Markus Drake ► André Hamann

Le genre de question pour laquelle il prend une éternité à répondre. La question est complexe. Lui même ne le sait pas vraiment, à vrai dire. Il se la pose tous les jours, devant le miroir, essayant de comprendre comment il a pu en arriver là. Quels ont été les choix qui l'ont conduit jusqu'ici, dans cet appartement, dans cette ville, gérant de son garage... Quelle aurait pu être sa vie s'il avait simplement décidé de suivre une autre voie. Qui est-il ? Lui même n'en sait rien. C'est le genre de chose un peu trop dure à comprendre en une seule phrase. Un peu trop longue à expliquer pour qu'il s'en donne la peine. Le genre de réponse que personne n'aura jamais, du moins pas de sa part. Mais si on creuse, si on s'y intéresse sincèrement, alors peut être qu'on peut obtenir quelques indices... S'il l'ont remonte assez loin, tout du moins, peut être que l'on peut comprendre qui est Drake, qui il est vraiment. Discerner le vrai du faux dans les rumeurs qui fusent tout autour de lui. Juste en remontant...Assez loin.

Remonter assez loin, reprendre le tout depuis le début. Quand il n'était qu'un enfant, qu'un gamin sans défense. Qu'une boule de nerf sur pattes à San Francisco, sa ville natale. Un petit garçon, deux parents, une petite famille des plus banales. Ils paraissaient tellement parfaits, tous les trois. La famille américaine modèle, un petit garçon aux origines allemandes de par sa mère, américaines de par son père. Un coup de foudre digne d'une comédie romantique, une union rapide, une naissance toute aussi inattendue. 3 petites sœurs qui viennent se joindre à la famille. Markus devient grand frère à l'âge de 5 ans. Rien de bien passionnant, finalement. Maman est toujours apprêtée, toujours douce. Elle donne des petits noms d'animaux à ses enfants, paraît gérer sa tribu. 4 enfants, un petit garçon qui - bien qu'un peu turbulant parfois en classe - semble être la douceur incarnée. Une première fille intelligente, en avance sur les autres enfants. Deux cadettes légèrement introverties, mais avec une complicité sans pareille. Aucune ombre au tableau. Aucune. Si ce n'est le patriarche. Plus discret, il ne dit pas un mot. Salut ses voisins d'un geste de la main. Il sort pour travailler, il rentre le soir venu. Mais aucun mot ne sortent de sa bouche, aucune expression ne semblent s'imprégner sur son visage. Un véritable mystère, cet homme. Les voisins ne s'inquiètent pas, mais quand les portes sont closes, on jurerait entendre des cris, parfois. Aucune famille n'est parfaite, quand bien même elle s'en donne l'air après tout. Les disputes, les cris de quatre enfants dans une petite maison, est-ce réellement étonnant dans une famille nombreuse ? Personne ne tire l'alarme, personne ne s'inquiète. Il est maladroit, Markus. Il tombe dans les escaliers, il se cogne aux meubles. Les bleus fusent sur son corps, et lui persiste à dire qu'il est simplement maladroit, casse cou. "Une pile électrique" assure sa mère, le sourire un peu trop forcé pour être sincère. "Turbulant", "en colère", "violent". Les mots s'inscrivent sur les bulletin du petit garçon qui, au fil des années, s'enflamme sans que l'on ne comprenne pourquoi. Il se renferme, loup solitaire, et se jette sur le premier qui l'attaquera. Verbalement ou non. Qu'est-ce qui a changé .... ?

