Le charme jamaïcain distillant ses effluves a grandement convaincu mon père. Voyage d’affaires où la perte de mémoire fut de rigueur. On aurait pu croire à une histoire d’amour entre deux êtres consentants. Mais l’une des parties avaient déjà sa Vie. Et a légèrement omis de le préciser. Evasion exotique. Couleuvres avalées. Polichinelle en route. Tu vas être papa aurait dû être une heureuse nouvelle. Mais elle fut cachée. Achetée. Discrétion était de rigueur. Pension versée, affection oubliée. Mais la Mamma faisait le taff pour deux. Je ne m’en plaignais pas. Binôme soudé, je ne pouvais y laisser de place pour autrui. J’ai cru à une pensée réciproque. Mais un mariage et deux gosses plus tard, je me retrouvais l’ainé d’une famille dans laquelle, je ne me reconnaissais pas. Ma mère m’aimait mais j’avais l’impression que l’intensité variait entre moi et ses deux gosses. Opposition avec une nouvelle figure paternelle. J'ai fui.
Des nuits dans les rues jamaïcaines. Je rêvais de devenir un professionnel du la course. J’apprenais parmi les grands, me recueillant. Ils savaient que je n’étais pas orphelin, tout se sait. Mais bon, ils m’ont pris sous leur aile. Je me suis envolé. J’ai rêvé. Liberté chérie. J’aurais pu me lancer dans une carrière. Tout était prévu … Dans ma tête. Des sélections faites, des encouragements prononcés. Mon coach derrière moi. Mais un jour, j’ai eu ce sport en horreur. Une main restée trop longtemps dans le bas du dos, je n’ai pas compris la première fois. Puis, elle frôlait des endroits impudents. Mais voilà, je voulais rendre ma famille fière. Mon beau-père me regardait enfin. Le rejet a cessé. Être comme son fils, je l’ai toujours voulu. J’ai serré les dents. J’ai ravalé mes larmes durant des années. La première fois, je me suis frotté si fort sous la douche. Même parfois, il m’arrive d’avoir ce besoin viscéral de me laver méticuleusement mais c’est rare. Puis on pense à l’argent qui permet à la famille de vivre, plus que la moyenne. J’enchaine les courses, je grimpe en catégorie. Je vais réussir. Je serais célèbre. Le sens du sacrifice, je sais ce qu’il coute. Puis j’ai vrillé.
Je ne voulais plus être dévoué à mon coach. C’est ainsi qu’il nommait son attention envers moi. Non, c’était de trop. La tentative de trop. Un motel, à deux heures de chez moi. Préparation à une convention d'athlétisme pour devenir semi professionnel. Juste une marche à monter. Finir au moins deuxième. Mais non, c’était inatteignable pour moi. Pas dans ces conditions-là. Alors je l’ai repoussé. On s’est battu. Étais-je capable de le tuer cette nuit ? Je ne sais pas mais, mes mains autour de son cou l’ont difficilement lâché. Mon genou a craqué. Je l’ai relâché en hurlant. Un mal pour un bien, je peux l’assurer. J’ai été remercié. Comportement non conforme à l’esprit d’équipe. Déception dans les yeux des parents. Je n’ai jamais rien dit. Et ça me ronge. Ma culpabilité grignote mon âme à petits feux. Je suis persuadé que je n’étais pas le seul. L'Elucomme il disait, mon cul oui. Mais même à mon âge, les mots bloquent. J’aimerais les hurler. Craché cette haine de moi-même. Je suis faible.
Je ne supporte pas les gens qui me touchent sans mon consentement. Sans que j'y sois préparé. Même une tape sur l’épaule peut m'angoisser. Des crises. Comme si, mes propres mains venaient m’étrangler. Finir ce que je n’ai pas pu finir dans le passé. Je peux facilement sursauter. Il m’est arrivé d’être violent envers la personne. De me protéger. Avec le temps, je me contrôle plus facilement. Mais il suffit que je sois exténué pour redevenir ce petit garçon craintif. J’ai toujours peur que le Coach revienne. J’en cauchemarde la nuit. Suées nocturnes me rappelant mon impuissance. Ce secret qui s’alourdit avec le temps. J’aimerais en parler. Me soulager. Une fois. Mais le nœud se forme dans ma gorge. J’en tremble à l'idée que mes proches l’apprennent. D’être jugé. Combien de victimes subissent le doute, la remise en question. Et voir les larmes de ma mère. Non, jamais, je ne veux la faire pleurer. C’est fini avec ce monstre, n’est-ce pas ?
