BROOKLYN, juin 2000.
Amélie Brown caresse tendrement les cheveux de sa fille. L’enfant est blonde aux yeux gris-verts, elle est fine, gracieuse et tellement petite… tout le contraire de ses parents. Amélie ne se trouve aucune ressemblance avec la petite fille, mais peu lui importe. Cette petite merveille est à elle. Elle a enfin quelque chose de concret à quoi se raccrocher : la vie de son enfant, l’amour qu’elle doit lui porter. Le départ du père a été une véritable épreuve, mais toutes les deux s’en sont sorties, finalement. « Maman… » La petite blonde relève la tête. Elle a un air grave sur son visage, malgré le fait qu’elle soit âgée de seulement six ans. « … t’es la meilleure des mamans et je t’aime. » Amélie fait un bisou sur le front de sa fille. « Et moi je t’aime encore plus, Ilena. »
ECOLE PRIMAIRE DE BROOKLYN, février 2003.
Ilena joue dans la cour de récréation avec ses copines, quand soudain l’une d’elles lui pose une question qui la met un peu mal à l’aise. « Pourquoi c’est toujours ta maman qui vient te chercher à l’école et jamais ton papa? » Ilena se balance d’un pieds sur l’autre ; elle ne sait pas très bien quoi répondre. « Bah… moi j’ai pas de papa. » répond-elle. Elle ne se sent pas normale. Sa maman ne lui a jamais menti sur l’absence de son papa. Il les avait abandonnées, c’était comme ça, il fallait faire avec et continuer de vivre. N’empêche que parfois, Ilena aurait bien aimé avoir un père auprès d’elle… comme ses copines. « Mais c’est pas possible de pas avoir de papa! » Ilena hausse les épaules. « Je sais pas. Moi en tous cas, mon papa il est pas là. Bon, on continue de jouer? » Elle ne s’étend pas trop sur le sujet. Au fond, elle a un peu honte. C’était de sa faute si son père était parti, il ne voulait pas d’enfants. Il ne voulait pas d’elle. Et en plus, l’enfant voyait bien que cela rendait sa mère triste, et que même si elle l’aimait, parfois elle se sentait seule. Ilena continua de jouer à la corde à sauter en essayant d’oublier cette discussion - et cette absence si pesante.
BROOKLYN, décembre 2009.
Ilena dévale les escaliers et fonce dans la salle de bain pour sauter dans la douche. Elle doit partir au lycée dans vingt minutes et est bien loin d’être prête - son réveil n’a pas sonné. « Maaaaaam! J’suis en retard, t’aurais pu me réveiller quand même! crie l’adolescente. « Ah, ça va être de ma faute maintenant! » répond Amélie faussement indignée. Ilena sort de la douche aussi rapidement qu’elle y est entrée, s’enroule dans une serviette et court jusqu’à sa chambre pour se préparer. « Dis, tu peux m’emmener? » glisse-t-elle a sa mère au passage en lui faisant les yeux doux. « Non, tu me fais le coup toutes les semaines, aujourd’hui tu te débrouilles! » répond Amélie en riant. « S’il te plaît, s’il te plaît, s’il te plaaaaaaît! Allez ma petite mamounette… » supplie Ilena. Elle s’habille en quatrième vitesse, se maquille, attrape une pomme dans le panier de fruits et prend son sac, pour venir se planté devant sa mère. « Bon d’accord… mais c’est la dernière fois que tu me fais le coup Ilena. » L’adolescente saute sur sa mère pour lui faire un câlin. Yessss! « Oui oui, promis! » Ilena et Amélie sont on ne peut plus complices, et si dans son enfance l’absence d’un père était douloureuse, aujourd’hui sa mère suffit à la jeune fille. Elles ont leur petite routine et c’est très bien comme ça.
LYCEE, janvier 2011.