Les cigarettes se consument, tandis ce que les paupières de Markus se referment à chaque bouffée. Il profite chaque fois de la fumée et du poison qui s'empare de ses poumons, réduisant son espérance de vie considérablement. Tant mieux. Un gamin de seize piges mal dans sa peau, qui enchaîne les conneries dans l'espoir d'alerter quelqu'un silencieusement. Que quelqu'un s'inquiète, bordel, qu'on le sorte de cette vie bien différente de tout ce qu'il avait pu imaginer. Qu'on le sorte de cette torpeur, de ce cauchemar dont il n'arrive pas a se réveiller. La porte d'entrée semble s'ouvrir. Même d'en haut, même depuis sa chambre, il la reconnaîtrait entre mille. Il tend l'oreille, éteint la musique, laisse la fumée sortir par la fenêtre contre laquelle il est accoudée. Il essaye de savoir s'il devra descendre. S'il devra une nouvelle fois expliquer de nouvelles cicatrices, de nouveaux hématomes. Les excuses finiront par lui manquer, un jour. Un beau menteur, ce Drake, depuis le temps qu'il s'entraîne. Personne ne ment aussi bien que lui, son regard est aussi convainquant ne le sont ses mots. Une seconde, puis dis, puis vingt. Le silence est total, et Markus semble soudainement réapprendre à respirer. Le calme ne dure pas, alors que la dispute éclate finalement. La voix de sa mère percerait les tympans de la maison si elle en avait. Markus soupire, écrasant son mégot avant de le jeter à travers l'encadrement. Il referme la fenêtre, mais la porte de sa chambre s'ouvre déjà avant même qu'il ne la rejoigne. "Il se disputent encore ... ?" Callie n'a pas tardé à rejoindre son grand frère. Elle est grande, maintenant. Elle n'est pas bête, surtout, elle a bien comprit - il y'a longtemps - que sa famille était dysfonctionnelle. "Reste ici, et ferme la porte à clé. Je m'en occupe." Les deux cadettes ne tardent pas non plus à sortir le nez de leurs chambres. Portant la toute dernière âgée de 4 ans, il renferme ses trois sœurs dans sa chambre. Il est tard, papa vient de rentrer, maman crie déjà. La nuit ne sera pas de tout repos, et au moins, entre ces murs, Markus sait qu'elles seront en sécurité. Alors il descend les escaliers, très vite figés par le bruit d'un verre qui se brise. Quelqu'un vient de jeter quelque chose contre le mur. Maman, probablement, du moins il l'espère. En atteignant la cuisine, c'est le choc. Il arrive pile à temps pour apercevoir son père claquer violemment la joue de sa génitrice. Il se fige, un instant, serrant les poings. Il bouillonne de colère, et se jette bien facilement sur le patriarche. Quand bien même le garçon à une certaine carrure, il fait face à bien plus fort que lui. Il a le temps de plaquer l'homme contre un mur, prit de surprise, mais se retrouve bien vite lui même le dos collé, la gorge tenue fermement par celui dont il partage un peu trop les traits. Les supplications de sa mère - quand bien même elle les hurlent - il ne les entend pas. Il se débat, laisse ses poings parler plutôt que ses lippes. Leurs échanges sont violents, ils le sont toujours. Mais cette fois, il y'a quelque chose de différent. Cette fois, dans les yeux de son géniteur, il n'aperçoit aucune humanité. C'est la noirceur qui l'anime, et - pour la première fois - Drake à peur. Vraiment peur. Il se fait projeter contre le plan de travail, la tête heurtant ce dernier. Sa vision se brouille, il est sonné, complètement assommé. Les cris de maman semblent lointains, alors que ses prunelles semblent refaire le point. Instinctivement, il porte une main à son visage, à cet endroit qui chauffe, qui brûle, cette arcade qu'il n'avait sentit avant aujourd'hui. Ca saigne, ça fuse. C'est fou comme l'hémoglobine coule à cet endroit, bien plus impressionnant qu'il n'y paraît. Ses mains tremblent en observant ce pourpre qui semble ne pas vouloir s'arrêter. Soudainement, c'est un cri aigüe qui attire l'attention de l'adolescent. Callie est sortie, et observe la scène, terrifiée. Un cri qui perce les tympan de papa, agacé. Le cœur de Markus tambourine dans sa poitrine alors qu'il observe la grande silhouette s'approcher de sa cadette. S'il enferme les petites, c'est pour éviter