C'est pourtant, une autre tragédie qui m’a fait diriger vers mon métier actuel. Tristement. Un fardeau qui écourte mes nuits. Sa mort me hante. Il m’arrive parfois d’avoir besoin “d’aides” pour atteindre les bras de Morphée. J’avais quinze ans. J’étais en train de lire une revue. Nous étions en vacances. Mes parents me faisaient confiance. Je devais garder les deux monstres. On avait décidé de se poser près d’un lac de notre location. Je ne voulais pas aller nager. Alors, ils devaient restés là où ils avaient pieds. Un concours. Un stupide défi. C'était devenu trop calme. Je me suis redressé. Ils n’étaient plus là. Myocarde affolé. J’ai plongé. Comment aurais-je pu savoir qu’ils étaient allés si loin ? L’un tentant de remonter l’autre. La fatigue les a happés. Je les ai tirés de toutes mes forces pour les sortir de là, mais non. L’un a survécu mais pas l’autre. Et je me revois encore en train d’effectuer un massage cardiaque, hurler à l’aide. Voir mes parents accourir. Ma mère prier. Mon beau-père gueuler sur les secours. Petite sœur respirant si lentement. Petit frère n’a plus d’avenir. J’ai peur de l’eau. Et c'est un euphémisme. La mer, la piscine, n’importe quoi. Les profondeurs ne sont pas pour moi. Ça m’angoisse. Je me lave aussi rapidement que possible, et je me nettoie le visage à la lingette. Je refuse qu’un quelconque liquide s’approche de mon visage. Sinon, je panique. Le mot est faible.
Je suis redevenu la bête noire. La brebis galeuse. L’erreur. Le Mal. Enfant du Diable. La pièce rapportée. C’était moi qui avais tué mon petit frère. Jamais, je n’aurais dû quitter les chérubins des yeux. Mes parents ne supportent plus ma personne. A la fin du bac, ma mère m’annonce que je pars chez mon père. L’inconnue dans cette équation qu’est ma Vie. La première fois que je l’ai vu, c’était pour me dire que j'existerais à ses yeux quand je serais quelqu’un. Quand je serais une référence dans la société. Alors j’ai choisi de faire des études de médecine. Il m’a donné un compte en banque et une carte pour subvenir à mes besoins. Ça m’arrache la gueule de le dire mais je lui en suis reconnaissant. J’étais pourtant seul. Sans repères. Parlant péniblement une langue sur toutes les bouches. Mais je voulais briller, je voulais attirer son attention. Recommencer avec une nouvelle figure paternelle. Alors il m’était impensable de m’écarter de mes objectifs. Je devais être le meilleur. Sauver des Vies à défaut de celle de mon petit frère. Alors je me suis donné à fond, des nuits entières. Travailler sans relâche. Je n’ai pas peur de me salir les mains. Je veux être le premier, le meilleur, l'indispensable. Alors les activités estudiantines durant mes études n’étaient guère pour moi. C’était impossible que je me divertisse. C’était bien trop fade, trop de déviances à mes yeux. Boire pour ne plus se souvenir, trop peu pour moi. Surtout quand on doit faire des services de 72h00 à devoir gérer les pleurnicheries de ses pairs. Alors oui, je n’ai pas connu toutes les joyeusetés des étudiants mais au moins, j’ai réussi par faire ce que je voulais. Certes, il m’est arrivé de faire des écarts durant mes années residency. Je devenais moins candide. Mais je ne plaiderais jamais coupable. Disons que depuis ma prise de poste, je me rattrape aussi. Un peu trop parait-il.
J'avais 31 ans quand j’ai fini mes études. Les enfants me passionnent. D’une insouciance rare. Ils m’émeuvent de par leur force de caractère. Contrairement, aux adultes, ils n’ont pas de filtres. Alors, si je peux leur redonner de l’espoir, d’avoir une nouvelle Vie, d’apaiser leur souffrance, je me donne corps et âme. Oui, je sais que cela ne fera pas revenir mon frère. Mais j’espère qu’il sera, quand même, fier de moi. Que chaque enfant retrouve un Sourire, parce que j'ai pu l'aider. Juste un rire pour réchauffer mon âme. J’aimerais ouvrir un cabinet à mon compte, au plus vite. Cela fait trois ans que j'enseigne la théorie à l’université. Un remplacement fortuit qui m’a plu et je n’ai pas cessé. Le Lundi et Mercredi, je suis à l’université. Et du Jeudi jusqu’au Dimanche – quand je suis de garde – je suis à l’hôpital, dont une journée aux urgences. C’est la passion qui m’anime. Je l’admets, je me dévoue aux futures générations. J’envisage de devenir pompier volontaire. Oui, je trouve que je ne me sens pas suffisamment utile pour la société. Papa, me vois-tu ?
