Un jour, une histoire
La banlieue de Londres, les quartiers qui craignent. Vous savez, ce genre de quartier qu’on ne s’imagine pas lorsqu’on est un touriste et qu’on n’a que Big Ben et Buckingham Palace en tête. Ces quartiers où les gens sont les uns sur les autres, payant un prix dérisoire un appartement limite insalubre simplement parce qu’ils n’ont pas le choix, parce que c’est comme ça. Les gosses dans les rues tard le soir, bien trop tard. Mais aussi cet espèce de souffle de vie derrière lequel ils courent tous, avec l’air de pas y toucher. Ce besoin vital à la fois de s’enfoncer, et de s’en sortir.
C’est dans ce genre de quartier qu’à grandit Wade. Sa mère bossait à la supérette du coin, tandis que son ivrogne de père balançait le peu d’économies qu’ils avaient dans ses bouteilles d’alcool. Le quotidien du patriarche ce résumait au canapé, à moitié avachi dedans, à beugler ses invectives envers sa femme et ses enfants, rabaissant quiconque le dérangeait et semant la terreur au sein de sa propre famille. Dès son plus jeune âge, Wade apprit à le craindre, mais aussi à le haïr. Et ces ressentiments de faisaient que grandir avec lui, écoeuré par ce personnage puant et égoïste qui, même des années plus tard, parvient toujours à le hanter.
Joan, sa sœur de quatre ans son aînée, laissa rapidement tomber ses études pour aller travailler, et ramener de quoi subvenir aux besoins du foyer avec sa mère. A quinze ans, Wade était déjà une petite frappe de quartier, enchaînant les petits délits avec sa bande et dealant pour se faire un peu de tunes. Il aurait facilement pu plonger s’il n’avait pas eu des capacités scolaires exceptionnelles, et ce depuis toujours. Au désespoir de ses professeurs, il jonglait entre les notes toujours excellentes, et les heures de colles où il semblait avoir élu domicile. Au lycée, il avait sa petite réputation de bad boy, autant pour son comportement qu’avec les filles qu’il collectionnait sans avoir à lever le petit doigt.
Et puis il y avait son rayon de soleil, celle qui lui faisait voir la vie d’une autre couleur : Ivy. Petite française immigrée dans ce pays dont elle ne connaissait rien, fille d’une amie de sa mère, à la beauté frappante et à la voix exceptionnelle. Ils grandirent ensemble, partageant leur passion commune pour la musique, et ce besoin de s’évader loin de ce quartier sinistre. Wade en tomba tout de suite amoureux, même si il ne se l’avoua jamais. Et ne l’accepta jamais non plus. Ivy était si fragile, si pure à ses yeux, un véritable diamant brut. Il ne s’autorisait pas à la toucher, de peur de ternir son éclat avec ses propres démons. Ils étaient liés comme des frères et sœur. Bien plus proches en réalité que le permet une relation fraternelle.
Ce fut l’année de ses seize ans que tout changea. Influencé par sa bande toujours plus avide de sensations, il participa à un cambriolage dans l’une des maisons de ces bourges qu’ils méprisaient tant. Sauf que ce soir là, le délit tourna à la catastrophe quand ils se rendirent compte que le propriétaire était présent. Il se battit avec Wade, le menaçant d’un couteau qui, dans la lutte, se retourna contre lui. Wade, terrorisé par ce qu’il venait de faire, se laissa entraîner dans un état second par les autres qui le pressèrent de s’enfuir. Ce n’est que le lendemain qu’il appris aux infos que l’homme était mort. Dégoûté par sa propre personne et complètement perdu, il s’enfonça encore un peu plus dans ces démons : la clope, la drogue, l’alcool, trio gagnant qui rythmait sa vie alors qu’il n’était déjà plus tout à fait un enfant. Un gamin paumé, voilà ce qu’il était.
Leucémie. Quel mot de merde. Comment peut-il y avoir autant d’émotions liées à ce mot si petit, presque joli ? En tout cas, ce fut la sentence qui tomba l’année de ses 17 ans, quand sa mère revint d’une batterie d’examens qui lui coûtèrent bien trop chers. Leucémie. Une minute d’annonce. Six mois à vivre. Pas assez d’argent pour payer le traitement. Le jour de son enterrement, Ivy chanta sa chanson préférée de sa voix si claire que le ciel lui avait donnée, que même les larmes ne purent en altérer l’éclat.
