Mizuki A. Kobayashi ► Nana Komatsu

            Cheveux toujours bien coiffés, posture ajustée et le sourire qui va bien, tel est son quotidien. Non, elle ne peut pas outrepasser la volonté de ses parents, non elle ne peut pas se laisser aller à l’excentricité. Mais surtout elle ne pouvait pas aimer qui elle souhaite. Je ne puis vous dire qu’elle ait eu une vie malheureuse à chercher la moindre attention, ce n’est pas vraiment ça. Ce que je dois vous dire c’est qu’elle aime, du moins elle se doit d’aimer sa famille, elle passe avant tout. Elle est l’ainée d’une fratrie de 4 enfants et doit s’occuper de ses frères et sœurs lorsque ses parents partent là où le vent (le travail) les envoient, elle se retrouve donc avec les employés à gérer « la tornade » comme elle s’amusait à appeler ses petits bouts. Elle aime sincèrement ses frères et sœurs mais elle aurait aimé que ses parents reviennent plus souvent pour qu’eux aussi aient une enfance entourée de figures parentales. Quand elle était enfant ils étaient beaucoup plus présent car ils avaient moins de responsabilités, ils vivaient simplement, dans un appartement, rien que tous les trois, avec Tora (Tigre en japonais) leur petit chat.

            Mais tout est moins simple depuis le déménagement à Tokyo, tout le monde a grandi, Tora n’est plus ici, mais surtout cet appartement et les moments privilégiés ne sont plus. Tout cela laisse place à une nouvelle ville, plus grande encore, une famille qui s’agrandit et les moments rien qu’en famille alors ? Disparus, comme devenus invisibles pour ne rester que poussière. Sa famille n’est plus une famille ordinaire et doit maintenant faire bonne figure comme on dit, elle doit être irréprochable, sans défauts, sans problème. Mais me direz-vous, qui n’a pas de problèmes ? Je vous répondrai que pour eux ils existent mais seulement chez les autres. Ils doivent paraitre unis, soudés mais surtout parfait. Ils ont donc tout misé sur Mizuki, pour qu’elle représente la famille, qu’elle ait une belle carrière ou un mari aisé digne d’être le successeur de la famille.

            En surface cette petite famille peut paraître parfaite mais elle le sait très bien, elle a beau être l’ainé, elle sait qu’elle n’a pas la même mère que les enfants qui se tiennent à côté d’elle. A sa majorité son père lui a avoué son adultère, qu’elle était l’enfant de son ex-femme qu’il a laissé pour une autre.
« Pourquoi ? Pourquoi tu lui as fait ça ? Elle n’était pas assez bien ? Pas assez jeune ? Mais surtout pourquoi tu m’as arraché à elle ? DIS-LE-MOI !!» Son père lui expliqua qu’il en aimait seulement une autre et que sa mère est fragile mentalement et physiquement et donc lors du procès on lui a refusé la garde.

« Tu sais tu étais petite, on ne voulait pas t’embêter avec ça et puis ta mère m’a dit qu’au moins tu aurais une bonne éducation si tu restais avec moi ».

« Tu mens, une mère n’aurait jamais laissé son enfant seul, elle ne peut pas avoir cédé si facilement, sauf si tu lui as fait du chantage évidemment ».

« La discussion est close, si tu veux plus de détails tu n’as qu’à la retrouver. »
           
            Ce jour-là, elle se sentit brisée, trahie, humiliée seulement maintenant tout fait sens en elle. Le changement soudain de maison, de ville de cadre de vie. Elle s’en voulait vraiment, elle n’aurait pas été si jeune elle se serait souvenue du visage de sa mère. Elle se rend compte à ce moment que son père à tout fait pour l’effacer. Aucune photo avec sa famille ou seulement partielle, plein de photo d’elle et puis énormément de photo de « « sa mère » ». Seulement, à ce-moment-là, elle se sentait incapable de faire quoi que ce soit, elle se sentait vidée, anéanti et a eu du mal à s’en remettre. Elle ne pensait à rien, seulement à son passé perdu. Elle se disait qu’elle voudrait retourner dans son appartement à Sapporo à jouer dans la neige. Ceci est impossible se disait-elle.

            Ce soir-là, elle se sentait seule, la « tornade » était endormi, les parents en vadrouille en Europe, la solitude l’envahissait. Ce soir-là était pourtant différent, les nuages effacés, un croissant de lune discret mais une immensité d’étoiles. Dix ans qu’elle n’en avait pas vu autant, dix ans que les nuages, la pollution, les lumières cachait l’intense lumières des étoiles. Cette lumière on pouvait la voir briller dans ses yeux, Mizuki retombait en enfance. D’un coup surgirent tous ses souvenirs enfouis au fond d’elle qui menaçaient de disparaitre, tout l’amour, la tendresse, les rires, les blessures de son enfance. Mais surtout, elle se revoit, vers l’âge de trois ans, à la fenêtre de cet appartement, sur son tabouret, une nuit d’été comme celle-ci à admirer les étoiles. S’imaginant voler au milieu de ce ciel jusqu’à pouvoir toucher les nuages ou toutes ces petites lueurs qui réchauffait son cœur. La nostalgie fit remonter en elle ses sentiments d’enfance, mais aussi des larmes qui coulèrent le long de sa joue. Elle pleurait, et ne pouvait rien y faire, elle regrettait tant de choses, tant de mots, elle regrettait surtout n’avoir rien fait jusqu’ici, n’avoir fait que se morfondre et se plaindre sur des choses qu’elle est la seule à pouvoir faire avancer. C’est cette nuit-là, c’est sous le regard attentif des étoiles qu’elle fit la promesse de changer et de vivre enfin comme elle l’entend.