La belle adolescente était en cours de maths - bien que plus intéressé par le beau garçon de classe, Ethan, que par le cours, à vrai dire - lorsqu’une surveillante frappa à la porte. Elle avait un air désolé sur le visage, qui ne présageait rien de bon. « Ilena Brown? » Ilena leva la main pour montrer où elle se trouvait. « Il faut que tu viennes avec moi. » La jeune fille arqua un sourcil en se demandant ce qu’elle avait bien pu faire. Elle n’était pas le genre de fille qui fait des conneries, c’était plutôt tout l’inverse en fait. Elle espérait que ce n’était pas grave, et était bien loin d’imaginer ce qu’on allait lui dire. La journée avait pourtant tellement bien commencée… Elle se leva. « Il faut que je prenne mon sac avec moi? » demanda-t-elle. « Oui. » Mince alors, pensa Ilena, j’ai dû faire un truc grave… Elle suivit la surveillante jusqu’au bureau où elle eût la surprise de découvrir sa grand-mère. Elle écarquilla les yeux. Mais qu’est-ce qu’elle faisait là? Elle remarqua les yeux rouges de son aïeule et instantanément une boule se forma dans son ventre. L‘inquiétude la submergea. « Mamie? … qu’est-ce qui se passe? » Sa grand-mère s’approcha, mit ses mains de par et d’autre du visage d’Ilena de manière à la calmer un peu. « Amélie a fait un malaise ce matin. Elle était très fatiguée en ce moment et… à l’hôpital on lui a… elle est malade, Ilena. » Malade… pas une petite grippe, apparemment. Quelque chose de… grave. Choquée, l’adolescente ne fut pas capable d’émettre un son. Elle regarda sa grand-mère sans vraiment la voir. Sa mère était malade. Sa maman. Ce n’était pas possible. Elle se dirigea vers la sortie du lycée. « On va… à l’hôpital? » fit-elle d’une petite voix. Sa grand-mère signa un papier confirmant le départ d’Ilena pour la fin de la journée et suivit sa petite fille. Dans la voiture, aucune d’elle ne dit un mot.
HOPITAL, janvier 2011.
L’hôpital terrifiait Ilena. La vie et la mort s’y croisaient sans cesse, on y voyait des miracles comme des vies brisées. Elle n’aurait jamais cru que sa mère pourrait un jour tomber malade, et en même temps, ça paraît toujours impossible… jusqu’au jour où ça arrive, n’est-ce pas? Aujourd’hui, elle était venue pour donner le résultat des tests. Elle voulait donner un rein à sa mère pour lui permettre de se battre plus longtemps contre la maladie qui la rongeait et devait savoir si elles étaient compatibles. Normalement oui, elles étaient mères et filles, mais les médecins se devaient de vérifier. Ilena appréhendait un peu. Finalement, le médecin qui s’occupait d’Amélie vint chercher l’adolescente. Il la fit entrer dans son bureau et l’invita d’un geste de la main à s’asseoir. « Alors? » Elle n’avait pas envie d’attendre, elle avait seulement envie qu’ils opèrent au plus vite. Chaque minute comptait. « Mademoiselle Brown, j’ai quelque chose d’important à vous dire. » Ilena s’affaissa dans son fauteuil, et serra les dents pour retenir ses larmes. Elle avait compris ; elle ne pourrait pas sauver sa mère. Mais la vie allait lui faire une autre surprise, elle allait apprendre quelque chose qu’elle n’aurait jamais osé ne serait-ce qu’imaginer. « Je sais que vous voulez sauver votre mère, mais vous n’êtes pas compatibles. Et… vous n’êtes pas compatibles parce que vous n’êtes pas la fille biologique d’Amélie Brown… » Ilena émit un rire faible. Mais oui, c’est ça. Le médecin posait sur elle un regard sérieux. Elle secoua la tête, incapable de croire à ce qu’il disait. Pourtant s’il lui confiait, c’était forcément la vérité. Forcément. Alors elle avait été adoptée? Mais pourquoi sa mère ne lui avait rien dit? C’était quoi ce délire?! Elle craqua, éclata en sanglots.
HARVARD, septembre 2012.
Ilena rangea le contenu de sa dernière valise dans les placards et observa sa chambre. C’était correct. Les photos lui rappelait un peu chez elle. Elle sourit. Après lui avoir annoncé qu’elle n’était pas la fille d’Amélie, le médecin avait expliqué à Ilena qu’il avait fait des recherches et découvert ce qui était arrivé. Elle avait été échangée à la naissance. La jeune fille se sentait flouée par la vie, tout lui tombait dessus d’un coup et, psychologiquement, c’était très dur à supporter. Elle s’appelait en réalité Isobel Ariana Silver et était la fille de deux riches habitants de l’Upper East Side. La « vraie » Ilena Brown se trouvait donc dans cette famille. Il fallait qu’elle la retrouve. C’est ainsi qu’Ilena a aussi découvert l’existence d’une sœur, de deux ans son aînée : Sateen Silver. Elle qui, pendant dix-sept ans, avait été fille unique venait de découvrir qu’elle avait en réalité une sœur! Elle devait la retrouver, lui expliquer la vérité. Ca lui permettrait de retrouver celle avec qui on l’avait échangée, pour sauver Amélie. Parce qu’Ilena ne pensait qu’à cela. Le fait qu’elle ne soit pas sa mère biologique ne changeait rien à l’amour que lui portait la jeune fille. Elle avait intégrée Harvard grâce à une bourse, ayant toujours été une élève impressionnante et était plus déterminée que jamais à rétablir la vérité. Et à sauver la personne qui lui était la plus chère.