Le décès de sa mère laissa un profond vide en Wade. Mais bizarrement, cela eu presque l’effet d’un électrochoc. A son grand désarroi sa soeur endossa le rôle de mère qu'ils n'avaient plus, s'occupant de son père alcoolique de plus en plus misérable. Wade fut d'abord dégoûté de son comportement, jusqu'à ce qu'il comprenne qu'elle faisait ça pour lui, et uniquement pour lui. Leur ayant promis de continuer les études à elle et sa mère, il arrêta ses conneries et se lança à corps perdu dans la courses aux universités de prestige. Il termina le lycée avec mention, et commença à prendre des cours du soir en informatique tout en enchaînant les petits boulots pour se les payer. Devant l’enthousiasme de ses professeurs, il osa candidater jusqu’aux USA. Lorsqu’il reçut sa lettre d’admission à Harvard, il eu presque l’impression de vivre la vie d’un autre.
C’est juste avant son entrée à l’université qu’il devint riche du jour au lendemain. Millionnaire. Rien que ça. Un courrier des plus protocolaires lui apprit le décès et du même coup l’existence de son père biologique, PDG d’une entreprise influente et à la tête d’une fortune colossale, qui venait de lui léguer sa part d’héritage. Sa part oui, car il avait également un demi-frère et une demi sœur. Des jumeaux. Trop d’informations d’un coup, trop de colère, trop de rancoeur, trop d’argent arrivé trop tard. Trop tard pour sauver sa mère. C’est peut-être ce qui expliqua sa première pensée : celle de tout brûler, tout péter. Envoyer chier de pseudo père de merde qui tombait du ciel et crevait le même jour, envoyer chier son père alcolo qui n’était en réalité rien pour lui… même sa mère lui avait menti. Heureusement Ivy fut présente pour calmer ses pensées, l’aider à s’organiser. Au moins, il n’avait plus à se poser la questions du financement de ses études ni celles d’Ivy. Il partit sur un coup de tête faire un road trip, seul, et fit le tour du monde en quelques jours. Puis, il débarqua à Harvard.
Mather, Matherus, Matheras. Devise de ce qui fut littéralement sa maison, sa nouvelle famille : la Mather House. Beaucoup de choses durant ses années à l’université auraient pu se résumer à ça. Leur revendication de liberté, d’indépendance, de tolérance, l’idée qu’il n’y avait pas un bon chemin à suivre mais de multiples possibilités, leur goût et leur don pour faire la fête, et faire d’une banale soirée un évènement inoubliable… sans parler de leur attrait particulier pour l’alcool et les stupéfiants en tout genre. Oui, la Mather était littéralement faite pour lui. Et elle le lui rendit bien, puisqu’il fut à sa tête en tant que vice-président lors de sa dernière année d’étude.
Ses années universitaires furent ainsi rythmées par les soirées et les évènement exceptionnels qui se déroulaient à Harvard, le genre de choses qu’on ne vit qu’une fois, qu’il n’est possible qu’ici, dans ce cadre presque irréel pour le gamin sortit des banlieues qu’il était. Les guerres entre les confréries, et particulièrement la Eliot House, chez qui il eu rapidement sa petite réputation et où il se fit pas mal d’ennemis. Dont les Wildingham, sa fameuse « famille de sang », qu’il n’accepta jamais comme la sienne et réciproquement. Cole et Victoria, prêt à tout pour récupérer leur part d’héritage qu’ils considéraient comme volée, supportaient mal l’idée qu’elle soit dans les main d’un demi-frère junkie tombé du ciel. Junkie, il le devint assez rapidement. Hanté par son passé qui le faisait sans cesse flirter avec un personnalité borderline, et aidé par ses fréquentations, il usa et abusa des drogues dont il devint véritablement addict.
Les cours ? Presque une formalité pour celui qui avait toujours eu énormément de facilités, ce qui en faisait rager plus d’un. Une immense ressource de connaissance et d’apprentissage aussi, surtout pour sa matière mineure : la musique. Wade cultiva toujours au fond de lui ce rêve de vivre de sa musique, même si la raison lui avait dicté de se spécialiser dans l’informatique afin de s’assurer un avenir, le souvenir de ses années de pauvretés bien trop ancrée en lui pour faire autrement. Quant au succès auprès de la gente féminine, il ne fit que se confirmer, lui valant une réputation de séducteur et de coureur de jupons qu’il pouvait difficilement nier... mais qui ne les a jamais repoussées, au contraire même. Ayant beaucoup de mal à se laisser aller aux sentiments, Wade pris l’habitude de faire foirer toutes ses relations qui marchaient un peu trop bien, consciemment ou non. L’infidélité ? Une tare qu’il se traînait en permanence, bien trop tenté par les sourires enjôleurs et les courbes appétissantes qu’il avait sans cesse sous le nez.
