Pas d'bras, pas d'chocolat, pas d'jambe...bah pas d'jambes. (PAOLA)

Une bombe a explosé à Harvard, j'ai été lourdement touchée, au point de perdre l'usage de mes jambes, provisoirement selon les médecins. « Il faudra faire une rééducation » m'avaient-ils dit, avant qu'ils ne me laisse sortir, installée sur un fauteuil roulant. « Vous aurez des réunions pour un suivi psychologique post-attentat, également. Vous êtes obligée de vous y présenter deux fois par semaine. » Quoi, ça se voit que ça me rend malade ? Quelques semaines ont passé depuis cette journée noire. Je suis toujours dans ce fauteuil, à suivre ces réunions psychologique, je refuse la rééducation, puisque pour moi c'est couru d'avance, je ne pourrais jamais remarcher. En sortant de la réunion du jour, je me gare devant la sortie de l’hôpital pour fumer une cigarette, mais comme une abrutie, j'ai oublié mon briquet. « Et merde... »

Je savais très bien que l'après-attentat n'allait pas être une partie de plaisir, mais de là à nous coller des suivis psychologiques en groupe "en-veux-tu-en-voilà" merci bien. Je n'étais pas contre une petite visite tous les deux mois, mais là c'était deux fois par semaine ! Ça revenait toujours à la même chose, à chaque fois je devais dire que ça allait mieux, que j'acceptait de ne plus avoir ma jambe, que j'acceptais ma prothèse. Tout le monde savait que la moitié que ce que nous disions n'étaient que des mensonges, enfin bon. Avant je ne fumais qu'en cas de stress, mais finalement j'avais pris l'habitude d'aller toujours me fumer une cigarette à la sortie de ses visites. Je sortais alors de l'hôpital pour m'en allumer une. « Et merde .. » C'était une fille de mon groupe de réunion, Gwen si je me souviens bien. Elle semblait avoir besoin d'un briquet, je lui tendis alors sans attendre qu'elle ne me le demande. « Tiens. Besoin de décompresser après la réunion hein ? » lui disais-je en souriant.

Dans ce genre de réunion, on croise tout type de personnes. Ceux qui disent que tout va bien sans mentir, ceux qui vont super mal et le disent, et ceux qui mentent en disant que tout va bien, comme moi, juste pour arrêter de venir à ces réunions bidons. Ca sert à quoi de venir ici, pour en parler alors que ca ne changera pas le cours des choses ? Quand la femme du suivi psychologique me demande si ca va, je réponds toujours « Ca roule, m'voyez ? » en bougeant mon fauteuil. Je ne vais pas pleurer sur mon sort, je suis en vie après tout. Alors que je n'avais pas de feu, une jeune fille de la réunion, Paola me semble t-il, me tendit le sien en me disant « Tiens. Besoin de décompresser après la réunion hein ? » Je souriais, attrapant son feu. « Merci, c'est cool. Ouais, ca sert à rien leur truc, c'est pas en les voyant que j'pourrais remarcher. » Je souriais et allumais ma cigarette, avant de lui rendre ce qui lui appartenait.

Elle attrapa mon briquet tout en me remerciant. On était sur la même longueur d'onde, ça c'est sur. On était toutes les deux d'accord pour dire que ces réunions ne servaient strictement à rien. Elle avait raison quand elle disait que ce n'était pas en les voyant qu'elle pourrait remarcher, c'est sur. C'est en allant en rééducation qu'elle le pourrait. Mais je n'avais pas l'impression qu'elle était très décidé à y aller. Je récupérai mon briquet et le rangea dans ma poche. « En effet, c'est plutôt inutile. Mais si tu veux mon avis, ce n'est pas ce genre de réunion qui te ferait marcher, mais plutôt de la rééducation. » Je m'assis sur le sol, tout en continuant de tirer sur ma cigarette. Ces derniers jours, j'avais assez de mal à rester debout longtemps. Je n'aurais ma prothèse définitive que dans une semaine, et celle-ci était plutôt désagréable. Je me grattais donc la cuisse au niveau de la jonction de la prothèse, je n'attendais qu'une chose, pouvoir l'enlever. Au final, je me sentais un peu honteuse d'avoir eu tant de facilité à retrouver une vie "normale". J'avais peut-être perdu une jambe, mais une fois la prothèse posée, je pouvais remarcher peu après le début de la rééducation. Gwen semblait avoir beaucoup plus de mal à s'y faire ..

Une rééducation. Encore un truc qui devrait m'aider à la base et qui ne fonctionnera pas entièrement. Je lâchais un soupir désabusé tout en tirant sur ma clope. « Pour rester en béquilles toute ma vie ? C'est aussi chiant que d'rester dans ce fauteuil... » Je n'étais vraiment pas décidée à m'en sortir pour le moment. Et pourtant les faits se sont déroulés il y a quelques temps maintenant. Pourquoi chercher à s'en sortir quand on est pessimistes ? Je regardais Paola s'asseoir au sol, ça se voyait qu'elle avait mal à cause de sa prothèse. J'aurai préféré perdre mes jambes de cette façon. Ne plus les voir et ne pas avoir la tentation de se lever et marcher, danser, courir, donner des coups de pieds dans tout et n'importe quoi. Je l'enviais. Je regardais mes pieds inertes, en espérant les voir bouger à nouveau. Je soupirais à nouveau et la regardais. « C'est comment de marcher avec une prothèse ? »