            Elle repensait aussi à ce que lui disait son père par rapport à ses grands-parents maternels d’origine américaine. Elle se disait au fond d’elle qu’il y avait une infime possibilité que sa mère soit avec eux « Je devrais saisir cette opportunité, en finir avec cette vie que je ne fais que contempler depuis ma fenêtre comme spectatrice, il est grand temps que je parte » . Le changement se tenait devant sa porte, mais avant toute chose elle devait faire une croix sur sa fratrie et sur le soutient de ses « parents ». Car au fond d’elle Mizuki cachait d’autres raisons de partir. Elle veut s’épanouir dans sa passion, le dessin mais pas n’importe quel domaine, le tatouage. Elle en rêve depuis toujours pouvoir graver les émotions et l’amour des gens sur leur peau. Cependant, dans le contexte actuel et l’héritage culturel du Japon elle a peur d’entreprendre quelque chose qui est voué à l’échec. Les USA c’est l’opportunité de vivre de ce qu’elle aime sans retenue et sans jugement des autres.

            Mais il y a quelque chose de caché encore plus profondément, quelque chose qui n’est pas concevable c’est qu’elle ne veut pas fonder de famille, devenir dépendante, juste une femme qui fait les tâches ingrates sans avoir aucune reconnaissance en retour. Elle veut s’affirmer, montrer de quoi elle est capable mais surtout elle veut vivre pour elle et non pour les autres. Indépendance, liberté mais surtout amour sincère. Dans son pays, elle a l’impression que l’amour est mis au second plan derrière l’apparence et le regard d’autrui. Mizuki espère pouvoir s’affranchir de ce regard qui l’oppresse depuis tant d’années et pouvoir enfin aimer la personne (qu’importe le genre) qu’elle a choisi.   Elle sait que sa famille enfin son père y ait réfractaire, pour lui ces personnes ne devraient pas se montrer, elles ne devraient même pas exister. Elle sait très bien qu’elle sera la risée de la famille, que l’on va l’exclure, la brimer si elle reste, c’est donc une nécessité de partir. Une nécessité de faire face à ses « problèmes ». En se rendormant, après avoir tant pleurer, tant réfléchi au pourquoi du comment, elle se sentait soulagé et s’endormi paisiblement le cœur léger.

            « Je m’en souviens comme si c’était hier, les valises empilées dans l’entrée, les enfants qui reniflaient fort, et mon père qui me tournait le dos pour bien me faire comprendre que si je passais cette porte je n’existais plus à ses yeux. Je ne lui portais aucune attention, je ne lui ai pas adressé un mot, même pas un au revoir, rien. Il m’a trahi j’ai bien le droit de le faire aussi (depuis le temps que j’attendais ce moment). Ce qui me fait de la peine c’est de quitter ma tornade, ils n’y sont pour rien et je les aime mais ce n’est pas en restant ici que je pourrais changer quoi que ce soit. Et me voilà donc parti pour un pays inconnu (heureusement que j’ai appris l’anglais), seule, livrée à moi-même, pour retrouver ma mère, ma famille et pouvoir enfin être qui je suis. »

            « Me voilà dans l’avion du changement, bon que vous dire de pertinent… rien haha seulement que j’étais pépouze et voilà qu’un sale gosse ne se pose pas loin et passe le voyage à foutre le bordel et à répéter « maman, maman c’est quand on arrive, je veux voir stadue de la liberté. » Il a aussi beaucoup trop crié et a perturbé sévèrement mon sommeil, si j’avais pu j’aurais pris un katana. Mais bon je me suis consolée et bercée avec des musiques d’anime et je suis passée à autre chose. Sinon, je stresse, j’ai peur je ne sais pas ce que je vais trouver là-bas, je ne sais pas par où commencer, où chercher, et si je pars au bon endroit, je ne sais rien, mais je garde espoir. En ce qui concerne mon logement j’ai pris un hôtel pour commencer mais va falloir que je me trouve un coloc sinon bye bye mes économies. Pour le travail je verrai sur place, je prendrai un petit emploi le temps de chercher un petit shop qui voudra bien m’apprendre.
Bon, je suis perdue, les aéroports c’est un sacré merdier, j’ai ma valise maintenant je prends un taxi et direction l’hôtel, me voilà arrivée à Boston, la ville où la nouvelle Mizuki va prendre vie ».