J'aime cuisiner et danser. Pas dans des clubs parce que la proximité m’oppresse, mais parfois dans des lieux guindés, je peux y faire quelques pas avec une partenaire consciencieusement choisie dans un espace suffisamment grand pour nous deux. C’est le moyen que j’ai trouvé pour ne pas rompre les liens définitivement avec mes origines. La Jamaïque dans le sang, jamais je ne renierais mes racines. J’ai même le drapeau peint au plafond de mon appartement. Dans le cœur et dans le sang. D’humeur plutôt conviviale malgré tout, j’organise un repas une fois par mois avec les résidents de mon immeuble. Chacun s’inscrit, me propose un thème et on cuisine ensemble pour aller manger sur le toit. Les plats mijotant, les épices chatouillant les narines, des rires, des sourires, des ventres pleins. Je t’avouerais que j’ai découvert tous ces plaisirs de la Vie une fois mon diplôme en poche. Et j’en profite à présent. Quelques pas sur le côté, tout en préparant un bon petit plat, non vraiment, viens tenter un jour.
Je pense que je suis un ami des bestioles parce qu’elles viennent toujours facilement vers moi. Et il suffit d’un regard pour vouloir les adopter. C’est ainsi que j’ai pris Mickey, un American Shorthair noir et blanc, qui avait la patte cassée, découvert en revenant du boulot. Et puis Minnie, une femelle, Akita Inu, acheté à la SPA. Elle a été retiré des combats clandestins d’animaux. Difficile à croire quand on voit la peluche que c'est. Et comment ces combats puissent exister. Ce ne fut pas évident dans les débuts. Elle était craintive et apeurée. Je me suis reconnu en elle. On a passé énormément de temps avec elle, Mickey et moi-même à la SPA avant de pouvoir l’emmener à la maison. Maintenant, ils me font la misère.
Je Je sais jouer de la guitare, ma mère m’a appris. J’ai emporté ma première guitare avec moi, en guise de souvenirs. J'apprends à dessiner, en général des portraits en noir et blanc.. Je possède diverses encres gravées sur l’épiderme et je ne sais jamais m’arrêter. C’est ce qui crée un côté décalé avec le personnage assez sage qu’on peut se faire de moi. J'ai toujours mille et un projets en tête, que ce soit pour moi-même ou le boulot. J'ai besoin de m'occuper l'esprit. De repousser mes démons. De ne plus vouloir sombrer. Il m'arrive de rechuter, de m'enfermer chez moi, de noyer ma peine. Mais, jamais, je n'abandonne. Je refuse de décevoir mon entourage.
J'ai 35 ans, accroché à ma carrière professionnelle. Un appartement que je rhabille au gré de mes folies. Deux bêtes féroces me rendant heureux. Célibataire, je n’ai jamais pris le temps de sortir avec une personne.Flirter, est régulier mais lorsqu’on me parle d’engagement, j’ai mon ouïe qui déraille. Il m’arrive de me laisser aller dans les bras d’autrui mais je ne le crie pas trop fort, parce que même si les courbes féminines m’enivrent, il m’arrive de m’attarder sur de saillants pectoraux. Sans jamais oser franchir le pas. J’ai peur que cela déclenche une peur liée à ma jeunesse. Mais je tiens quand même à conserver cacher derrière mon étiquette de gendre parfait, aidant les petites mamies à traverser la route. Depuis que j’ai quitté la Colombie, je n’ai pas reparlé à ma famille. Mon père doit me parler, tous les deux trois mois pour me rappeler sa réussite et que la mienne se fait attendre. J’aimerais retourner en Colombie mais j’ai la sensation d’y avoir été banni. J’aimerais parcourir le monde. Briser mes craintes. Apprendre à faire de la moto. Devenir invincible.
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