Et puis il la rencontra. Cette fille, la fille. Celle où dès le départ, même si il ne se l’était pas avoué, il savait que c’était elle, et pas une autre. Briony. Leur relation fut tumultueuse, destructrice parfois, mais surtout passionnelle. Ensemble, il passèrent pas tous les statuts : ambiguïté folle avec laquelle ils flirtaient à l’excès, se ratant sans cesse entre leurs couples respectifs. Puis enfin ils se trouvèrent, pour se séparer ensuite. Plusieurs fois. Il eut beau se voiler la face au final, c’est toujours pour Briony que son coeur battait d’un amour inconditionnel. En 2016, alors que Briony avait été diagnostiquée stérile, elle donna naissance à leur fille, Juliet. La prunelle de ses yeux. Est-ce qu’il était véritablement prêt à de devenir père, avec tout ce que ça impliquait ? Peut-être pas. L’évènement bouleversa sa vie dans tous les sens du terme, perdu au milieu de ses nouvelles responsabilités qui lui serraient la gorge, et l’amour sans faille qu’il portait à ce petit être qui était devenu sa priorité. Sans parler du décès de son alcoolique de père qui survint juste avant, faisant de lui un orphelin. Il finit pourtant par sortir la tête de l’eau après une année entière de doutes, perdant et retrouvant finalement Briony.
Le besoin de se prouver des choses ? La peur de la perdre ? Qu’importe au fond, tout d’un coup, tout ça avait tellement de sens pour lui qui avait toujours refusé l’idée de se marier. En mars 2018, dans leur lit après avoir fait l’amour, et sans aucune préparation un peu romantique ou digne de ce nom, Wade demanda Briony en mariage. Maladroit, bancal, bref, Wade Forbes dans toute sa splendeur. Jamais il n’avait été aussi sûr de lui. Elle dit oui.
New York arriva avec la promesse d’un nouvel avenir. Contacté par un producteur qui avait reçu l’une de ses maquettes, Wade vit son rêve de musicien se réaliser : il allait devenir chanteur, pour de bon. Mais pour cela il fallait quitter Boston, direction Manhattan.
Cette nouvelle vie fit énormément de bien à l’ancien étudiant, mais surtout à son couple avec Briony. Elle fut présent à chaque étape de sa nouvelle vie professionnelle, le soutenant et l’encourageant sans cesse dans ces moments de doutes… qui furent nombreux vu le peu de confiance qu’il avait en lui. Un an plus tard sa notoriété monta d’un cran, et l’album commença a percer. Vraiment. Quand il entra dans le top 50 des morceaux écoutés sur Spotify, il eut du mal à y croire tellement c’était inespéré. S’en suivit une année de tournée, principalement aux USA où il commençait à avoir une petite communauté, mais aussi en Angleterre sur ses terres d’origines.
Bien sûr le succès apporta son lot de bonheur, mais aussi de tensions. Cette nouvelle vie, les groupies, les médias, l’engouement sur les réseaux, ils ne s’y étaient pas attendus. Mais ils firent en sorte de faire avec.
Aujourd’hui, même si tout semble désormais lui sourire dans la vie, Wade marche encore avec ses démons, et toutes ces traces qu’a laissé son passé. Briony a beau le pousser à suivre une thérapie, il se refuse encore à l’idée. Plus soudés que jamais, les amoureux tentent de trouver leur équilibre entre le métier prenant de Wade, leur fille Juliet… et le désir de ce deuxième enfant qui n’arrive pas. Ça la bouffe, ça la crève, il le sait. Et pourtant, il ne parvient pas à trouver les mots pour lui faire sortir la tête de l’eau, de ce sujet qui devient presque tabou.
Devant l’opportunité professionnelle de Briony, et le besoin de souffler et de se retrouver après un an de tournée, ils sont de retour à Boston. Pour le meilleur et pour le pire.