout, pendant trois ans, il l'avait logé, nourrit, l’avait fait évoluer. Sans lui, où est-ce qu’elle en serait ? Il était encore là malgré cette histoire de grossesse interrompue. Son amour pour lui n’en avait que grandit. Après le lycée, elle avait décidé d’aller à l’université : étudier l’histoire. Dès le premier jour, il l’avait prévenue : elle n’y arriverait pas. Il ne pouvait pas l’aider, n’y connaissant rien. Et bien qu’elle ait tout fait pour y arriver, à la fin de l’année, les notes n’étaient pas là. Elle ne se doutait pas que Clint était passé par là, avait soudoyé les professeurs... La manipulation ne faisait que continuer. Elle empirait même. Elle commença donc à rester à la maison. Elle qui avait eu des rêves, de grosses ambitions, elle se retrouvait à devenir femme au foyer. Mais elle lui devait bien ça. Après tout ce qu’il avait fait pour elle durant sa scolarité. C’était normal. Ils se marièrent pour la plus grande joie de Lilly-Ann. Prochaine étape : les bébés.
“Tu n’as pas encore fait à manger ?” Lui cria-t-il dessus. Une gifle partit. La toute première d’une longue série. Il se fit tout de suite pardonner. Il lui fit l’amour. Le lendemain soir il rentra avec des bijoux et des fleurs. Prétextant qu’il avait été fatigué, il avait réussi à se faire pardonner. Jusqu’à la deuxième. Même façon de faire pour se faire pardonner. Quelques coups plus tard, il arrêta d’excuser et lui fit croire que c’était de sa faute. Sa faute s’il était en colère. Après tout, il est normal d’être en colère quand on rentre tard le soir et que le dîner n’est pas encore prêt. Il peut se mettre en colère après la première fausse couche qu’elle fait. Lui qui était si heureux de devenir papa pour la première fois ; il lui avait brisé son rêve. Ça lui avait valu son premier bras cassé. Plus rien n’était de sa faute à lui. Tout revenait sur Lilly-Ann. Et elle s’en voulait. Elle s’en voulait de tout faire de travers, de ne plus être à la hauteur... Après tout ce qu’il a fait pour elle.
Et puis, elle n’était plus autorisée à sortir seule. Ou alors seulement à l’épicerie d’à côté. Elle se savait surveiller. Comment ? Il avait commencé à mettre des caméras chez eux. Il savait dans les moindres détails ce qu’elle faisait de ses journées et il le lui faisait bien comprendre. Tout cela en l’espace de trois ans. Seulement. A ses vingt et un an, il la fit quitter l’Australie. Elle pouvait dire adieu de revoir sa famille. Elle se savait perdue. Mais peut-être qu’une fois à Boston, tout changerait. Tout redeviendrait comme avant. Elle y croyait. Elle y croyait encore à son histoire d’amour avec Clint. Mais rien ne se passa comme elle l’avait voulu. S’en était même pire. Il l’enfermait, pour être sûr qu’elle ne s’échappe pas. Mais où pouvait-elle aller ? Elle ne connaissait personne ici. Elle ne connaissait pas la ville. Elle était encore plus désorientée. Dès qu’ils prenaient la voiture, il lui bandait les yeux, pour qu’elle-même ne sache pas où ils habitaient.
Les coups continuaient. Les allers-retours dans les hôpitaux aussi. S’en était devenu son quotidien. Elle ne connaissait plus que ça. C’était devenu sa vie, sa normalité. Elle n’avait plus que Clint, dont elle était encore amoureuse. Amoureuse de cet homme qui pour elle, était encore le même qu’il y a six ans. Elle avait tenté une fois de se faire aider. A l’hôpital. Elle s’était retrouvée quelques secondes, seule. Près d’un homme, elle avait réussi à lui demander de l’aide. Mais Clint avait tout de suite débarqué et comprit. Ça lui a valu un séjour à l’hôpital. Mais pas dans le même.