qu'elles ne croisent la route du patriarche. Pour éviter qu'elle n'ait besoin de donner des excuses, comme lui. Pour qu'aucun bleu n'empreigne l'épiderme de ce qu'il a de plus précieux. La main en appuie sur le plan de travail, il peine à se relever, manque de retomber. Il ouvre le tiroir, passe la main en dessous. Une cachette de son père qu'il avait découverte des semaines auparavant. Une arme planquée sous le tiroir "en cas d'urgence". L'homme empoigne déjà bien fermement le bras de la gamine. "Lâche là !" Il saigne encore, sa vue n'est pas aussi nette qu'il l'espérait, mais Markus pointe tremblant l'arme qu'il vient de trouver sur son père. Il veut seulement lui faire peur. Il veut simplement qu'il s'éloigne de Callie, qu'il la lâche, qu'elle remonte. Il ramassera la branlée de sa vie pour ça, mais tant pis. Il obtient ce qu'il veut, papa lâche la cadette, s'approche de son fils le sourire moqueur au coin des lèvres. Il ne croit pas une seule seconde que le gamin pourrait tirer, quand bien même il vient de trouvé comment enlever le cran de sûreté. Markus baisse le flingue, mais n'a pas le temps de le poser que le poing de son géniteur s'abat sur lui. L'arme tombe au sol, glisse loin d'eux, alors que son père percute de son pied le corps de l'adolescent tombé à terre. Les coups fusent, encore et encore, tandis ce que les cris reprennent de plus belle. Maman est impuissante, elle a peur, elle n'a jamais vraiment levé le petit doigt pour aider, paralysée. Et soudainement, le bruit est assourdissant. Quelqu'un à visé. Quelqu'un à tiré. Et le corps de papa Drake s'effondre. Markus, la bouche recrachant encore du sang, observe son père agoniser sans comprendre ce qu'il s'est passé, avant de poser le regard sur la silhouette de sa petite soeur. Callie. Callie a tiré.

"Tu ne peux pas me faire ça Markus !" Le coffre se referme, alors que Drake daigne à peine jeter un dernier regard sur sa mère. "Oh que si je peux. Je peux, et je vais Eileen." Le mot maman ne fait plus parti de son vocabulaire depuis des années. Il a 21 ans, vient de plier bagage avec la ferme intention de sortir de la ville. Changer d'endroit, changer de vie. "Tu peux pas me les prendre !" Il ouvre la portière, la refermant aussitôt pour faire face à ce qui était autrefois sa mère. "Te les prendre ?! Mais depuis quand t'en as quelque chose à foutre ?! Regarde toi, merde !" Eileen, ça fait bien longtemps qu'il ne la porte plus dans son coeur. Bien longtemps qu'il a perdu espoir de retrouver sa douceur. Elle n'a pas levé le petit doigt pour lui, jamais. Pas une seule fois elle ne s'est interposée quand son père s'acharnait sur lui. Pas une fois elle ne l'a sauvé. Pas une fois elle ne s'est soucié de savoir s'il allait bien. Pas une fois elle ne s'est inquiété de savoir comment allait ses filles. Maman n'est plus que l'ombre d'elle même depuis des années. Si le péché de papa était l'alcool, celui de maman est bien dangereux. Les aiguilles ont finit par traîner dans la maison, quand bien même Markus repassait derrière pour que les filles ne la voit jamais faire. Son corps, ses cernes, ses marques ne mentent pourtant pas. Maman n'est plus maman. Et si lui s'en va, il refuse de laisser les petites avec une irresponsable comme elle. Papa n'est plus là. Il est mort, tué d'une balle que Markus à revendiquer. Il a frôlé la prison, mais "son" acte à été clamé "légitime défense". Les marques ne mentent pas, le témoignages des petites non plus. Personne n'a jamais su que ce n'était pas lui qui avait appuyé sur la détente, parce que sa réputation à lui, il s'en contrefou. 21 ans. Il a attendu ce jour, cette majorité, pour enfin pouvoir embarqué ses sœurs loin d'ici. Il l'a promit, depuis cette nuit. Markus jette un dernier regard sur Eileen avant de soupirer et de s'engouffrer dans la voiture. Ses sœurs déjà à bord, il démarre la bagnole et conduit jusque leur nouvelle vie ; Boston. Des heures et des heures de trajets, mais ça en vaut la peine. Là bas, il y'a quelques semaines, il a trouvé du boulot en tant que mécanicien, et un appartement. Il est petit pour eux quatre, mais suffisant pour démarrer.


Là bas, il apprend aux côtés d'un homme qui deviendra une véritable figure paternelle. Leon. Un homme qui le prend sous son aile. Qui lui montre que tous les père ne sont pas comme le sien. Qui le traite comme son fils, lui apprend comme un véritable mentor sait le faire. Un homme qui le soutiendra pendant des années. Un homme qui se vieillit. "Je n'ai qu'une fille, Markus. Et elle n'est clairement pas intéressée par le garage.... Prends en soin, tu veux fiston ?" Les clés dans la main, Drake ne cesse de les contempler sans trop comprendre ce qu'il vient de se passer. Il vient d'avoir trente ans, les filles ont quitté la maison depuis quelques temps déjà, et lui... Lui vient de devenir gérant du garage. Il retape l'endroit à son goût, laisse l'empreinte de son mentor qui vient lui rendre visite pour partager une bière de temps à autre, et change le nom pour lui donner le sien. Ici aussi, sa réputation et son passé l'a rattrapé, mais il s'en moque. Son travaille aussi est renommé. Il bosse dur, Drake, il bosse bien aussi. C'est tout ce qui compte.


"Quand est-ce que tu te pose, mon garçon ?" Partageant l'une de leur nombreuse bière, Leon capte l'attention du brun qui hausse les épaules. "Probablement jamais." Le vieillard lève les yeux au ciel, puis reporte doucement son regard sur Drake. "Sérieusement, tu n'a pas envie de rencontrer une gentille fille ?.... Ou un gentil garçon, d'ailleurs, je ne juge pas." Markus s'apprête à protester, les mots bloqués dans sa gorge avant que Leon ne reprenne. "Quoi ? Je ne t'ai jamais vu avec qui que ce soit. Je m'interroge, c'est tout." Le garçon soupire. Il ne relèvera pas, il n'avouera pas, du moins pas à haute voix, l'intérêt qu'il porte autant aux femmes qu'aux hommes. Une attirance qu'il peine à admettre, à avouer. A assumer. Il le sait pertinemment, lui, il est bien conscient de sa bisexualité, mais il n'arrive pas à la prononcer. "Les relations, c'est pas fait pour moi." Il reprend une gorgée, fuyant le regard de son mentor pour le porter sur l'horizon. Le souvenir de toutes ces tentatives et ces échecs, de ces peines de cœur et de ces cris. De ce garçon qui n'aura pas supporter rester dans l'ombre si longtemps. De cette fille dont il ne voulait pas présenter les parents sans qu'elle ne comprenne pourquoi. De ce gars qui s'assumait encore moins que Markus. De cette petite blonde qui aurait pu être la bonne, mais qui a décidé de quitter le pays pour une opportunité qui ne se refusait pas, et que Markus n'aura pas suivie. De toutes ces relations qui n'ont menées nulle part, si ce n'est à la souffrance. "Je suis très bien tout seul. Et personne ne veut d'un mec qui a tué son père, qui a réputation de merde et qui - il paraît - a dealer en taule." Le vieillard soupire, secouant doucement la tête. "Des conneries tout ça, et tu le sais. Des rumeurs stupides lancées par des gens tous aussi stupides, qui n'ont que ça à faire. Quand je te regarde, tu sais ce que moi je vois ? Quelqu'un de brillant. Un garçon gentil, intelligent, remplit d'amour... Mais bien seul. Et si tu laissais quelqu'un d'autre que moi rentrer dans ton petit monde, elle...Ou il....Le verrait aussi." Le rire de Markus fait écho dans la pièce alors qu'il interromps son aîné. "T'es vraiment un cœur d'artichaut, c'est dingue. Tu vois des bisounours partout, tu m'épuise." L'homme se relève, en râlant, s'éloignant de celui qu'il aime comme un fils. "Un jour tu m'écoutera." Le sourire au bord des lèvres, Markus hausse le ton un peu plus, la voix résonnant dans le garage. "Jamais, vieillard." Il s'est forgé une carapace, un cocon dans lequel il se complait. Personne ne l'approche, il n'est pas "fréquentable", il paraît. Les grands frères et les pères se méfient, et c'est mieux comme ça. Il ne souffre pas, il ne fait pas souffrir... Et il peut se concentrer sur lui, et lui seul, maintenant que ses sœurs volent de leurs propres ailes. Les gamines, elle sont encore proches de lui, c'est la prunelle de ses yeux. Ils se voient autant qu'ils le peuvent, et les filles savent pertinemment qu'elles n'ont qu'un mot à dire pour que l'aîné se pointe, pour qu'il les aides, sans poser la moindre question.