En revanche, tout changea un jour. Ce jour-là, elle ne l’oubliera jamais. Alors que personne n’était encore venu frapper à leur porte. Ce soir-là, une personne débarqua chez eux. Et pas n’importe qui. Il s’agissait de Grace-Ann. Sa demi-sœur. Dès lors qu’elle l’eut vu, elle lui avait sauté au cou. Elle qui pensait que sa grande sœur l’avait oubliée. Sa joie ne dura que quelques secondes, car elle savait que cette visite n’allait pas plaire à Clint. Evidemment, il ne les quitta pas d’une seule seconde. Elle resta diner chez eux. Mais elles n’eurent pas réellement l’occasion de parler. Clint parlait pour elle. Mais de ce que Grace pouvait dire, Lilly comprit qu’elle ne l’avait jamais abandonné. Qu’elle avait continué à lui écrire. Le soir-même, elle se posa pleins de questions. Des questions auxquelles elle pensait y avoir réponses, mais elle n’y croyait pas. Elle ne pouvait se résilier à penser que tout était manigances de son amour. L'amour de sa vie. Après tout s’il avait fait cela, il n’aurait pas laissé Grace dormir chez eux cette nuit-là. Non. Elle perdait la tête. Ça devait être un malentendu. Le lendemain matin, il l’envoya chercher tôt le petit déjeuner. A son retour, sa sœur n’était plus là. Et des traces de sang étaient présentes chez eux. “Désolé. Mais voilà ce qui arrivera à chaque personne qui rentrera ici... Ou qui posera trop de questions.” Ce fut la goutte d’eau. Elle ne pouvait plus. Elle pensait avoir retrouver sa sœur et il avait tout stoppé. Tous ses questionnements de la nuit dernière... elle en avait les réponses. Elle ne pouvait plus accepter ça. Elle ne pouvait plus le laisser tuer des femmes. Grace était la dernière. Elle tenta alors de sauver la victime suivante. Mais alors qu’elle pensait avoir de la chance, en pleine nuit dans une forêt, elle entendit un coup de feu. Elle se retourna, la jeune fille, était par terre, morte, une balle dans la tête. Elle s’arrêta net et se retrouva très vite avec un Clint, face à elle, pointant son pistolet vers elle. Elle se voyait déjà morte. Mais il ne lui réserva pas cette mort-là. Il se mit à la frapper, au visage, au corps, au ventre, tout en l’insultant. En lui disant à quel point il la détestait. Il la détestait d’avoir tué leur premier enfant et à quel point elle était faible et nulle de ne pas réussir à lui en donner un autre. Alors qu’elle était au sol, dans la seule capacité de l’écouter, elle ferma les yeux. Prête à rejoindre sa sœur. Elle entendit alors un coup de feu. Et s’évanouit.
Elle ne se réveilla que quelques jours plus tard. Dans un hôpital. Elle sut tout de suite où elle était. Elle les connaissait les hôpitaux. “Où est mon mari ?” Demanda-t-elle à la première personne qu’elle vit dans sa chambre. Ils étaient plusieurs. Plusieurs médecins... mais aussi, des policiers. Elle ne comprit pas tout de suite. Mais les explications allaient venir. On lui raconta alors que Clint n’était pas Clint. Qu’elle n’était pas mariée. Qu’ils les suivaient depuis qu’ils avaient atterrit sur le sol américain. La seule chose qu’ils attendaient était de voir si elle était son complice ou une énième victime. Tout son monde s’écroula. Elle était mariée. Ah non. Elle avait vécu neuf ans avec un inconnu. Elle avait aimé un homme qu’elle ne connaissait même pas. Elle était encore amoureuse de Clint. Elle espérait pouvoir le revoir, à sa sortie de prison. Elle ne savait pas encore comment elle ferait en sortant de l’hôpital, mais elle l’attendrait. Ça c’est sûr. Les policiers étaient en train de lui mentir. Il l’avait prévenue : il lui avait dit que des inconnus allaient tenter de la mettre contre lui. Puis, qui plus est, ne veulent pas la faire sortir de l’hôpital. Elle se retrouve coincée, prisonnière, dans ce service de psychiatrie depuis maintenant cinq mois. Ces personnes elle ne les connait pas. Ce monde, elle ne le connait pas. Sans Clint, Lilly-Ann est perdue.